Causeur

C'ÉTAIT ÉCRIT LES ERMITES DE L'APOCALYPSE

Si la réalité dépasse parfois la fiction, c'est que la fiction précède souvent la réalité. La littératur­e prévoit l'avenir. Cette chronique le prouve.

- Par Jérôme Leroy

« Je n’ai jamais rien vu de tel auparavant ! », s’est exclamé le maire de Ruinerwold, aux Pays-bas, après la découverte d’une famille recluse dans une ferme depuis neuf ans, sans aucun contact avec l’extérieur. L’édile aurait-il oublié la longue tradition d’érémitisme de l’occident chrétien ? La Légende dorée de Jacques de Voragine, qui retrace la vie des plus grands saints, montre que cette pratique était courante pour accéder à la pureté, à l’exemple de saint Bernard ou encore de saint Léonard : « Pour moi, je ne désire qu’une chose : c’est de vivre dans quelque forêt, en méprisant les richesses de ce monde, et en ne servant que Jésus-christ. »

Les premiers enquêteurs, après avoir constaté l’extrême dénuement de la famille, accréditen­t d’ailleurs la thèse d’une réclusion volontaire pour ce père et ses cinq enfants, quatre garçons et une fille âgés de 16 à 25 ans : « Nous avons des raisons de croire que les personnes impliquées ne sont pas restées sur place contre leur volonté. »

Faire sécession d’avec le monde peut relever de motivation­s diverses. On peut, par exemple, vouloir fuir une société invivable. On se souviendra du Misanthrop­e de Molière : « Et, parfois, il me prend des mouvements soudains, / De fuir, dans un désert, l’approche des humains. » Projet précisé encore à l’acte V : « Et me laissez enfin / Dans ce petit coin sombre avec mon noir chagrin. » On songera aussi à la Vie de Rancé, de Chateaubri­and, qui raconte comment le rénovateur de la Trappe est devenu un solitaire après une jeunesse mondaine et débauchée : « Ici commence la nouvelle vie de Rancé : nous entrons dans la région du profond silence. […] Nous l’avons rencontré dans ses égarements, nous allons le retrouver dans ses austérités. »

Il semble néanmoins que l’enfermemen­t de cette famille ait surtout été motivé par « des comporteme­nts sectaires » et une « attente de la fin des temps ». Voilà donc un nouveau symptôme de ce vieux millénaris­me apocalypti­que si présent aujourd’hui, dans notre époque fascinée par sa propre fin, entre extase et effroi. Pourtant, ce millénaris­me qui touche aussi bien Greta Thunberg que le chrétien fondamenta­liste américain ou cette famille des Pays-bas est un contresens déjà dénoncé dans… les Actes des Apôtres : « “Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ?” Jésus leur répondit : “Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité.” »

Bref, inutile de vouloir hâter la fin, ni par l’hystérie froide d’une adolescent­e ni dans le délire obsidional d’une famille paumée, elle viendra sans vous prévenir. •

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