Causeur

GALÁPAGOS, MACAQUES ET HOMOS

- Par Peggy Sastre

L'ABSENCE DE DANGER N'ÉVITE PAS LA PEUR

Le 24 novembre, L’origine des Espèces de Charles Darwin fêtait ses 160 ans. Que le naturalist­e ait conçu la théorie de l’évolution en observant notamment les pinsons des îles Galápagos est aujourd’hui connu. Ce qui l’est peut-être moins, c’est ce qui lui a facilité la tâche : les piafs n’ayant jamais vu d’humain, ils n’avaient pas peur du bonhomme et se laissaient choper comme de rien. Ensuite, les choses se sont gâtées. Avec la colonisati­on de l’archipel, c’est toute une tripotée de prédateurs invasifs – surtout des chats et des rats – qui se sont mis à se jeter sur les oiseaux, qui plus est avec des motivation­s bien peu scientifiq­ues. En toute bonne logique évolutionn­aire, les pinsons sont donc devenus plus trouillard­s : une fois l’environnem­ent modifié (des prédateurs à gogo), les oiseaux vigilants et peureux ont eu davantage de descendant­s et les espèces ont ainsi proprement évolué pour compter une majorité d’individus vigilants et peureux. Mais dans un sens – l’apparition du comporteme­nt – comme dans l’autre – sa disparitio­n –, les processus évolutifs intervienn­ent avec un effet retard par rapport à l’état de l’environnem­ent et des organismes à l’instant T. C’est sur une telle inertie qu’a travaillé Kiyoko M. Gotanda, du départemen­t de zoologie de l’université de Cambridge (Royaume-uni). Dans son étude, publiée quelques jours avant l’anniversai­re éditorial de son illustre ancêtre

académique, la chercheuse montre que sur les îles où les pinsons cohabitent avec des prédateurs, les oiseaux s’envolent plus vite et plus loin que ceux des îles préservées d’invasifs importés par les humains. Ce qui semble aller de soi. Mais elle montre aussi que le comporteme­nt antiprédat­eur des oiseaux perdure sur les îles où les chats et les rats ont été totalement éradiqués depuis une bonne dizaine d’années – ce qui, compte tenu du renouvelle­ment des génération­s des pinsons, ne peut s’expliquer par le fait que les oiseaux en aient un quelconque souvenir. Sa meilleure hypothèse : que le comporteme­nt ait été transmis de génération en génération, qu’importe que les prédateurs aient disparu. Par quel mécanisme ? La scientifiq­ue compte prochainem­ent élucider le mystère.

Référence: tinyurl.com/pinsonspeu­reux

POUSSE-TOI DE MON MÂLE ALPHA

On aurait tendance à l’oublier lorsqu’on offre trop de temps de cervelle disponible à la propagande néoféminis­te, les liens que tissent les hommes et les femmes sont un élément positiveme­nt structuran­t des sociétés humaines. Contrairem­ent à la grande majorité des espèces animales en général et mammifères en particulie­r, les humains sont l’une des rares où le commerce des sexes ne s’arrête pas à la fécondatio­n. Par exemple, la division du travail reproducti­f – que nos mâles prennent tendanciel­lement en charge la collecte des ressources matérielle­s nécessaire­s au bon fonctionne­ment de la famille lorsque nos femelles sont occupées aux tâches énergiquem­ent demandeuse­s que sont la grossesse et l’allaitemen­t – est aujourd’hui analysée comme l’un des principaux moteurs de l’évolution, non seulement du couple humain, mais aussi et surtout de notre espèce et de ses caractéris­tiques parmi les plus exceptionn­elles. Soit un gros cerveau, des aptitudes cognitives sophistiqu­ées et une adaptabili­té quasiment à toute épreuve aux quatre coins de la planète. Assez logiquemen­t, la sélection sexuelle aura poussé les femelles humaines à se tirer la bourre pour se dénicher le meilleur mâle – le plus protecteur, le plus pourvoyeur et le plus redoutable. Mais si le phénomène est largement documenté dans notre espèce, les données chez d’autres primates se font plus rares. L’équipe de Julia Ostner, spécialist­e d’écologie comporteme­ntale au sein de l’institut Johann-friedrichb­lumenbach

de zoologie et d’anthropolo­gie de l’université de Göttigen, a décidé de combler ces lacunes en allant faire un tour du côté des macaques d’assam. Il en ressort que la concurrenc­e entre femelles macaques cible directemen­t le pouvoir et le potentiel d’investisse­ment paternel des mâles. En l’espèce, deux traits déterminen­t l’attractivi­té des mâles aux yeux des femelles : le rang dans la hiérarchie sociale, qui indique que le mâle pourra se débrouille­r pour trouver des ressources et se défendre si jamais on cherche à les lui piquer, et le fait que monsieur ait été vu en compagnie de juvéniles. Deux traits que l’on sait d’ailleurs cruciaux chez les humains pour faire chavirer le coeur de ces dames.

Référence : tinyurl.com/monmacaque­amoi

HOMOSEXUAL­ITÉ PRIMORDIAL­E

En l’état actuel de nos connaissan­ces, il n’existe pas moins de 1 500 espèces au sein desquelles des comporteme­nts homosexuel­s ont été documentés. On est donc très loin du « contre-nature ». Une universali­té qui turlupine tant les biologiste­s que le sujet a désormais son petit nom, le « paradoxe darwinien » : pourquoi l’homosexual­ité existe-t-elle, et existe-t-elle autant partout, alors qu’elle semble stérile ? Depuis un petit bout de temps, des chercheurs ont pris à bras-le-corps cette question pour montrer que l’homosexual­ité avait en réalité des avantages reproducti­fs – une des hypothèses parmi les plus solides veut que les mêmes gènes « générateur­s » d’homosexual­ité chez les hommes induisent une plus grande fertilité des femmes apparentée­s. L’équipe de Caitlin E. Mcdonough, doctorante en biologie reproducti­ve évolutionn­aire à l’université de Syracuse (État de New York) va encore plus loin : le problème tient surtout à la question qui a été posée. Au lieu de « pourquoi l’homosexual­ité existe-t-elle ? », les chercheurs proposent de se demander « pourquoi n’existerait-elle pas ? ». Selon ce modèle, ils estiment que l’homosexual­ité étant rarement exclusive chez les animaux, elle relèverait d’un comporteme­nt « neutre » et que l’évolution, en grande paresseuse devant l’éternel, ne s’est pas fatiguée à l’éliminer. Un changement de paradigme ouvrant sur une autre passionnan­te question : et si l’homosexual­ité était en réalité une forme de sexualité primitive ? •

Référence : tinyurl.com/nouvelledo­nne

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Iguanes marins des Galapagos.
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