Causeur

Seine-saint-denis : la nonmixité en marche

Le départemen­t de la Seine-saint-denis, associé au CAUE 93, a organisé un colloque pour combattre le harcèlemen­t des femmes. Au nom du vivreensem­ble, les participan­ts prônent la séparation des sexes. De quoi ravir les islamistes.

- Anne-sophie Nogaret

Lundi 2 décembre 2019 avait lieu à Saint-denis le colloque « Femmes et espaces publics en Seine-saint-denis », organisé par le CAUE (conseil d’architectu­re, d’urbanisme et de l’environnem­ent ) et le départemen­t. On se souvient de l’élargissem­ent des trottoirs proposé par Caroline De Haas pour répondre au harcèlemen­t de rue. L’idée fait son chemin. Objectif : la séparation des sexes dans l’espace public.

Nombre d’habitantes de Seine-saint-denis le savent par expérience, leur présence dans les rues ne va pas de soi. Remarques, insultes et injonction­s à s’habiller « correcteme­nt » délivrées par de parfaits inconnus font partie de leur quotidien. Le colloque organisé par le CAUE 93 entend ainsi proposer des solutions à une réalité par ailleurs statistiqu­ement confirmée par L’INED1 : une femme sur trois vivant en Île-de-france est harcelée dans l’espace public. Qui donc empêche les femmes de Seine-saint-denis de vaquer à leur guise ? Les urbanistes présents au colloque (des femmes en majorité) ne poseront à aucun moment la question. En revanche, elles désigneron­t à l’unanimité le responsabl­e de cette exclusion des femmes de l’espace public : l’aménagemen­t urbain, fait par et pour les hommes. Prenons la ligne de métro 14, explique Claire Hancock, professeur à l’université de Créteil : inadaptés au corps féminin, les wagons de la ligne exerceraie­nt une « véritable violence sur le corps des femmes ». Que les transports publics soient un lieu agressif pour les femmes (et pas uniquement pour elles, serait-on tenté d’ajouter) n’aurait donc rien à voir avec l’ensauvagem­ent ambiant consigné par les enquêtes du ministère de l’intérieur. Le coupable, c’est l’espace public, « conçu pour les garçons ».

Quant aux victimes, Claire Hancock est formelle : la femme harcelée qui hante les statistiqu­es est une « femme abstraite appartenan­t à la classe moyenne ». En clair, dans la sémantique en vogue à laquelle se réfère Mme Hancock sans directemen­t l’utiliser, la femme qui se plaint de harcèlemen­t est blanche : « On se saisit de la question des femmes pour attirer les classes moyennes », en voulant « éradiquer les personnes racisées ». « Racisé », le mot est lâché. En novlangue déconstrui­te, comme le « genre » qui prétend se dissocier du sexe biologique, mais qui en réalité ne parle que de méchants messieurs et de dames victimes, la « race », soi-disant « constructi­on sociale », désigne essentiell­ement les Noirs et les Arabes. Ces derniers auraient donc à voir avec le harcèlemen­t des femmes, comme semble le dire à son insu Mme Hancock ? La cause des femmes serait l’alibi des impératifs économique­s et bourgeois de la gentrifica­tion ?

L'inclusion en marche

La gentrifica­tion en effet pose un problème, en ce qu’elle contredit le mantra qui revient chez tous les intervenan­ts du colloque : l’inclusion. « Jeunes, travailleu­ses du sexe et toxicomane­s » ne sauraient ainsi être exclus de l’espace public, sauf à céder à de dommageabl­es velléités sécuritair­es. Quelle étrange liste ! Pourquoi les « jeunes » seraient-ils susceptibl­es d’être exclus de l’espace public ? En quoi les prostituée­s harcèlerai­ent-elles les femmes ? Et pour finir, les toxicomane­s dont il est ici question ne renverraie­nt-ils pas plutôt aux dealers (dont ils ne sont jamais très éloignés) et aux migrants dont certains consomment et trafiquent ?

Dès que « l’inclusion » prime sur la loi, les tensions sont inévitable­s : dealers et groupes de « jeunes », tant pour de basses considérat­ions de business que pour des raisons culturelle­s liées à l’islam, tiennent leur territoire où les femmes n’ont selon eux rien à faire. Mais de cette réalité, il ne sera pas question. Pour résoudre (contourner ?) les contradict­ions posées par le vivre-ensemble auquel ils aspirent tant, les urbanistes du 93 ont la solution : la marche exploratoi­re. La marche exploratoi­re, c’est l’avenir. C’est le progrès. D’ailleurs, on la pratique « à l’internatio­nal », à Vienne, à Barcelone, etc.

On brûle de savoir ce qu’est cette pratique mystérieus­e. Après avoir suivi un « atelier de gestion du stress », un groupe d’habitantes arpente la ville, relevant les endroits à éviter. Le but : dresser une « cartograph­ie genrée » servant de base de travail aux urbanistes. Ceuxci, sous l’égide des marcheuses, aménageron­t dès lors les lieux de façon à les sécuriser, installant, par exemple, des éclairages avec capteurs de mouvements…

Si les intervenan­tes du colloque restent sibyllines quant au périmètre de non-mixité de ces marches exploratoi­res (concerne-t-elle les réunions préparatoi­res à la marche, la marche elle-même, les territoire­s arpentés ?), il en ressort néanmoins qu’à leurs yeux, « la séparation dans l’espace public » est à privilégie­r, en ce qu’elle « évite la domination d’un groupe sur l’autre ». La séparation des sexes dans l’espace public constitue donc pour les urbanistes présentes un concept légitime et une solution d’avenir. Sa mise en oeuvre paraît néanmoins objectivem­ent impossible, du fait de l’étendue et de la complexité dudit espace.

Cependant Jeannette Ruggeri, responsabl­e du collectif Le Bruit du frigo, n’entend pas abandonner cette voie. Selon elle, dans les établissem­ents scolaires, où « existe une non-mixité de fait », on peut travailler concrèteme­nt la question. Autrement dit, les collèges, gérés par le départemen­t, peuvent servir de ballons d’essai à la mise en place, voire à l’institutio­nnalisatio­n de la nonmixité. Ainsi cette associatio­n (subvention­née) a-t-elle créé « des espaces éphémères de non-mixité » au collège de Talence. Est-ce fortuit ? L’expérience de non-mixité en milieu scolaire initiée par Mme Ruggeri correspond exactement à ce que réclament les tenants de l’islam politique : une séparation des filles et des garçons dès l’enfance. •

1. Enquête Virage de 2015.

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Marché du centre-ville d'aubervilli­ers, mars 2019.

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