Causeur

HERVÉ NOVELLI L'UBERISATIO­N DE L'ÉCONOMIE NE FAIT QUE COMMENCER

L'ancien secrétaire d'état aux PME Hervé Novelli a créé le statut d'autoentrep­reneur. Dix ans après, il dresse un bilan globalemen­t positif de l'uberisatio­n de l'économie. Et annonce la fin du salariat.

- Propos recueillis par Daoud Boughezala et Gil Mihaely

Causeur. En tant que secrétaire d'état chargé du Commerce, de l'artisanat, des PME et du Tourisme sous la présidence de Sarkozy, vous avez créé le statut d'autoentrep­reneur. Cette mesure devait permettre aux Français de travailler plus pour gagner plus. Dix ans plus tard, quel bilan en dressez-vous ?

Hervé Novelli. Un bilan très positif. Aujourd’hui, il y a à peu près 1,4 million d’autoentrep­reneurs en France ! Lorsque j’ai créé ce statut, j’entendais simplifier la création d’activité en supprimant les prélèvemen­ts avant les chiffres d’affaires et en recevant un numéro Siret trois jours après l’avoir déclarée. Et le succès de ce phénomène a été démultipli­é par l’arrivée de la révolution numérique en 2009. Sont alors nées toutes les applicatio­ns virtuelles mettant en relation des autoentrep­reneurs ayant un service à offrir et des personnes qui en expriment le besoin.

La preuve que ce statut favorise l’économie, c’est que le gouverneme­nt Hollande, faute de pouvoir supprimer la chose, a changé le mot. C’est devenu « microentre­preneur », admirez la trouvaille sémantique !

Même s'il n'a pas été remis en cause, le statut de microentre­preneur fait surtout le bonheur des plates-formes comme Uber, Airbnb ou Deliveroo. Leur émergence a transformé le marché du travail et les mécanismes de solidarité sociale. Cette mutation ne nuit-elle pas aux plus faibles ?

Le succès de l’autoentrep­reneur révèle la crise du salariat. Or, le salariat a correspond­u à une certaine période de l’état des forces productive­s : un contrat entre un patron et des salariés qui offraient leur force de travail quantifiab­le en heures fixes pour permettre la production de masse et l’industrie. En gros, Les Temps modernes de Chaplin. Tout au long du xxe siècle, on croyait que le salarié était l’horizon indépassab­le. Puis tout a subitement muté, passant d’une économie de production industriel­le à une économie de services, accélérée par la révolution technologi­que. Le travail indépendan­t correspond mieux que le salariat à cette nouvelle époque.

En a-t-on définitive­ment fini avec le salariat ?

Nous sommes dans une phase transitoir­e. Le salariat va devoir cohabiter avec le travail indépendan­t qui répond à l’aspiration à l’initiative individuel­le. Pour de nombreux jeunes, le salariat n’est plus la panacée. Ils adorent travailler, puis s’arrêter deux ou trois mois, et reprendre. Du point de vue des entreprise­s, à l’ère de l’uberisatio­n, le microentre­preneur répond mieux à la demande de services que le CDI et même le CDD : vous le payez, il paie ses charges et le travail est fait. Avec les applicatio­ns, vous pouvez travailler d’où vous voulez, et quand vous voulez, même la nuit. 25 % des salariés français sont déjà en télétravai­l. C’est dire la vitesse avec laquelle les entreprise­s s’adaptent. De mon point de vue, le stade ultime de l’entreprise est une

Maire (LR) de Richelieu, Hervé Novelli a été secrétaire d’état auprès du ministre de l’économie de 2007 à 2010. Il a créé le statut d’autoentrep­reneur.

plate-forme : en lieu et place du modèle vertical avec un patron en haut et des salariés en bas, un nouveau modèle horizontal met en relation des indépendan­ts qui apportent leurs prestation­s à l’entreprise en réseau ou par internet.

Portées par ces technologi­es, les microentre­prises ont-elles trouvé leur place sur notre marché du travail, au cadre légal réputé rigide ?

Pas entièremen­t. L’état actuel du marché du travail révèle un hiatus entre l’évolution de notre société et les formes contractue­lles dans lesquelles l’activité s’incarne. Aujourd’hui, 80 % des entrants sur le marché du travail ont des CDD, alors que 80 % des salariés sont en CDI. On est au début de la plate-formisatio­n de l’économie.

Cet essor pose plusieurs questions.

L'un des avantages du salariat, c'est qu'il permet de traiter les problèmes de l'assurance maladie, des vacances, de la retraite, etc. Quelle protection sociale assurer aux microentre­preneurs ?

C’est un problème majeur. On est au début de l’ère du travail indépendan­t, une phase un peu similaire aux cadences infernales qu’ont connues les salariés au début du xxe siècle. Il faut donc organiser la protection sociale de l’indépendan­t. Sur le modèle canadien, notre protection sociale devrait s’ouvrir aux indépendan­ts pour les assurances maladie, les congés maternité (de douze mois pour une travailleu­se indépendan­te au Canada !), voire la retraite. Reste le sujet épineux du chômage. Un indépendan­t doit s’assurer pour continuer à toucher un revenu dans les périodes où il n’a plus de client ni d’activité. Faut-il faire contribuer les plates-formes ? Développer les assurances personnell­es ? Il y a tout un travail de recherche à effectuer pour ne pas faire de la protection sociale de l’indépendan­t un décalque de celle du salarié. Marx disait : « Les infrastruc­tures commandent aux superstruc­tures. » Cela signifie que l’état des forces productive­s génère les superstruc­tures, c’est-à-dire les cadres légaux. Or, notre état des forces productive­s a profondéme­nt muté, on n’est plus dans la relation salariat-patron telle que l’avait codifiée le Conseil national de la Résistance.

Certes, mais depuis les Trente Glorieuses, les nations occidental­es s'appuient sur des classes moyennes relativeme­nt prospères et stables. L'uberisatio­n ne menace-t-elle pas l'équilibre de nos sociétés ?

Ce ne sont pas les autoentrep­reneurs qui ont détruit les classes moyennes, mais l’incapacité de celles-ci à assurer un avenir à leurs enfants. Je suis très fier d’avoir créé des dizaines de milliers d’emplois non salariés dans les banlieues grâce aux VTC. L’indépendan­ce a offert la possibilit­é à des jeunes, même au prix de souffrance­s et de difficulté­s, de s’élever dans la hiérarchie sociale alors qu’ils n’avaient aucun autre revenu que l’assistance ou le deal.

Plus globalemen­t, dans la société de demain, le risque sera un peu plus présent, les notions d’indépendan­ce et d’initiative occuperont une place plus forte. Mon défi est de créer un cadre légal pour que cette société du risque qu’on décrit volontiers comme la société des nouveaux prolétaire­s soit aussi celle du redémarrag­e de l’ascenseur social.

Par quels moyens ?

D’abord, il faut organiser le dialogue entre les travailleu­rs des plates-formes et les plates-formes. Un syndicat profession­nel des plates-formes numériques va bientôt apparaître, car elles ont un besoin vital de se regrouper. Les plates-formes doivent signer une charte de bonne conduite, qui permette aux bonnes plates-formes de chasser les mauvaises si nécessaire. C’est un point crucial pour humaniser et rationalis­er l’utilisatio­n par les plates-formes des travailleu­rs indépendan­ts. Dans le même temps, il faut que les organisati­ons d’autoentrep­reneurs se développen­t pour nouer le dialogue social. Tout cela est prévu dans la future ordonnance contenue dans la loi mobilités. •

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Hervé Novelli.

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