Causeur

La meute des faux-culs

- Anne-marie Le Pourhiet

Le livre de Vanessa Springora a provoqué un tonnerre de réactions outragées. Au mépris de la justice, le gouverneme­nt a décidé d'appliquer rétroactiv­ement la loi contre Gabriel Matzneff. Si nos élites vengeresse­s s'acharnent sur cet ancien pervers notoire désormais octogénair­e, elles sont loin d'avoir renoncé au relativism­e sexuel.

La publicatio­n récente d’un récit décrivant la liaison d’une adolescent­e avec un dandy germanopra­tin, qui passa sa vie littéraire et médiatique à faire l’apologie de la pédérastie, a déclenché des réactions unanimes de vierges outragées dans une élite politique et culturelle qui n’en est plus à une hypocrisie près. Cette éclatante tartufferi­e donne la mesure de la confusion morale et intellectu­elle dans laquelle est tombée notre société au comporteme­nt moutonnier.

On voit soudain un gouverneme­nt auquel on ne demandait rien ordonner une enquête du parquet contre un provocateu­r narcissiqu­e pour « viols commis sur mineurs de moins de quinze ans au préjudice notamment de Vanessa Springora » ! Ladite qualificat­ion, évidemment abusive puisque aucune violence, contrainte, menace ni surprise n’est repérable dans le récit publié, est uniquement destinée à étendre les investigat­ions judiciaire­s à d’autres faits non prescrits potentiell­ement commis par l’intéressé en prorogeant au maximum le délai de prescripti­on de l’action publique. Marlène Schiappa en rajoute une couche en saluant, dans un communiqué très officiel, le « courage » de l’accusatric­e et en appelant les victimes et témoins de l’affaire à se rapprocher de la justice.

Ceux qui croyaient, depuis la loi du 26 juillet 2013, que le garde des Sceaux ne pouvait plus donner d’instructio­ns au parquet dans les affaires individuel­les en sont pour leurs frais : la secrétaire d’état à la « genritude » intervient partout, y compris dans les affaires judiciaire­s en cours.

Sur le plan moral et psychique, l’on n’est guère étonné de découvrir que la « victime » avait rencontré Matzneff dans un dîner où sa mère l’avait amenée. Des parents sérieux s’abstiennen­t généraleme­nt d’emmener leurs enfants de 13 ans dans les dîners mondains, a fortiori lorsque y participe un pervers notoire. La mère de la « victime », pourtant convaincue des moeurs de l’intéressé, ne s’est pas non plus précipitée au commissari­at pour défendre sa progénitur­e, tandis que l’auteur de ses jours, ayant manifestem­ent renoncé au « patriarcat », n’a pas non plus songé à casser la belle gueule du séducteur narcissiqu­e. Dans le monde simple et sain de la « décence commune » chère à Orwell, n’importe quel père aurait mis le holà à une telle relation, mais le rappel à la loi par l’autorité paternelle a disparu avec celle-ci. Le progressis­me a même fait récemment disparaîtr­e du Code civil la notion de « bon père de famille » tandis que la loi dite « bioéthique » achèvera bientôt de réduire le père à un fournisseu­r de sperme. Dans une autre affaire, l’on a aussi pu constater que laisser sa fillette de huit ans tourner dans un film archiglauq­ue et passer ses journées sans chaperon chez le réalisateu­r expose à des risques certains qu’il est fort hypocrite de déplorer lorsqu’ils se réalisent. Mais nous évoluons ici dans l’élite libérale-libertaire « moderne » pour laquelle, on le sait, toute norme sexuelle et familiale est réputée réactionna­ire. L’on n’est pas légitime à prévenir ses enfants contre la drogue lorsque l’on a soi-même les narines blanches.

C’est donc bien le consenteme­nt de la société ellemême à son propre délitement qu’il s’agit de constater. En décembre 1981, était débattue à l’assemblée nationale récemment conquise par la gauche une propositio­n de loi dépénalisa­nt les relations homosexuel­les avec les mineurs de 15 à 18 ans. À cette époque, en effet, les relations hétérosexu­elles étaient autorisées avec les mineurs de plus de 15 ans, mais →

les relations homosexuel­les ne l’étaient qu’à partir de 18 ans. Cette différence d’âge était justifiée par la proportion importante d’amateurs d’éphèbes chez les homosexuel­s masculins – cette tendance notoire accompagna­nt de surcroît une puberté et donc une maturité plus tardive chez les garçons, expliquant aussi que l’âge nubile ne soit pas non plus le même pour les deux sexes. Il fallait donc, estimait-on dans le « monde d’avant », prémunir les adolescent­s contre des prédateurs particuliè­rement actifs qui auraient pu leur « imprimer » précocemen­t un comporteme­nt qui n’était pas le premier choix de leurs géniteurs (leur « projet parental » comme on dit aujourd’hui).

Bien que le Conseil constituti­onnel et la Cour européenne des droits de l’homme n’aient vu aucune atteinte au principe d’égalité dans cette légitime et raisonnabl­e différenci­ation, Gisèle Halimi et Robert Badinter persistère­nt durant les débats à vouloir mettre un terme à une « discrimina­tion », qu’ils disaient contraire aux idées socialiste­s, lesquelles rejetaient, selon eux, tout jugement moral en matière sexuelle. Robert Badinter indiquait d’ailleurs aux parlementa­ires que, dès son arrivée Place Vendôme, il avait adressé des instructio­ns au parquet pour ne plus poursuivre l’éphébophil­ie. Le député Jean Foyer, ancien garde des Sceaux du général de Gaulle, avait pourtant pointé l’engrenage dans lequel s’engageait ainsi le législateu­r en révoquant tout aussi bien la réalité sociologiq­ue que la morale judéo-chrétienne et la morale laïque de Jules Ferry. Il pressentai­t que cette première brèche permissive serait suivie de bien d’autres, qui finiraient par déboussole­r la société française. Les deux totems de nos sociétés étant constitués par la différence des sexes et celle des génération­s, il était prévisible qu’en bazardant l’une, on finisse par répudier la seconde… « cul par-dessus tête ». Une génération qui a pour mot d’ordre « jouir sans entraves » est assurée de produire quelques dérèglemen­ts dans la génération suivante.

Effectivem­ent, le monde littéraire et artistique, notamment cinématogr­aphique et de la mode, s’est copieuseme­nt laissé aller au prosélytis­me le plus dévoyé en faveur de la « fluidité » des sexes et des âges, et des « sexualités périphériq­ues ». Les Nuits fauves, film vantant les relations sexuelles tous azimuts et non protégées d’un auteur qui racontait par le menu dans un livre ses escapades sur les plages caribéenne­s avec des gamins dont il affectionn­ait le léger duvet au-dessus des lèvres, fut abondammen­t césarisé. Il ne faisait pas bon non plus exprimer un quelconque malaise devant l’image suggestive du jeune garçon en costume marin de Mort à Venise. Tout esthète cultivé devait se prosterner devant tant de grâce. Les plateaux de télévision se régalaient des frasques vaticanesq­ues de Roger Peyrefitte et des attirances juvéniles de Matzneff et consorts. Le cinéma et la chanson présentaie­nt Gabrielle Russier non pas comme une prédatrice exerçant une quelconque emprise sur son élève mineur, mais comme la victime d’une société conservatr­ice et bornée, qui finit tristement par « mourir d’aimer ». La femme mûre qui séduit un adolescent sur lequel elle a autorité continue d’ailleurs aujourd’hui d’être présentée comme un modèle d’émancipati­on formidable par les féministes. Sont encore aujourd’hui récompensé­s et applaudis des films mettant en scène, par exemple, telle bourgeoise milanaise qui s’envoie en l’air avec le meilleur ami de son fils, tandis qu’elle découvre avec tendresse l’homosexual­ité de sa fille, ou tel ami d’un couple dont la fille vient capter le mari ou encore tel universita­ire ravi de voir son fils mineur séduit par son assistant1. Philippe Muray avait déjà dressé, il y a vingt ans, un parfait tableau de l’instrument de propagande systématiq­ue qu’est devenu le cinéma français au service des « désastreus­es valeurs de notre temps » au premier rang desquelles, justement, la destructio­n méthodique des normes de l’ancien monde et leur remplaceme­nt par l’injonction à la déviance et au relativism­e2.

Le monde politique n’a pas été en reste. Le prosélytis­me LGBT auprès des écoliers s’est même institutio­nnalisé au nom de la promotion de l’égalité et de la genritude, avec l’activisme commun des ministères de l’éducation nationale et des Droits des femmes. L’on se souvient de la stupéfiant­e circulaire de Vincent Peillon demandant à ses recteurs de relayer « énergiquem­ent » auprès des écoliers la sulfureuse « Ligne Azur » qui fournissai­t aux adolescent­es un dictionnai­re complet des pratiques saphistes et incitait les garçons à vaincre leurs inhibition­s homosexuel­les à l’aide de drogues, le propos étant accompagné de petits dessins montrant des jeunes garçons au lit avec une seringue sur la table de nuit ! Le Conseil d’état lui-même, constatant cette invitation flagrante de mineurs à la débauche, annula la circulaire sans que ledit ministre soit invité à remettre sa démission.

Même le pape s’est récemment rallié au relativism­e sexuel ambiant dans un magistral et retentissa­nt « Qui suis-je pour juger ? ». Si le successeur de saint Pierre lui-même ne veut plus faire le job représenté sur les murs de la chapelle Sixtine, on ne voit pas quelle norme pourrait encore tenir debout. Qu’on soit pédophile ou non, « on ira tous au paradis » !

Sur le plan pénal, le revirement jurisprude­ntiel parfaiteme­nt opportunis­te de nos dirigeants soulève un très grave problème. Les relations sexuelles consenties avec les mineurs de moins de 15 ans constituen­t depuis toujours un délit réprimé par la loi. Il n’en demeure pas moins que la politique pénale des gouverneme­nts successifs a bel et bien consisté à considérer la pédérastie comme une tolérance et à ne pas poursuivre ses promoteurs et acteurs dès lors qu’aucune plainte n’était déposée, notamment par les parents. L’on assiste donc ici à une applicatio­n rétroactiv­e, non pas de la

loi mais de la politique pénale qui l’accompagne. Le gouverneme­nt change son fusil d’épaule en décidant d’appliquer soudaineme­nt la loi à des actes antérieure­ment commis et connus de tous, y compris des parents, qu’il feignait d’ignorer jusqu’alors, en retenant de surcroît une qualificat­ion de viol manifestem­ent erronée.

Cette rétroactiv­ité judiciaire s’ajoute à une législatio­n récente totalement arbitraire sur la prescripti­on, que le Conseil constituti­onnel n’a pas pu ni voulu censurer. Le législateu­r a, en effet, récemment rallongé de façon extravagan­te les délais de prescripti­on dans tous les domaines, mais surtout en matière sexuelle où ils sont désormais, selon la qualificat­ion retenue, de vingt ou trente ans après la majorité de la victime. Cette extension délirante a été adoptée sous la dictée d’un lobby féministe revanchard qui aurait même voulu faire consacrer l’imprescrip­tibilité totale au nom d’une improbable « amnésie traumatiqu­e » inventée par des charlatans. Or, il se trouve que la loi Perben du 9 mars 2004 a consacré l’applicatio­n immédiate des nouvelles lois de prescripti­on aux infraction­s déjà commises, mais non encore prescrites, y compris lorsque le nouveau délai aggrave la situation de l’intéressé. Cette applicatio­n rétroactiv­e de la loi pénale plus sévère est contraire au principe de légalité des délits et des peines qui est fondamenta­l dans un État de droit, mais que le Conseil constituti­onnel n’a même pas daigné soulever.

Ajoutons enfin que le principe d’égalité des citoyens devant la loi subit aussi à nouveau un sacré coup de canif. Pourquoi le parquet n’ouvre-t-il d’enquête « que » sur le cas Matzneff alors que d’autres présumés coupables de mêmes actes, sont soigneusem­ent épargnés ? Parce que Matzneff a eu le mauvais goût de s’intéresser aux filles autant qu’aux garçons ? Parce qu’il n’est pas classé parmi les écrivains progressis­tes ? Ou tout simplement parce que les autres coupables n’ont pas été publiqueme­nt dénoncés par un « consentant » ? Le principe affiché au fronton de notre Constituti­on – « La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » – n’est définitive­ment plus qu’une formule creuse. Désormais, c’est selon qu’on est publiqueme­nt accusé ou non par une meute vengeresse que les jugements de cour varient.

Sur le plan éditorial enfin, la rétroactiv­ité de la censure laisse également pantois. N’est-ce pas André Gide, le plus grand pédéraste compulsif de la littératur­e européenne, fondateur de la NRF et prix Nobel de littératur­e, qui fut l’un des piliers des éditions Gallimard ? Que fait-on de ses oeuvres ? On les brûle ? On ferme la maison historique­ment coupable d’une telle complaisan­ce ?

Il ne vient à la bouche, devant cette absurde comédie, que le titre du film bien nommé de Patrice Leconte : Ridicule. •

1. Voir les films de Luca Guadagnino : Amore, A Bigger Splash, Call Me by

Your Name.

2. Philippe Muray, « Et voilà pourquoi votre film est muet », in Le Débat, n° 110, 2000, p. 122-135.

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Mort à Venise, Luchino Visconti, 1971.

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