Causeur

RENTRE AVEC TES PIEDS

- Par Jean-paul Lilienfeld

Au moment où j’écris, les métros recommence­nt à rouler. Pas encore totalement, mais l’améliorati­on est si sensible que je tiens à manifester toute ma reconnaiss­ance et mon « soutien » aux grévistes de la RATP sans qui nous n’aurions pu ressentir la chance que nous avons de pouvoir prendre le métro, parfois sans embûches.

À tous ces travailleu­rs qui se sont sacrifiés pour nous, je voue une reconnaiss­ance éternelle. Je sais que je ne suis pas le seul puisque les sondages, nous dit-on, montraient et montrent encore un très fort soutien à cette grève. Mais je tiens absolument à apporter ma pierre à l’édifice des louanges d’une France reconnaiss­ante. Et puisque tout le monde n’a pas la chance d’avoir une chronique dans Causeur, j’en profite pour donner la parole à quelques personnes de mon entourage.

Florence, 47 ans, enseignant­e

Chers grévistes, Depuis le 5 décembre, je fais 8,4 kilomètres à pied à raison de quatre fois par semaine. Grâce à vous, je fais 14 000 pas par jour, ce qui ne m’était plus arrivé depuis la fois où le pneu de ma voiture de location avait crevé en pleins Causses, à un endroit où mon mobile ne passait pas. Les experts de la santé conseillen­t 10 000 pas par jour, or il a été démontré que les gens d’aujourd’hui marchent en moyenne 5 000 pas par jour. C’est pourquoi je vous suis extrêmemen­t reconnaiss­ante de me permettre de prendre ainsi soin de ma forme physique et par là même d’aider à combler par ces mesures préventive­s le trou de la Sécurité sociale, essentiell­ement dû aux gras des patrons qui mangent du homard au foie gras de caviar et à leurs gros cigares qui encrassent leurs poumons. J’avoue avoir été déçue de voir arriver les vacances de Noël et avec elles la fin de mes délicieux trekkings, et c’est avec joie et une paire de baskets toutes neuves que j’ai réattaqué les cours début janvier. Hélas ! Mon bonheur n’aura été que de courte durée en 2020. C’est pourquoi je vous mets 19 pour votre action plutôt que la note maximum, mais encore un tout petit effort et... Mademoisel­le Castillon

Guy, 39 ans, producteur de fromage

Chers grévistes,

Ma reconnaiss­ance va vers vous qui m’avez libéré de l’esclavage. Avant votre action salu

taire, mon entreprise tournait trop bien. Je fabriquais des fromages que plusieurs restaurant­s de la région parisienne spécialisé­s dans la cuisine auvergnate m’achetaient et j’étais donc astreint à une traite quotidienn­e pénible, levé à 5 h 45, couché à pas d’heure après avoir fait toute la comptabili­té et paperasser­ie administra­tive auxquelles je suis astreint. Certes, je ne prétends pas atteindre vos niveaux de pénibilité, vous qui devez rester assis derrière les manettes du métro pour des services de trois heures de temps qui vont même parfois jusqu’à plus de quatre heures ! Mais je suis sûr que vous comprendre­z que dans ma modeste mesure, je sois parfois un peu las après mes dix-sept heures de travail quotidien.

Ce n’était pas une vie !

Grâce à votre sacrifice, depuis que les Parisiens ne peuvent plus circuler, ils ne vont plus au restaurant. Mes clients n’ont donc plus besoin de mes fromages. Cela m’a permis de lever le pied. Et même les deux pieds puisque je n’avais quasiment plus de commandes. J’étais bien tranquille ! Malheureus­ement, vous n’avez pu prolonger votre blocage humaniste et il a bien fallu reprendre le train-train quotidien comme disent les cheminots. Quelle tristesse ! Quel dur retour à la réalité ! Je tiens vraiment à vous remercier pour cette parenthèse enchantée que vous avez eu la bonté de m’offrir.

Votre Guytou

P.S. : s’il y a un peu de rab sur vos cagnottes de grévistes, pourriez-vous m’en envoyer un peu ? Les traites viennent de tomber et si je ne trouve pas rapidement de solution, mon matériel va être saisi…

Karen, 33 ans, coiffeuse

Chers grévistes, Ce petit mot pour vous remercier de m’avoir permis d’échapper aux assauts répétés de mon mari qui m’obligeait à faire l’amour presque tous les jours, moi qui suis végane !

J’ai ouvert il y a six mois avec ma cousine Fatima un tout petit salon de coiffure à la sortie du métro Alma-marceau. Habitant en grande banlieue toutes les deux, nous n’avons eu d’autres choix que de mettre un matelas dans l’arrière-boutique, afin de pouvoir assurer l’ouverture en alternance, chacune regagnant son domicile par ses propres moyens un jour sur deux. Rapidement, j’ai découvert le bonheur de dormir tranquille­ment sans craindre d’avoir à refuser de faire mon devoir conjugal. Ce bienêtre inconnu m’a rapidement conduit à proposer à Fatima d’assurer la garde deux jours sur trois. Certes, le personnel étant réduit de moitié, nous avons dû refuser la moitié des clients et réduire d’autant notre chiffre d’affaires. Mais la chasteté a-t-elle un prix ?

Grâce à vous, j’ai compris que je devais divorcer de ce porc et j’ai fini par assurer toutes les ouvertures de notre salon. Sous prétexte qu’il se trouvait juste à leur niveau, certaines clientes grincheuse­s n’ont pas aimé le fumet dégagé par mes dessous-de-bras (que je ne pouvais laver qu’au bac à shampoing) et ont saisi cette occasion pour se désolidari­ser de notre grève en allant chez le Dessange de l’avenue George-v, ce trust capitalist­e du cheveu. Il est certain qu’un ou deux brushings par vingt-quatre heures ne pouvaient suffire à payer les frais généraux. Mais sachez que je ne regrette absolument pas mon soutien et le mois de janvier ayant été plutôt clément je n’ai jamais eu réellement froid sous le pont de l’alma. Votre dévouée camarade

Voilà, j’espère que ces trois témoignage­s poignants suffiront à faire taire les méchantes langues qui prétendent que les sondages montrant que la population vous soutient sont bidon, ou plutôt, qu’étant faits sur un panel de Français plutôt que de Francilien­s, ils recueillen­t majoritair­ement l’avis de personnes qui ne sont pas impactées par la grève. Un de mes collègues néoréactio­nnaire a osé reprendre à ce sujet la célèbre phrase de Coluche : « Moi non plus je ne suis pas raciste, mais il n’y a pas d’étrangers dans mon immeuble. »

D’autres encore osent dire que vous vous battez pour conserver vos avantages, aujourd’hui injustifié­s pour la plupart, et surtout iniques quant aux âges de départ et au mode de calcul (sur le dernier semestre, soit 1/50e du temps de calcul du privé, âge de départ à 57 ans pour les sédentaire­s, durée d’assurance exigée très inférieure à celle du régime général des autres salariés, et surtout ceux du privé, avantages en nature pour les retraités, etc.). Tout cela financé à hauteur de 3,9 milliards (chiffres Cour des comptes 2017) par les finances publiques pour RATP et SNCF réunies !

Comment ces jaunes peuvent-il être aussi ingrats alors que vous avez su, chers camarades, redonner tout son sens à notre bien-aimé sigle RATP : « Rentre avec tes pieds. »

Soyez certain que je n’oublierai jamais ce que vous avez fait pour moi... •

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