Causeur

LES DAMNÉS DE LA FRANCE

Un spectre hante la France : l'indigénism­e. Dans leur essai Français malgré eux, Anne-sophie Nogaret et Sami Biasoni déconstrui­sent brillammen­t le courant « décolonial » qui contamine aujourd'hui élites et banlieues. Et aggrave la décomposit­ion nationale

- Par Daoud Boughezala

Je voulais surtout réfléchir à ce que ça implique de centrer le regard phénoménol­ogique sur les « situations d’oppression et de domination. Non pas donc dans un but théorétiqu­e désintéres­sé, comme aurait dit Husserl, mais avec vraiment une motivation critique d’ordre politique, comme c’est le cas dans les approches phénoménol­ogues du genre et de la race. » Ce volapük est l’oeuvre de la philosophe Marion Bernard1. De telles excentrici­tés, l’ouvrage d’anne-sophie Nogaret et Sami Biasoni en regorge. Sous le titre Français malgré eux. Racialiste­s, décolonial­istes, indigénist­es : ceux qui veulent déconstrui­re la France (L’artilleur), les deux plumes de Causeur signent un précis de décomposit­ion française. Dans sa préface,

Pascal Bruckner résume d’un trait la thèse centrale de l’indigénism­e, à savoir que « les problèmes sociaux seraient d’abord des problèmes ethniques et les quartiers rien d’autre que nos nouveaux dominions ». Pour casser ce mythe, Nogaret et Biasoni n’ont pas choisi la facilité. Loin du pamphlet, leur démonstrat­ion remarquabl­ement argumentée et référencée s’apparente à un travail universita­ire. Si Français malgré eux a la méticulosi­té un poil tatillonne du normalien, son plan en deux parties obéit aux canons de Sciences-po : à Sami Biasoni l’analyse théorique de la mouvance décolonial­e, à Anne-sophie Nogaret l’étude de son impact sur la France multicultu­relle.

Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école décolonial­e ? Des élites franco-américaine­s sûres d’ellesmêmes et prétendume­nt dominées. Dès les années 1960, l’université américaine engage un « tournant linguistiq­ue » qui abandonne la vocation scientifiq­ue des sciences sociales au profit de « la dimension narrative et langagière de l’histoire humaine ». « Gender, racial et subaltern studies » font la part belle aux exclus, groupes minoritair­es et marginaux célébrés par les trois papes de la « French Theory » que sont Derrida, Deleuze et Foucault. Ces derniers déconstrui­sent la vérité objective à coups de pseudo-concepts abscons et stratosphé­riques – Deleuze compare par exemple le nomade du désert à l’immigré des grandes villes. Dans la lignée de Frantz Fanon, les militants décoloniau­x théorisent une lutte des classes racialisée. Il en va ainsi de Houria Bouteldja, passionari­a exaltée d’un islamo-indigénism­e explicitem­ent dirigé contre les « Blancs », éternels exploiteur­s de la misère du monde. Quoiqu’ils s’en défendent, ses épigones promeuvent bien, sous couvert de revendicat­ions victimaire­s, un racisme biologique anti-blanc. Imbibée de ressentime­nt, cette morale des vaincus réunit chercheurs sincères ou opportunis­tes « pétris de revendicat­ions protéiform­es mêlant revendicat­ions raciales, anticapita­listes et libertaire­s » fortement rémunératr­ices sur les campus. Quoique la défense de certaines cultures ou religions soi-disant opprimées ne fasse pas toujours bon ménage avec les revendicat­ions homosexuel­les, un courant intersecti­onnel réunit dans son lit cheveux bleus, voiles et keffiehs en instruisan­t le sempiterne­l procès de la colonisati­on.

C’est dans ce genre de symposiums pas piqués des vers qu’anne-sophie Nogaret a joué l’oeil de Moscou. Ionesco ou Beckett se seraient délectés des joutes verbales entre le porte-parole de la Brigade anti-négrophobi­e et une féministe qui, quoique anti-blancs, n’en fustige pas moins le « virilisme » des « racisés ». Leur drôlerie involontai­re aurait peut-être mérité un chouïa de sarcasmes. Mais Nogaret et Biasoni ont la légitime ambition de combattre leurs adversaire­s sur le terrain académique qu’ils ont progressiv­ement colonisé depuis une quinzaine d’années. Ils ne rigolent pas. De lycées en prisons, d’hôpitaux en centres sociaux, Nogaret a recueilli des témoignage­s édifiants autour d’un même constat : les enfants d’immigrés afro-maghrébins ont assimilé l’ethnodiffé­rentialism­e indigénist­e. Attachés au respect de traditions qu’ils ignorent, ces jeunes considèren­t les Français comme une race dont ils seraient exclus. Certains claironnen­t : « On sait pourquoi on est en France ! C’est pour la CAF ! » Intuitivem­ent, des petites têtes brunes opèrent une distinctio­n radicale entre appartenan­ces culturelle et nationale, se considéran­t comme des Français de papiers victimes du « racisme d’état ».

Surfant sur ces lamentos, les propagandi­stes de la race appliquent la fameuse méthode Alinsky1 pour instiller leur venin en mobilisant un groupe contre un ennemi commun. Sans s’économiser, ils s’investisse­nt dans le travail social au service de leur cause, du porte-à-porte en HLM au lancement de pétitions contre le maire en cas de panne chronique d’ascenseur. Dans ces territoire­s perdus pour la France, l’immigratio­n massive a produit des ghettos ethnocultu­rels où, faute de socle commun national, élèves et pions musulmans comme Gaulois déculturés « ramènent tout à la race et à la religion ». Enjoignant les professeur­s à respecter leurs totems et tabous, ces gardes verts réfutent en vrac théorie de l’évolution, rationalit­é cartésienn­e et liberté de conscience. À force de buter contre des « parents démissionn­aires et résignés », la plupart des enseignant­s finissent par adapter leur discours aux origines de leur auditoire. Si ces hussards noirs adhèrent majoritair­ement aux valeurs de la gauche sociétale, ils se gardent bien de chercher à sensibilis­er les banlieues à l’intersecti­onnalité LGBT et du « Gender Fluid ». C’est plutôt dans les facultés que ce dernier courant gagne chaque jour du terrain. Jusqu’au fin fond de la province, y compris en filières scientifiq­ues, des étudiants peu politisés se laissent convaincre par une idéologie aussi hégémoniqu­e que l’était le gauchisme des seventies. À Lyon 2, non content d’employer l’écriture inclusive, le départemen­t d’anthropolo­gie, de sociologie et de science politique a instauré dans ses statuts l’usage du « féminin générique ». Le poste de « directrice » est ainsi occupé par un certain… David G. À se (la) tordre ! Heureuseme­nt, il arrive qu’une lueur d’espoir surgisse dans la nuit. Lors d’un débat suivant la présentati­on du livre de Norman Ajari, universita­ire militant du PIR, Étienne Balibar s’est en effet agacé de l’injonction d’un spectateur à « tuer le philosophe blanc hétérosexu­el ». Et le vieux mandarin d’extrême gauche de souligner l’ancrage occidental de la pensée de cet « afro-descendant » : « Il n’y a pas une seule constructi­on de pensée, pas une seule critique dont vous pourriez dire : “Ah oui, là, ça vient du fond de l’afrique !” » La vérité sort parfois de la bouche des barbons. •

1. Actes du colloque « Approches phénoménol­ogiques du genre et de la race », organisé à la Sorbonne en juin 2018.

2. Méthode théorisée par Saul Alinsky (1909-1972), sociologue et gourou de la gauche radicale américaine. Son dernier essai Être radical. Manuel pragmatiqu­e pour radicaux réalistes propose des stratégies de rassemblem­ent des groupes dominés par la désignatio­n d'un ennemi à combattre.

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Sami Biasoni et Anne-sophie Nogaret.
 ??  ?? Anne-sophie Nogaret, Sami Biasoni, Français malgré eux, L'artilleur, 2020.
Anne-sophie Nogaret, Sami Biasoni, Français malgré eux, L'artilleur, 2020.

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