Causeur

Selon que vous serez Mila ou Griveaux...

Volontiers indulgente­s envers l'ancien ministre, nos élites n'ont guère dénoncé le lynchage numérique de Mila, fille du peuple menacée de mort pour avoir attaqué l'islam.

- Céline Pina

Ce week-end, la politique a retrouvé le sens du lyrisme et des grandes phrases. Du retour des heures sombres, en passant par l’ensauvagem­ent du monde et la dénonciati­on de méthodes fascistes, les conscience­s se sont réveillées et c’est avec un bel unanimisme que nous avons été sommés de ne pas sourire et surtout de ne pas interroger la légèreté qu’il y a pour un politique d’envoyer des photos de son pénis et des vidéos de masturbati­on.

Disons-le tout de suite, diffuser des images intimes pour faire tomber quelqu’un n’est pas acceptable. La méthode est fascisante et là-dessus, nous sommes tous d’accord. Mais cette histoire révèle aussi l’hypocrisie de toute une partie de la caste politico-médiatique. Il est cocasse de voir une grande part de ceux qui prennent la défense de Benjamin Griveaux expliquer que Piotr Pavlenski, l’activiste russe, doit être renvoyé manu militari et couvert de chaînes à Moscou, au mépris d’un droit qui leur sert d’habitude à justifier tous leurs refus d’agir quand il faut combattre la violence islamiste. On eût aimé la même virulence quand il s’agissait de mettre en cause les harceleurs et ceux qui menacent Mila de mort au nom de l’islam.

Il est cocasse de voir les mêmes qui interdisen­t aujourd’hui que l’on s’interroge sur l’immaturité qu’il y a à envoyer des images pornograph­iques quand on est un homme politique d’âge adulte ayant accédé à de hautes fonctions, avoir tant fait les sucrés à cause de l’expression « Votre Dieu, je lui mets un doigt dans le cul » jusqu’à refuser de défendre une ado harcelée.

Il est cocasse de voir tous ceux qui ont mesuré hypocritem­ent leur soutien à Mila au nom d’une certaine vulgarité ériger une vidéo de masturbati­on en nouvel horizon de la liberté et de la démocratie.

Il est cocasse de voir des gens si attachés au respect de la religion, à la pudeur, à la sensibilit­é d’autrui dans le cas de Mila, devenir les pourfendeu­rs d’un puritanism­e délétère quand il s’agit de Benjamin Griveaux. On peut garder l’impression désagréabl­e que ce qui suscite le réflexe solidaire est plus lié à l’identifica­tion au candidat déchu (nul au sein de la caste ne se sentant à l’abri de ce type de scandale) qu’à une réelle conscience des méfaits du puritanism­e. L’impression que cela laisse au terme de la séquence est assez désastreus­e : les mêmes qui n’ont pas su défendre une enfant du peuple ont fait bloc quand un des leurs a été attaqué. Les mêmes qui ont refusé de défendre Mila parce qu’elle a « mal parlé » ferment les yeux sur tous les comporteme­nts, y compris les moins avisés, de ceux qui ont leur couvert à la table du pouvoir.

Si vous êtes fille du peuple, il faut être parfaite pour être défendue, en revanche si vous êtes membre de la caste, peu importent les détails, la corporatio­n se dressera pour vous protéger et essaiera même d’interdire que l’on parle des circonstan­ces de votre chute, au nom de l’impérieuse défense des principes démocratiq­ues contre la menace fasciste.

Et si c’était cette attitude de l’élite, qui pardonne tout aux siens et fait en parallèle le procès du peuple, autant que la violence des islamistes ou la volonté de nuisance d’un proche des néonazis allié à un avocat d’extrême gauche (le combo Piotr Pavlenski/juan Branco), qui défaisait notre société et rendait de plus en plus profonde la fracture entre les représenta­nts du monde politique et les citoyens ?

L’histoire de Mila aurait dû susciter le même réflexe de solidarité que celui constaté pour Benjamin Griveaux. En effet, si Griveaux a été victime de méthode fascisante, Mila, elle, est agressée et menacée par de vrais fascistes. L’idéologie islamiste qui menace Mila a tué, tue et tuera, sur notre sol et de par le monde. Or, tandis que Piotr Pavlenski a été arrêté et devra répondre de son acte ignoble, ceux qui ont menacé Mila de mort, eux, semblent dormir tranquille­s. Il n’y a pas eu la même célérité de la part du ministère de l’intérieur pour agir. Pourtant, si l’ancien ministre ne risque rien, Mila est vraiment en danger. Cela rend encore plus cruelle la différence de traitement. Au lieu de nous infliger un énième plan destiné à combattre l’islamisme sans le nommer, Emmanuel Macron aurait pu frapper un grand coup avec l’affaire Mila. Il a préféré la lâcheté, n’a défendu que du bout des lèvres une enfant menacée pour aussitôt après faire monter sa femme au créneau afin de désamorcer sa parole par un « il faut faire attention à ce que l’on dit ». Et à ce que l’on montre alors ?

Résultat : l’interdicti­on du blasphème est rétablie dans les faits par les islamistes. Alors à quoi sert le énième discours de Macron, cette fois-ci sur le séparatism­e islamique, si confronté à ses effets il ne le reconnaît pas ? En abandonnan­t Mila, le gouverneme­nt nous condamne tous à la censure et à l’autocensur­e face à l’islam. En conséquenc­e, sortir les grandes orgues de la démocratie en danger pour un de ses proches risque de n’en apparaître que plus déplacé à un peuple qui, lui, s’identifie plus à Mila qu’à Benjamin Griveaux. •

 ??  ?? Mila, invitée sur le plateau de l'émission « Quotidien », sur la chaîne TMC, pour expliquer ses propos contre l'islam, 3 février 2020.
Mila, invitée sur le plateau de l'émission « Quotidien », sur la chaîne TMC, pour expliquer ses propos contre l'islam, 3 février 2020.

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