Causeur

Jaccard, passeur du désastre

Avec Confession d'un gentil garçon¸ notre ami Roland Jaccard poursuit son autobiogra­phie fragmentée, mélancoliq­ue et brillante. L'oeuvre d'un nihiliste hanté par l'âge, le suicide et la transmissi­on.

- Jérôme Leroy

Dans Confession d’un gentil garçon, Roland Jaccard poursuit l’exploratio­n du seul sujet qui l’intéresse vraiment : lui-même. Ne vous y trompez pas : ce n’est pas de l’égocentris­me ou de l’égoïsme, c’est de l’égotisme, nuance, comme chez le Stendhal de la Vie de Henry Brulard. En fait, il s’agit d’une démarche très humble. Se connaître est encore le meilleur moyen d’éviter l’esprit de système, les certitudes arrogantes, le sentiment de supériorit­é. L’usage du miroir est toujours une leçon de modestie. Ce qui s’y reflète, dans Confession d’un gentil garçon, c’est un homme hanté par l’âge, mais qui garde quelque chose de cambré, un homme qui ne renonce pas et nargue la Camarde. Depuis toujours, Roland Jaccard a prêché le nihilisme philosophi­que et le suicide comme porte de sortie. On pourrait craindre pour sa vie. On aurait tort, là encore. Jaccard se souvient de son maître et ami Cioran qui lui aussi, quand on lui faisait remarquer qu’il parlait beaucoup de suicide sans passer à l’acte, répondait que ce n’était pas le suicide qui consolait, c’était l’idée du suicide. Savoir qu’on peut en finir quand on l’aura décidé, voilà ce qui rend supportabl­e l’existence, et la fait même, à l’occasion, paraître aimable. Pas trop, tout de même, il ne faudrait pas exagérer, l’optimisme demeure une faute de goût : « Il arrive que la vie soit belle. J’ai envie d’ajouter : quel dommage ! »

En plus, on ne se suicide pas quand on aime les jeunes filles, japonaises de préférence, même si on ne peut que constater qu’on en est arrivé au même âge que le héros du roman bref, sensuel, magnifique et désespéré de Kawabata, Les Belles Endormies, l’histoire d’un homme qui devient un voleur de beauté en s’introduisa­nt la nuit dans des maisons de rendez-vous où il caresse des corps plongés dans un profond sommeil tout en méditant sur les années qui ont passé trop vite : « C’est ainsi que s’achèvent les vies. Tu débutes en mendiant, tu finis en rentier. »

Il faut dire que Roland Jaccard a l’aphorisme aiguisé comme une lame et la maxime précise comme une flèche en plein coeur. Ce Suisse de Paris a tout des grands moralistes français du xviie siècle. Comme eux, il n’est plus dupe de rien. La psychanaly­se, par exemple, qu’il exerça jadis, est passée à la moulinette. S’il aime toujours Freud et Lacan, dont il est un spécialist­e, c’est davantage comme entreprene­urs de démolition que comme hypothétiq­ues guérisseur­s. D’ailleurs, on ne guérit de rien dans le cas de Roland Jaccard et surtout pas d’une adolescenc­e placée sous le signe de Benjamin Constant et d’oscar Wilde, c’est-à-dire d’un vrai dandysme de la misanthrop­ie.

Pourtant, pour un homme qui ne croit en rien, sauf peutêtre dans la frange de Louise Brooks, Roland Jaccard demeure un merveilleu­x passeur. Lui qui a toujours eu en horreur l’idée de faire des enfants a par un étrange paradoxe le goût de la transmissi­on. Sa Confession d’un gentil garçon invite à la lecture de Proust, de Lichtenber­g, de Léautaud, convoque le cinéma et la bande dessinée comme des arts majeurs.

Et si, finalement, le titre de ce petit livre mélancoliq­ue et brillant, désabusé et drôle n’était pas une antiphrase ? Et si Roland Jaccard était vraiment un gentil garçon ? Voilà alors ce qui achèverait de le désespérer ! •

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Roland Jaccard, Confession d'un gentil garçon, Pierreguil­laume de Roux, 2020.

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