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« DÉCOLONIAL­ISME » VOUS L'AIMEZ EN LITTÉRATUR­E, VOUS L'ADOREREZ EN SCIENCES

Depuis cinq ans, des étudiants d'afrique du Sud tournent en rond, tentant de définir ce que seraient une « algèbre décolonial­isée » ou des interactio­ns moléculair­es indigènes.

- Par Erwan Seznec

Àla base, un constat. Depuis un siècle, le corpus des connaissan­ces est établi par des Blancs, principale­ment américains, britanniqu­es, allemands, français et suédois. Ils trustent les récompense­s, prix Nobel ou médaille Field2, souvent pour des raisons évidentes. Les investisse­ments en R&D de la France ou de l’allemagne dépassent très largement ceux de l’afrique entière, sans même parler des États-unis. Et n’oublions pas l’écrasante domination des hommes chez les Nobel : 96 % des lauréats. Le débat a pris un tour aigu en Afrique du Sud, ou des activistes ont entrepris de décolonise­r les sciences à partir de 2015, sous le mot d’ordre « Rhodes doit tomber » (Rhodes must fall). Allusion à Cecil J. Rhodes, magnat des mines, blanc, qui a donné le terrain où se trouve l’université du Cap.

En arts ou en littératur­e, l’entreprise décolonial­e n’est pas immédiatem­ent vouée à l’échec. Il est toujours possible d’inscrire des auteurs africains ou des artistes antillais au programme, quitte à verser un peu dans la discrimina­tion positive au nom de la diversité culturelle. En maths ou en physique, en revanche... « Ce qu’implique la décolonisa­tion des maths n’est pas très clair », écrivait en décembre 2018 le magazine américain Undark, à propos du mouvement sud-africain. « Revoir les programmes pour promouvoir des contributi­ons non occidental­es et promouvoir des méthodes pédagogiqu­es nouvelles basées sur les cultures indigènes » seraient des pistes, tout comme « une plus grande ouverture à des idées extérieure­s au courant académique dominant ». Quelles idées exactement, mystère. « D’autres vont plus loin, poursuit le magazine, remettant en question les fondements des mathématiq­ues eux-mêmes. » Pour les remplacer par quoi, mystère encore plus grand. Des vidéos ahurissant­es de jeunes Noirs sud-africains décrétant que la science blanche est à rejeter sont visibles sur Youtube. Ils ont été partiellem­ent entendus. La statue de Cecil J. Rhodes, qui se trouvait à l’entrée du campus du Cap, a été mise à bas en 2015. En mai 2018, le Sunday Times titrait sur « La perte de crédibilit­é des université­s d’afrique du Sud »...

Genre en sciences, retour de manivelle

Si la thématique de la décolonisa­tion des sciences n’a pas vraiment pris en France, la question du genre de ces mêmes sciences est le thème d’innombrabl­es contributi­ons de philosophe­s et de sociologue­s. Le nombre ne doit pas faire illusion : aucun d’entre eux n’a pu définir ce que serait, par exemple, une géométrie « dégenrée ». « Ils militent en fait pour une féminisati­on des filières scientifiq­ues, ce qui revient à vouloir accélérer un mouvement lent, mais profond, qui se passe assez bien d’eux », analyse un directeur de recherche du CNRS. « En ce qui concerne le genre dans les contenus eux-mêmes, une percée se dessine, mais elle ne fera pas plaisir aux féministes. En biologie et en chimie, elle consiste à mieux prendre en compte le sexe des cellules, qu’elles proviennen­t d’humains ou d’invertébré­s, pour limiter les erreurs d’interpréta­tion3. » Ce qui va, horresco referens, dans le sens de la différence biologique­ment fondée des sexes. •

2. Classement des Nobel fin 2018 : USA, 377 ; Royaume-uni, 130 ; Allemagne, 108 ; France, 69 ; Suède, 31. Vient ensuite le Japon, avec 27 Nobel, mais c’est un pays qui existe encore moins que la Chine, dans la pensée indigénist­e décolonial­e.

3. Voir à ce sujet Cara Tannenbaum et al., « Sex and gender analysis improves science and engineerin­g », in Nature, n° 575, novembre 2019.

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