Causeur

Un coeur pur

Le Fantôme de Laurent Terzieff, de Jacques Richard Sortie le 18 mars

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Il aura donc fallu attendre plus de dix ans pour qu’un film documentai­re digne de ce nom rende un hommage à la figure de Laurent Terzieff, cet immense acteur de théâtre et de cinéma. « De ceci et de cela », pour reprendre la belle formule qu’il avait employée en recevant un Molière, prônant, sur scène et pour le théâtre, « le rire et les larmes, le plaisir et le divertisse­ment, le ceci et le cela ». Soit la coexistenc­e, sinon des contraires, du moins des différence­s entre les formes de cinéma et de théâtre notamment. Refusant absolument les frontières étanches et les catégories abstraites, Terzieff se posait ainsi en figure tutélaire d’un art du spectacle total et non divisible en petites chapelles étriquées. C’est le premier mérite du passionnan­t documentai­re de Jacques Richard qui, classiquem­ent, alterne entretiens actuels, archives et extraits de pièces et de films. Et de ce classicism­e-là, on se réjouit fortement : toute autre forme alambiquée aurait assurément desservi un propos qui se met au service de Terzieff comme luimême se mettait au service de son art.

La figure durement émaciée et marquée par la maladie des dernières années a peut-être effacé de nos mémoires l’incroyable beauté de ce jeune premier au visage de loup des steppes. Le film vient utilement rappeler la place qu’il occupa dans le cinéma des années 1950 et 1960 : Terzieff fut l’un des Tricheurs de Carné, aux côtés de Belmondo, et l’un des Garçons de l’italien Bolognini. Tout comme il fut, s’il vous plaît, le partenaire vedette de la star Bardot dans À coeur joie de Serge Bourguigno­n, même si de l’aveu de Terzieff, il s’agissait d’un « effroyable navet » ! Il se paya également le luxe de refuser d’aller à Hollywood pour jouer aux côtés de Marilyn Monroe, au motif qu’il triomphait alors sur une scène parisienne. Le voyant un jour dans un film de François Weyergans (c’est l’écrivain-cinéaste lui-même qui le raconte), Jack Nicholson, sidéré par le jeu de Terzieff, glissa à son voisin de salle, Dennis Hopper : « Mais on n’a pas ça à Hollywood ! »

Au cinéma, le « ceci et le cela » de Terzieff s’inscrit dans la liste des cinéastes sous la direction desquels il a tourné : de La Patellière et Godard, Autant-lara et Demy, Joffé et Pasolini, Clouzot et Berri, entre autres. Sans oublier Buñuel qui lui dit un jour que les acteurs ne sont que d’abominable­s « paresseux ». Ce que Terzieff, le metteur en scène de théâtre, ne pouvait qu’approuver, lui qui exigeait tout et tant de ses acteurs, comme certains d’entre eux, faussement en colère et vraiment pétrifiés d’admiration, le rapportent dans ce documentai­re.

Si la filmograph­ie de Terzieff est impression­nante, c’est en effet au théâtre qu’il aura réellement vécu une sorte d’apostolat et d’engagement total. Ce que son camarade Jean Rochefort résume dans une terrible formule lors de ses obsèques : « Moi, souvent je me suis trahi. Lui, jamais. » De fait, Terzieff sur scène, comme acteur et metteur en scène, c’est au service de Claudel, Pirandello,

Adamov, Rilke, Genet et tant d’autres auteurs contempora­ins, une volonté farouche de faire entendre le texte. Avec un perfection­nisme proche de la folie, comme le raconte Fabrice Luchini à propos d’un malheureux éclairagis­te pris en défaut par Terzieff lors d’une représenta­tion. Un autre acteur de renom, Philippe Laudenbach, se souvient également de ce metteur en scène « responsabl­e de tout », portant sur ses épaules le spectacle tout entier, dans ses moindres recoins et détails. Pas question alors de venir aux répétition­s sans savoir son texte au cordeau. Pas question non plus de contester la moindre indication scénique émanant du patron Terzieff. Brûlant d’un feu intérieur, persuadé que le théâtre peut changer le monde, Laurent Terzieff apparaît, grâce à ce film inspiré, comme le dernier des

Mohicans. •

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