Causeur

J'AI BIEN CONNU JEAN DANIEL

- Par Basile de Koch

Coup sur coup, la mort de Jean Daniel et le coronaviru­s ! Un mois difficile à traverser pour l'humanité. En ce qui me concerne, je vous parlerai surtout de Jean, parce que je l'ai mieux connu que le Covid-19, du moins à l'heure où j'écris ces lignes.

ÉLOGE FUNÈBRE DE LA GAUCHE NON SECTAIRE vendredi 28 février

Hommage national à Jean Daniel aux Invalides. Pour Macron, c’est déjà le neuvième. Du coup, rompu à l’exercice, le chef de l’état sait trouver les mots d’emblée : « C’était une grande conscience de la gauche. » Je n’aurais pas dit mieux, sauf à ajouter une phrase de lui qui me l’a toujours rendu sympathiqu­e : « La vérité me paraît être le plus souvent dans le complexe, dans le contradict­oire. » Jean Daniel manifeste là une absence de sectarisme, j’allais dire une ouverture d’esprit, rare chez les siens, au point qu’on l’y a souvent pris pour un tiède, voire un traître.

« Penser contre soi-même », chacun sait comme l’exercice est difficile. Mais combien plus encore lorsqu’on est persuadé d’incarner le Progrès ! Quand on est dans le camp du Bien, on ne transige pas avec le Mal.

Il y a toujours dans la gauche un peu de Terreur qui sommeille. Pas chez Jean Daniel. Bien que structurel­lement progressis­te, il avait compris depuis longtemps où mènent les « avenirs radieux ». Dès lors, il n’eut plus qu’un seul but, éviter le pire, et une seule méthode : le compromis.

Hélas ! Un demi-siècle durant, toutes ses belles constructi­ons éditoriale­s ont été systématiq­uement balayées par un vent mauvais, mais pas vraiment nouveau : la volonté de puissance soufflant dans les rapports de force (Allégorie).

Sauf erreur, aucune des grandes suggestion­s daniélesqu­es ne s’est jamais concrétisé­e, ni en politique intérieure ni a fortiori en politique étrangère. Ça ne l’a pas empêché de continuer à plaider jusqu’au bout, avec un enthousias­me intact, pour ses solutions de bon sens – à condition bien sûr de changer la nature humaine.

UN MONDE PARFAIT vendredi 6 mars

Samedi dernier, double page « Idées » dans Le Monde : « Les années 1970-1980, âge d’or de la pédophilie. » Un dossier accablant pour toute l’élite intello-médiatique de l’époque – sauf Le Monde, figure-toi.

En 15 000 signes denses, le quotidien ne trouve pas de mots assez durs pour condamner cette perversion criminelle qui passait alors, s’indigne-t-il, « pour une pratique sexuelle “alternativ­e” ».

Dans un étonnant exercice de name dropping, il livre à la vindicte mondaine des listes d’apologiste­s de la pédophilie, mais pas n’importe lesquels : essentiell­ement des personnali­tés disparues, ainsi que deux ou trois publicatio­ns marginales de l’époque (Recherches, la revue introuvabl­e de Félix Guattari, ou l’improbable journal maoïste Tout !…)

Ainsi Le Monde se croit-il dispensé de mettre en cause les autres pédophilop­hiles de l’époque : ceux qui sont toujours vivants et en activité, à commencer par lui-même. Un seul exemple, mais qui vaut son pesant de faux-culterie : évoquant une fameuse pétition de 1977 pour la libération de pédophiles emprisonné­s, le journalist­e livre complaisam­ment les passages les plus croustilla­nts du texte, ainsi que 20 signataire­s. Il oublie juste de mentionner où cet appel douteux est paru : à sa une !

Apparemmen­t, le texte incriminé serait de la plume de Gabriel Matzneff. Il faut dire qu’à l’époque, M le Maudit était dans les petits papiers du Monde, par Sollers et Josyane Savigneau interposés – jusqu’à ce que le journal lui ouvre directemen­t ses colonnes, de 1977 à 1982.

Quarante ans plus tard, le même Monde découvre soudain avec horreur que son poulain a « soutenu l’insoutenab­le », voire « célébré l’incélébrab­le »… Que dire de ce « quotidien-de-référence » qui condamne aujourd’hui des crimes et délits dont il fut naguère complice, juste parce que c’était tendance ? Qu’il devrait être définitive­ment déconsidér­é. Il ne l’est pas. C’est toute une époque, comme disait ma grandmère.

Pour la prochaine fois, je propose au Monde un dossier accablant sur le thème « 1972-1977 : les zélateurs français des criminels khmers rouges ». Et si jamais ils manquent d’illustrati­ons, je leur suggère leur propre une du 18 avril 1975 : « Atmosphère de liesse dans Phnom Penh libérée ».

« POUBEL OBS » :

HISTOIRE SECRÈTE D'UNE PARODIE MORT-NÉE samedi 14 mars

Pour en revenir à Jean Daniel, sa mort à 99 ans et demi m’a fait irrésistib­lement penser à ma propre nécro, parue dans le mensuel Jalons il y a trente ans :

« […] La nouvelle de sa disparitio­n a bouleversé ses amis, qui le croyaient mort depuis longtemps. »

Du coup, ça m’a rappelé que mon unique contact avec l’ami Jean, hélas peu concluant, concernait précisémen­t Jalons. L’anecdote, qui date de 1987, était restée inédite ; mais maintenant qu’il est mouru, il y a prescripti­on.

Jean Daniel était alors – comme depuis toujours, me semblait-il déjà à l’époque – patron du Nouvel Obs. Plus étonnant, il avait pour directeur de la rédaction Franz-olivier Giesbert, qui devait peu après occuper les mêmes fonctions au Figaro.

C’est ce FOG qui eut l’audace de recruter notre bande de pasticheur­s déjà sulfureux, pour parodier l’hebdo officiel de l’intelligen­tsia dans ses propres colonnes. Sans me vanter, c’était couillu de sa part ; et le mieux, c’est que ça a failli marcher !

Notre mission, si nous l’acceptions : concocter un supplément de huit pages (textes et dessins) à encarter au milieu du journal, à l’occasion de je-nesais-plus-quel-anniversai­re. Côté Jalons, pas de problème éthique majeur ! Être payé pour caricature­r les travers de l’idéologie dominante à travers un de ses canaux historique­s, et à sa demande, c’est une offre qui ne se refuse pas. On s’en est donc donné à coeur joie, dans les limites de la common decency jalonienne bien sûr.

Le jour où j’ai soumis notre Poubelobs à l’ami FOG, en présence notamment des camarades Pierre Bénichou et Guy Sitbon, l’ambiance n’était pas à la morosité. Les éclats de rire fusaient, on lisait des passages à haute voix, et je rosissais de bonheur… Las ! Un de nos plus grands succès, « L’éditorial de Jack Daniels », fut la cause de notre perte. Apparemmen­t, Jean n’a pas apprécié son vrai-faux papier, au point de faire une colère. Même pas question de corriger : tout à la poubelle, ou je démissionn­e ! FOG m’a appelé pour m’expliquer le drame : « Désolé, l’opération est annulée. Mais ne t’inquiète pas, vous serez payés comme convenu. À condition évidemment de ne pas publier ça ailleurs… » On a été payés, on n’a pas utilisé la copie – et depuis, de toute façon, Barjot a rangé.

CONFINEMEN­T & CONSÉQUENC­ES Dimanche 29 mars

OK, j’ai fini par lire le Goncourt 2019.

Que celui qui, en quinze jours de confinemen­t, n’a fait aucune connerie me jette le premier pavé ! •

 ??  ?? Jean Daniel (à gauche sur la photo), Vatican, 1985.
Jean Daniel (à gauche sur la photo), Vatican, 1985.

Newspapers in French

Newspapers from France