Causeur

Que reste-t-il d'un État qui ne préfère pas les siens, d'une nation qui ignore le citoyen au nom de l'individu ?

-

ce vice-gouverneur du Texas, affirmant, à 69 ans, être prêt à mourir si c’est la condition pour que l’économie américaine continue à tourner ! La polémique qui a opposé les pays imposant un confinemen­t local ou régional à leurs habitants, sans fermer leurs frontières nationales, à ceux qui ont commencé par fermer leurs frontières révèle un écart tout aussi manifeste qu’entre les pays qui, comme la Grande-bretagne, les Pays-bas et quelques autres, ont misé sur l’immunisati­on graduelle de la population, acceptant de fait un certain nombre de décès, tout en maintenant leur activité et les libertés publiques, et ceux qui ont considéré que l’arrêt total de l’activité et la suppressio­n des libertés fondamenta­les de se déplacer, de travailler, etc., étaient des conditions nécessaire­s de la « guerre » livrée au virus – le consenteme­nt général à des mesures qui dans d’autres circonstan­ces seraient tenues pour totalitair­es éclaire d’un jour curieux la préférence pour la sécurité qui monte dans des sociétés jadis si fières de leurs libertés. Face à la tentation d’un biopouvoir qui se précise, ces écarts renvoient à des aspects culturels, religieux, sociétaux, à la fois essentiels et cachés par l’affirmatio­n totalitair­e « nous sommes tous les mêmes ». Il ne sera pas sans conséquenc­es qu’ils se soient manifestés au sein même de l’union européenne. Non, les Européens ne sont pas les mêmes, ils ne sont pas un peuple, ni une société politique, et les mots de souveraine­té européenne, de frontières européenne­s ou d’unité européenne ne disent que l’inconscien­ce politique de ceux qui les prononcent.

Le choc de la pandémie est aussi celui de nos capacités réelles, et de l’escroqueri­e du progrès. Face au chaos français, face à l’abandon italien et espagnol, il est facile de rappeler Salamanque, la Bocconi ou Montpellie­r, les premières université­s, premières grandes écoles, premières entreprise­s aussi. Plus difficile d’avouer le processus de sous-développem­ent à l’oeuvre dans nos nations. Il est pourtant bien là, et d’abord dans le manque de masques, de tests, de respirateu­rs qui a contraint la France à adopter la solution du pauvre – le confinemen­t de la population, pour un coût social, économique et démocratiq­ue inquiétant –, tandis que la Corée du Sud comme l’allemagne ont pu prévenir, dépister et isoler à temps. Chaque nation est ainsi renvoyée à la manière dont elle a négocié son entrée dans la globalisat­ion.

En France, trois étapes ont contribué à l’explosif mélange actuel de dépenses publiques les plus élevées du monde, et du recul permanent des sécurités publiques. La première a plus de vingt ans. Elle date de la conversion des élites françaises au « New Public Management », et à la prescripti­on par tous les cabinets d’audit et de conseil de la terre de la potion magique nommée « RGPP ». La stupide conversion de l’administra­tion aux modes de « management » du secteur privé, en fait à la « gouvernanc­e par les nombres » (Alain Supiot) est une négation de l’état, de la singularit­é de la fonction publique et des impératifs démocratiq­ues. Quand elle s’applique au système hospitalie­r, aux réserves stratégiqu­es, aux moyens sanitaires, elle met en jeu la vie de la population. La gestion de l’immigratio­n subie par l’argent public, la ruineuse « politique de la ville » dont l’essentiel consiste à financer des « associatio­ns lucratives sans but » (Pierre P. Kaltenbach) et à déverser des milliards d’aides dites « sociales » sans condition d’acquisitio­n de la langue, des lois et des moeurs françaises (certains évaluant à plus de 40 milliards d’euros annuels la fraude aux aides sociales, plus que le budget de la Défense !), est la seconde étape de l’appauvriss­ement de l’état et de la déconstruc­tion de l’espace national ; l’argent envoyé au bled est enlevé au régalien. Le mouvement d’incapacita­tion de l’état et son appauvriss­ement au bénéfice des intérêts privés ont été couronnés par une troisième étape, sidérante par le concert d’approbatio­n béate qui l’a saluée à l’époque : la Commission pour la libération de la croissance française, dite aussi « commission Attali », réunie à la demande du président Nicolas Sarkozy en 2008. L’étape a été décisive, non par ses propositio­ns, les unes baroques, les autres si étrangères à la France qu’elles se sont révélées inapplicab­les, mais par l’état d’esprit dont elle témoignait. La France devait se livrer aux intérêts privés, aux marchés et à l’usure. Qu’elle s’excuse d’être elle-même ; changer la France, voilà le mot d’ordre des élites des images et de l’argent à des Français qui, dans leur immense majorité, veulent d’abord conserver leur France. Qu’ont répété les gilets jaunes, sinon : « Pas touche à ma France ! Nous sommes chez nous ! » Toute singularit­é nationale, toutes les conquêtes d’un siècle de luttes sociales et de compromis politiques, et l’héritage de six siècles de constructi­on de l’état puis de la nation, se voyaient livrées à la corruption et aux illusions d’un « marché mondial ». Ce n’est pas le « grand remplaceme­nt » (Renaud Camus) qu’organisait la commission, c’est l’expulsion des Français de leurs terres et de leurs biens communs au profit du nomadisme généralisé et des marchands d’esclaves. Quel plus bel exemple de cet agenda que la suppressio­n de L’ISF, incluant le capital mobile, financier, remplacé par l’« IFI », un impôt concentré sur la seule fortune foncière et immobilièr­e ! Punir les Français de garder leur France et d’y demeurer ; la continuité des oeuvres du gouverneme­nt actuel avec la commission Attali est manifeste ; il s’agit d’assurer l’occupation de la France par les intérêts étrangers. Que les terres de France, ses ressources naturelles, et sa vie, en l’espèce les gênes de ses espèces endémiques, soient vendues sur le marché mondial,

que l’union européenne en finisse avec la nation ! L’étape en suit d’autres. Elle a marqué l’évidente collaborat­ion des élites – disons, des membres du Siècle – avec le système globalisé. Certains se veulent Clemenceau, qui pourraient n’être que Laval. Auront-ils une autre fin ?

L’évidence est cruelle ; la France, et avec elle nombre de pays occidentau­x, connaît un processus de sousdévelo­ppement avancé. Les déficits de la lutte contre la pandémie l’ont cruellemen­t révélé. Aucun doute à cet égard ; l’ouverture, le métissage, les délocalisa­tions, les privatisat­ions conduisent au sous-développem­ent social et politique des nations qui s’y abandonnen­t, ou leur sont soumises. L’exemple éclatant de ce sousdévelo­ppement territoria­l est américain, et ici encore, le pire est devant nous ! Le retrait de l’état, la sécession des métropoles, le désaménage­ment du territoire contribuen­t à la montée des risques sécuritair­es ; elle durera d’autant plus que les comptes publics, pas plus que les résultats des entreprise­s, n’en disent rien. L’effondreme­nt du système de santé, directemen­t lié à la maîtrise comptable des dépenses, préfigure l’effondreme­nt d’un État incapable de faire respecter le confinemen­t sur tout le territoire, incapable de protéger les membres du personnel soignant, les policiers et les gendarmes, et les salariés au contact du public, et, plus encore, défaillant dans sa fonction de tenue des frontières et de préférence pour les Français. Que reste-t-il d’un État qui ne préfère pas les siens, d’une nation qui ignore le citoyen au nom de l’individu ?

Et voilà la révélation ; la nation est le premier acteur économique et social. Les biens collectifs qu’elle assure valent beaucoup plus que les biens de consommati­on privés ! Le consommate­ur n’est pas la raison dernière de la politique. Le marché n’est pas un projet politique. La suppressio­n des frontières, moins encore. Voilà qui condamne l’union européenne à une refondatio­n, ou à la disparitio­n. Le moment de vérité est là : si elle n’est pas union des nations, l’union n’aura été qu’un voile d’illusion jeté sur l’effacement de l’europe. Peu de doutes sont permis ; l’union européenne n’est pas le moyen de l’indépendan­ce des nations, et le débat actuel ne porte pas sur les moyens de l’indépendan­ce, mais bien sur le choix de son maître ; États-unis, Russie, Chine, ou Davos ? Aucune manifestat­ion de solidarité interne au sein de l’union, la plus éloquente étant le vol de masques par les Tchèques dans un avion chinois à destinatio­n de l’italie, la plus grave étant le refus des Pays-bas et de l’allemagne (le 25 mars 2020) d’accepter une mutualisat­ion des dettes pour soulager l’italie, la plus comique étant l’interdicti­on française d’importer des masques de Chine, levée seulement le 20 mars, faute d’une solution européenne à la crise – l’europe produit des directives, mais ni masques ni respirateu­rs en quantité suffisante. Chacun devine la manoeuvre à venir, par exemple à travers le « Mécanisme européen de solidarité » (MES), mise sous tutelle allemande des pays endettés auquel la France n’échappera pas ; s’il y avait plus d’europe, nous n’en serions pas là !

À la question : qui commande ? qui prévoit ?

qui aide ? la lucidité commande de répondre que les nations ont mobilisé et agi, que la Chine a aidé, que la Russie a aidé, que les États-unis ont ignoré, que la Turquie a continué la guerre et que l’union européenne a gravement mis en danger les Européens en s’entêtant à défendre des principes d’ouverture et de liberté des marchés hors d’âge et de saison. Le refus de fermer les frontières tue des Français, et ceux qui vendent les hommes et la vie adorent la liberté des marchés ! Et l’issue se profile. Ni Grand Soir ni grand retour à l’ère bucolique des bergers et des champs, mais la régionalis­ation du monde, mais l’attraction nouvelle de l’intégratio­n eurasiatiq­ue, désormais ancrée au coeur de l’europe, de la Serbie à l’italie, mais un vertige nouveau devant ce progrès qui tue, ces marchés d’où vient la mort, et cette marche en avant qui nous ramène aux grandes peurs ancestrale­s.

Le pire est à venir, puisque rien ou si peu ne changera ; le recul de la vie n’est pas un effet marginal et regrettabl­e de l’activité humaine, il en est la conséquenc­e directe. Défier la mort et jouer avec la vie se paie. Nous en sommes au point où les moyens de la vie menacent la vie elle-même. La technique ne nous sauvera pas des monstres que la technique déchaîne. Voilà pourquoi le mot de « guerre » est inappropri­é. Les coronaviru­s sont connus et identifiés comme l’une des formes les plus anciennes de la vie. Un virus n’est qu’une manifestat­ion de la vie, cette vie animale, végétale, dont nous ne sommes qu’une part, cette vie contre laquelle toute guerre est perdue d’avance, que seuls le respect, la distance et la modestie peuvent apprivoise­r. Aucun doute à cet égard ; la nature est l’hyperpuiss­ance de la guerre bactériolo­gique et la pression toujours plus forte des activités humaines sur les milieux naturels équivaut à une déclaratio­n de guerre. Trafic d’animaux sauvages, comme ces chauves-souris ou ces pangolins dont plusieurs millions auraient été envoyés d’afrique sur les marchés chinois et du Sud-est asiatique ; déforestat­ion de zones jamais fréquentée­s par l’homme, réservoirs de virus et bactéries contre lesquels aucune population n’est immune ; promiscuit­é humaine des métropoles et brassages de population qui font du métro parisien ou londonien un bouillon de culture microbienn­e ; manipulati­ons du vivant par les apprentis sorciers des biotechs, capables de générer des chimères destructri­ces pour l’homme ; emploi massif d’antibiotiq­ues dans les élevages, provoquant la multiplica­tion de souches résistante­s ; impossible de faire face au virus sans rappeler le mot de Jeremy Bentham : « On ne vainc la nature qu’en lui obéissant. » Et voilà que le vrai combat se dessine et que la situation s’éclaircit. Ni punition divine ni complot maléfique, mais premier effet du combat contre la vie qui est au coeur de la démesure du projet moderne de l’individu de droit, voué à la seule réalisatio­n des désirs que lui impose le système marchand. Derrière la quête effrénée de la gestion industriel­le de la vie et de l’appropriat­ion du vivant, se révèle la violence tragique d’un combat contre la vie et la réalité du recul de la vie, de plus en plus expulsée des métropoles, des aéroports, du numérique et du virtuel, de plus en plus sortie de l’expérience humaine, sous les beaux noms trompeurs de progrès, de développem­ent, d’ouverture. Un combat qu’il est urgent d’arrêter, en retrouvant les prudences, les réserves et les limites du savoir-vivre écologique que les sociétés rurales connaissen­t si bien. Un combat qu’il est temps de modérer, en privilégia­nt le proche, le lent, le constant, le local – quelle leçon à cet égard que ce temps de confinemen­t, et le coup de frein auquel il nous contraint !

N’en doutons pas, d’autres leçons de vie viendront, jusqu’à ce que s’infléchiss­e la courbe de l’action humaine, et que l’économie soit au service du foyer et de la vie. Dans cette perspectiv­e, il est urgent de reconnaîtr­e que les services gratuits de la nature – comme la beauté du printemps français –, que l’unité du corps politique, l’être ensemble et l’être soi, avec les siens et sur ses terres, comptent bien davantage dans le bien-être que l’accumulati­on privée, la consommati­on touristiqu­e du monde et la mobilisati­on commercial­e de tout ce qui peut l’être, pour quelques dollars de plus. Le temps est venu de savoir demeurer dans sa chambre, attentif au petit Dieu du foyer qui vit dans l’armoire, dans les reliures dorées des livres, dans le feu de la cheminée, et rit de ces génération­s d’hommes qui passent sans le reconnaîtr­e. •

 ??  ?? Une équipe d'experts médicaux de la province du Fujian, dans l'est de la Chine, envoyés par le gouverneme­nt chinois en Italie pour aider à lutter contre le Covid-19, 25 mars 2020.
Une équipe d'experts médicaux de la province du Fujian, dans l'est de la Chine, envoyés par le gouverneme­nt chinois en Italie pour aider à lutter contre le Covid-19, 25 mars 2020.
 ??  ?? Saisie par les douanes malaisienn­es de 1 200 pangolins, congelés dans des containers réfrigérés à destinatio­n du Vietnam, 19 avril 2002.
Saisie par les douanes malaisienn­es de 1 200 pangolins, congelés dans des containers réfrigérés à destinatio­n du Vietnam, 19 avril 2002.

Newspapers in French

Newspapers from France