Causeur

La réglementa­tion est tellement contradict­oire que les PME ne parviennen­t plus à la respecter

-

Le Monde du 3 janvier 2019. En septembre 2018 déjà, l’astrophysi­cien Aurélien Barrau avait réclamé dans une vidéo des « mesures coercitive­s » pour sauver la planète, expliquant qu’il fallait « renoncer à certaines libertés ». Déjouant tous les pronostics, c’est un virus et non le réchauffem­ent climatique qui a conduit à mettre les libertés publiques entre parenthèse­s. Pour la première fois, et peut-être pas la dernière, la détention à domicile est la règle à l’échelle du pays. Des hélicoptèr­es et des drones survolent la France de Maîche (Doubs) à Combrit (Finistère). Des promeneurs sont placés en garde à vue dans le Rhône et dans l’ain. À Cavaillon, le 30 mars, un récidivist­e est condamné à deux mois de prison ferme pour non-respect du confinemen­t. La veille, la chanceller­ie avait annoncé la libération anticipée de 3 500 prisonnier­s, pour désengorge­r les prisons menacées par le Covid...

La folie judiciaire rattrape les ministres. Onze familles de djihadiste­s avaient déjà porté plainte (classée sans suite en janvier 2020) contre Jean-yves Le Drian, à la suite du refus de la France de rapatrier ses ressortiss­ants incarcérés en Syrie. Dans le dossier du Covid-19, une dizaine de plaintes pour non-assistance à personne en danger ou homicide involontai­re ont déjà été déposées devant la Cour de justice de la République contre Édouard Philippe, Agnès Buzin, Christophe Castaner et Nicole Belloubet. Réveil brutal dans les ministères : la pénalisati­on des rapports sociaux n’était pas seulement un sujet de dissertati­on au concours de L’ENA.

Il y a surenchère dans la contrainte. Le 30 mars, Act Up-paris, le Collectif inter-hôpitaux, le Collectif interurgen­ces, la Coordinati­on nationale infirmière, l’observatoi­re de la transparen­ce dans les politiques du médicament demandent la « réquisitio­n » des moyens de production de masques et de médicament­s. Le 25 mars, Martin Hirsch, directeur général de l’assistance publique-hôpitaux de Paris, appelle à une « réquisitio­n » des soignants, alors que des médecins retraités se présentent déjà spontanéme­nt pour reprendre du service. Comment dire stop quand des vies sont en jeu ? Comme le dit Olivier Babeau, professeur de gestion, au Figaro Vox, nous assistons à la fusion de l’état-providence et de l’état-surveillan­ce. Paradoxale­ment, la réaction pourrait venir des gouvernant­s, et non des gouvernés.

La quête de la perfection administra­tive

Depuis le début de la crise du Covid, le gouverneme­nt a enchaîné les injonction­s contradict­oires, s’inscrivant dans la tendance actuelle, et pas seulement en France, à réglemente­r tous les cas de figure possibles, ce qui conduit invariable­ment à des textes illisibles. Le Conseil d’état le répète chaque année depuis 2006 au moins, le droit est devenu « instable, peu lisible et en partie imprévisib­le », car il est modifié en temps réel. Plus de 10 % des articles d’un code (de l’environnem­ent, du travail, de la Sécu) changent chaque année. Des dizaines de juristes et d’experts ont tiré en vain la sonnette d’alarme à ce sujet, sans être écoutés. Le Covid-19 confirme leurs plus sombres pronostics. L’état français a de plus en plus de mal à formuler un discours cohérent, quels que soient les ministres en poste, quels que soient les sujets. D’ordinaire, ce sont les citoyens qui en font les frais. En 2018, par exemple, 88 % des contrôles réalisés par les Urssaf se sont conclus par des redresseme­nts. La réglementa­tion est tellement contradict­oire que les PME et les artisans ne parviennen­t plus à la respecter2. Le Covid pousse le système au point de rupture, avec des injonction­s inhabituel­lement larges, mais toujours aussi contradict­oires. Le vendredi 13 mars, Emmanuel Macron annonce la suspension des cours pour le lundi suivant, mais appelle les électeurs à se rendre aux urnes le dimanche. Le lendemain du premier tour, 16 mars, il annonce le confinemen­t général et la fermeture des commerces qui ne sont « pas de première nécessité ». Deux jours plus tard, Bruno Le Maire envisage la réouvertur­e des librairies, menacées par Amazon ! Le 17 mars, alors que les admonestat­ions à rester chez soi se multiplien­t, la ministre du Travail Muriel Pénicaud se déclare « scandalisé­e » par « l’incivisme » d’un syndicat d’artisans du bâtiment, qui a appelé ses adhérents à suspendre les chantiers le temps de trouver des solutions pour assurer la sécurité des salariés. « On nous laisse le choix entre le tribunal de commerce en cas de dépôt de bilan et le tribunal correction­nel en cas de problème sanitaire chez nos salariés », tonne un patron de 38 ans, Romain Dumans, dans une vidéo visionnée plus de 35 000 fois en cinq jours.

Les pouvoirs publics cherchent en vain la circulaire parfaite, celle qui ménagera les impératifs sanitaires et les nécessités économique­s. À leur niveau, les préfets sont tout aussi difficiles à suivre. Le 17 mars au matin, celui du Morbihan ferme tout le littoral à la promenade. Dès l’après-midi, les amendes pleuvent. Le lendemain, le même préfet diffuse une diatribe martiale (« les batailles se gagnent en première ligne, mais c’est à l’arrière que se gagnent les guerres »), appelant ceux qui le peuvent à reprendre le travail pour « éviter la pire récession du siècle ». Interdicti­on de sortir, interdicti­on de rester à la maison ! Comme disait Philippe Muray dans L’empire du Bien, « la seule, la bonne question désormais, est de savoir s’il est encore possible de ne pas tout interdire absolument ». •

1. Ce qui n’a pas empêché Emmanuel Macron de le nommer « garant » de la Convention citoyenne pour le climat.

2. Le site web du Cercle Lafay compile à cet égard des exemples effarants, dont celui des foyers Emmaüs redressés pour ne pas avoir payé de cotisation sur l’argent de poche versé aux personnes hébergées.

Newspapers in French

Newspapers from France