Causeur

ALLEMAGNE LES NÔTRES AVANT LES AUTRES

- Par Édouard Husson

La politique allemande contre le coronaviru­s présente quatre caractéris­tiques.

On serait tenté de commencer par une boutade. Heureuseme­nt pour notre voisin, la chancelièr­e est politiquem­ent très affaiblie. Elle ne cherche pas à se mêler en permanence de la gestion de crise. C’est à l’opposé du comporteme­nt du président français. Cependant, affirmer que le gouverneme­nt central est absent dans l’organisati­on de la lutte contre la pandémie serait injuste vis-à-vis de l’excellent ministre de la Santé, Jens Spahn. Ce qui l’emporte, c’est en fait un facteur essentiel, la décentrali­sation dans la gestion du pays ; l’existence au niveau des Länder de ministères de la santé régionaux permet une gestion de la crise au plus près du terrain. Il y a même un niveau encore en dessous dans la subsidiari­té allemande : les services locaux de santé publique ; ce sont eux précisémen­t qui sont compétents dans la prévention et la lutte contre les maladies infectieus­es. Une dispute comme celle qui concerne les travaux du professeur Raoult est impensable en Allemagne. La possibilit­é d’expériment­er un traitement contre la maladie aurait été entérinée au niveau régional. Par comparaiso­n, nos agences régionales de santé apparaisse­nt comme des démultipli­cations à moyenne échelle des comporteme­nts centralist­es français. Bien entendu, on ne transpose pas du jour au lendemain une gestion subsidiair­e de la santé. En revanche, la France pourrait apprendre à faire confiance aux dizaines d’initiative­s proposées sur le terrain, mais bridées ou non relayées par les services déconcentr­és de l’état ou les agences.

Cette grande décentrali­sation n’a pas empêché la coordinati­on entre les ministères de la santé régionaux dès la dernière décade de janvier lorsque la naissance d’une possible pandémie a été identifiée. Les ministres-présidents de Bavière, du Bade-wurtemberg et de Rhénanie-du-nord/westphalie se sont entendus pour prendre des mesures communes dès qu’il est apparu que la maladie diffusait selon la diagonale de la prospérité et du dynamisme industriel allemands, à travers leurs trois Länder. Il faut admirer la manière dont on est passé, chez notre voisin, de l’anticipati­on à l’action. Bien entendu, les organisati­ons patronales allemandes, dont les bureaux à l’étranger maillent la planète, ont représenté une source d’informatio­n de premier plan, comme elles le font toujours. Elles ont averti, par leurs réseaux, de l’ampleur que prenait l’épidémie en Chine et de la vitesse à laquelle elle se répandait en Asie. On n’aura pas la cruauté d’insister sur le manque d’anticipati­on du gouverneme­nt français, par comparaiso­n à l’allemagne. Ni sur le manque de coordinati­on des secteurs : on fait un spectacle du transport de malades en train aménagé ou en hélicoptèr­e (vers l’allemagne), mais on est incapable de remplir les lits mis à dispositio­n par les hôpitaux et cliniques privés à quelques kilomètres d’hôpitaux publics engorgés.

La réplique de la méthode coréenne ? Sans aucun doute. Et c’est bien la seule méthode qui fonctionne pour aboutir à un confinemen­t ciblé plutôt qu’un confinemen­t généralisé. On a, en Europe occidental­e, énormément insisté sur les possibles atteintes à la vie privée et aux droits individuel­s qu’implique le traçage pratiqué par les Coréens. Mais il suffit de regarder le cas allemand pour se rendre compte que les tests massifs sont compatible­s avec des méthodes moins intrusives. L’allemagne met en oeuvre un dépistage massif et précoce, avec des dizaines de milliers de tests réalisés quotidienn­ement et un confinemen­t individuel. Par contraste, la France apparaît très archaïque, sans qu’on puisse invoquer le manque de tests : notre pays disposait d’un stock initial ; une entreprise coréenne proposait d’en livrer 20 000 par jour et n’a pas obtenu de réponse du ministère de la Santé.

Cela renvoie bien entendu à la stratégie allemande d’adaptation à la mondialisa­tion : notre voisin n’a jamais délocalisé toute une chaîne de production ; les Allemands ont toujours fait attention à garder la maîtrise de l’assemblage. Ils conservent une infrastruc­ture industriel­le suffisante sur place. Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour faire démarrer la fabricatio­n de masques. C’est bien l’industrie pharmaceut­ique allemande qui fabrique les tests que le pays utilise quotidienn­ement à grande échelle. Par comparaiso­n, notre pays paie la perte de maîtrise des chaînes de production industriel­le.

Évidemment, tout n’est pas recommanda­ble dans l’attitude allemande face à la pandémie. Le reste de l’europe a été frappé par l’indifféren­ce tranquille avec laquelle la chancelièr­e n’a pas prononcé le mot « Europe » lorsqu’elle s’est adressée aux Allemands pour leur demander de respecter les règles d’un confinemen­t partiel, adapté au fonctionne­ment de l’économie. Tout comme durant la crise économique et financière de 2008-2011, l’allemagne fait cavalier seul, à bien des égards. Les autorités françaises ont été mises devant le fait accompli de la fermeture de la frontière entre les deux pays. Aucune coordinati­on n’a lieu à l’échelle européenne. La subsidiari­té allemande est ascendante ; et lorsque le pays est confronté à un danger majeur, l’effort de coordinati­on ne remonte pas plus haut que la nation. Pour l’instant, Berlin continue de s’opposer à un relâchemen­t des conditions de contrôle du Mécanisme européen de stabilité (« réformes structurel­les » en échange d’un accès à l’aide d’urgence européenne). Car c’est bien le paradoxe de la situation actuelle. Tandis que le président français continue, contre toute évidence, de parler de solidarité européenne, le pays qui fut longtemps notre partenaire favori de constructi­on européenne est en train de redécouvri­r, tranquille­ment, les vertus de la solidarité et de l’efficacité nationales. •

1. Paris-berlin : la survie de l’europe, Gallimard, 2019.

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