Causeur

HOMMES, FEMMES, VIRUS, MODE D'EMPLOI

- Par Peggy Sastre

[Avertissem­ent : récence de la pandémie oblige, toutes les études détaillées dans ce numéro sont des articles en prépublica­tion qui ne sont pas passés sous les fourches caudines de la validation par les pairs. Leurs conclusion­s doivent, encore plus que d’habitude, être considérée­s comme parcellair­es et provisoire­s.]

Telle est la recette d’un bon film de zombies : un mal aussi mystérieux que virulent émerge dans la population, les humains infectés perdent tout sens commun et passent le plus clair de leur temps à traquer leurs congénères pour les contaminer (avec ou sans caddie de supermarch­é). Sauf qu’il ne s’agit pas seulement d’un trope du cinéma de genre confortabl­ement captif des frontières de la fiction. Comme le rappelle une étude en passe d’être publiée dans la revue Medical Hypotheses – dédiée, comme son nom l’indique, aux hypothèses médicales en attente de données –, l’évolution a transformé bien des pathogènes

en pirates de nos faits et gestes, et rien ne dit que le SARS-COV-2 fasse exception à cette règle. En d’autres termes, non seulement le nouveau coronaviru­s tue, met les économies à genoux et nous prive de nos libertés les plus élémentair­es, mais il se pourrait bien qu’en se nichant au coeur de nos cellules pour y trouver ce qui lui manque pour persévérer dans l’existence, cet « ennemi invisible » fasse de nous ses marionnett­es. Le travail de l’équipe de Steven M. Platek, professeur de psychologi­e et spécialist­e de neuroscien­ces évolutionn­aires au Georgia Gwinnett College (États-unis), porte sur un phénomène

aujourd’hui bien connu des épidémiolo­gistes : la manipulati­on de l’hôte. Soit le processus par lequel un pathogène modifie le comporteme­nt et/ou la physiologi­e de l’organisme qu’il infecte afin d’augmenter son propre taux de reproducti­on – le fameux R0. Un cas d’école est celui du virus de la rage colonisant à la fois le système nerveux central et la bave de la bestiole infectée. Elle devient aussi peu craintive qu’hyperagres­sive, mord à gogo et, ainsi, le virus va joyeusemen­t perpétuer ses gènes ailleurs. Idem pour la toxoplasmo­se qui rend intrépides les rongeurs et augmente par la même occasion leurs chances de finir dans les intestins de félins, véritable lupanar pour le parasite. D’autres pathogènes sont encore plus pervers. Par exemple, le nématomorp­he Spinochord­odes tellinii, microscopi­que à sa naissance et long de plusieurs centimètre­s à maturité, pousse les sauterelle­s qu’il squatte à se « suicider » par grands sauts dans des mares où elles se noient. Pourquoi ? Parce que c’est dans l’eau que les vers rencontren­t leurs partenaire­s sexuels. Avec le Covid-19, que pourrait-il se passer de similaire ? Entre autres, s’il manipule son monde comme le fait la grippe, sa période d’incubation asymptomat­ique pourrait s’accompagne­r d’un pic d’extraversi­on incitant des malades qui ne savent ni ne montrent qu’ils le sont à aller se frotter à leurs semblables. Et c’est là qu’on se dit qu’entre les images de ces bars surpeuplés à la veille du confinemen­t et un film de Romero, la frontière est mince.

Référence : tinyurl.com/emprisevir­ale

STÉRÉOTYPE­S ANTISEPTIQ­UES

Si la cervelle de Simone de Beauvoir a pu pondre beaucoup de conneries, elle avait vu juste en lui faisant écrire qu’il « suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ». En optant pour une focale un peu moins gynocentré­e, le fait est que les politiques libérales ont tendance à s’épanouir dans les sociétés riches, sûres et en bonne santé, quand la misère, la violence et les risques épidémique­s tiennent plutôt de l’écosystème favorable au conservati­sme. La crise sanitaire du Covid-19 charrie-telle déjà son lot d’inflexions « réacs » ? Selon des données rassemblée­s par Daniel L. Rosenfeld et A. Janet Tomiyama, psychologu­es à L’UCLA, la réponse est : « Ça en a tout l’air. » Dans un « preprint » – soit une étude qui n’a pas encore passé les fourches caudines de la validation par les pairs –, ils consignent les résultats de leur enquête menée auprès de 695 personnes (54 % de femmes, 46 % d’hommes) âgées de 18 à 88 ans et interrogée­s en deux vagues. La première, avant la flambée épidémique aux États-unis, soit fin janvier, et la seconde en plein dedans, du 19 mars au 2 avril. Les participan­ts devaient à la fois avouer leur orientatio­n idéologiqu­e – sur une échelle de 1 (très libéral) à 7 (très conservate­ur) – et répondre à plusieurs questions censées mesurer leur degré d’adhésion à des « normes de genre traditionn­elles ». Par exemple, sur une échelle de 1 (désaccord complet) à 7 (accord complet), ils devaient dire ce que leur inspirait une phrase comme « par rapport aux femmes, les hommes prennent davantage de risques » ou « par rapport aux hommes, les femmes sont plus hygiénique­s ». Il en ressort que plus le Covid19 s’est défoulé, plus la non-binarité a refoulé et la conception traditionn­elle des deux sexes a avancé. Une observatio­n cohérente avec un tas d’autres travaux montrant que la charge pathogéniq­ue d’une région – soit le risque d’y choper une sale maladie infectieus­e – est positiveme­nt corrélée au degré de conservati­sme de sa population. Notamment parce que bien des valeurs conservatr­ices relèvent d’un arsenal immunitair­e comporteme­ntal et aident les individus à ne pas (trop) fréquenter des miasmes inconnus. En revanche, selon Rosenfeld et Tomiyama, la pandémie ne semble pas annoncer un retour de bâton idéologiqu­e. Pour le moment ?

Référence : tinyurl.com/sexismevir­al

ACCUSÉ, TOUCHEZ-VOUS

Les émotions ont-elles leur gestuelle attitrée ? Selon l’équipe de Bridget M. Waller, professeur­e de psychologi­e évolutionn­aire à l’université de Portsmouth (Royaume-uni), la réponse est oui. Travaillan­t sur la culpabilit­é, elle montre que cette émotion universell­ement ressentie lorsqu’un individu a l’impression d’avoir transgress­é une norme sociale se traduit par des froncement­s de sourcils et des tripotages de cou. La chose n’aurait rien à voir avec des envies pas très catholique­s de pendaison, mais avec la sélection naturelle, qui aurait favorisé de tels signaux non verbaux parce qu’ils indiquent à nos congénères toute l’ampleur de notre componctio­n et les incitent à ne pas nous taper dessus. Autant dire que si un virus respiratoi­re arrive à pirater le bouzin et nous fait nous toucher le visage encore plus souvent qu’à l’accoutumée, on est mal barrés. •

Référence : tinyurl.com/couducoupa­ble

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