Causeur

Ras les masques

- Par Daoud Boughezala

Sur les hauteurs de Belleville, la librairie Le-monte-en-l’air suit toutes les modes de la gauche culturelle : décolonial­isme, féminisme, anticapita­lisme. À la mi-mai, l’un des deux gérants du lieu a pourtant épouvanté son monde en publiant sur la page Facebook du magasin des images du livre pour enfants Je fais mes masques. Clin d’oeil involontai­re à l’actualité sanitaire, la couverture de cet ouvrage de 1931 réédité en 2006 montre deux bambins brandissan­t des masques : l’un à visage de Japonaise, l’autre à la face d’africain. Blackface ! Tout de go, des commentate­urs dénoncent l’insoutenab­le racisme des images. Acculée par sa clientèle virtuelle, la libraire supprime la publicatio­n. Comme le raconte sur Facebook son collègue du Monte-en-l’air Guillaume Dumora, un commentair­e « particuliè­rement virulent laissait entendre que nos livres décoloniau­x, c’était pour faire du business et que nous n’avions plus qu’à organiser des ateliers blackface pour les enfants ». Ulcéré, le libraire envoie alors un message privé pour prendre la défense de son associé. Dans le feu de l’action, il utilise l’expression « tortiller du cul », ce qui le fait taxer de sexisme. Fromage et dessert ! Après la diffusion desdits messages par leurs destinatai­res, le voilà contraint à une longue autocritiq­ue qui se conclut par une formule digne des procès de Moscou : « Le Monte-en-l’air est depuis toujours et à jamais antifascis­te et internatio­naliste. »

Le plus beau dans tout cela, c’est que l’ouvrage incriminé, Je fais mes masques, est signé de la dessinatri­ce soviétique Nathalie Parain, née Tchelpanov­a. D’après la préface, l’auteur propose entre autres « aux petits Français de se fondre dans la peau d’un Noir, d’être fier d’apparaître sous les traits d’un jeune Hindou au turban ou de sourire comme une petite paysanne russe » afin de montrer que « les enfants de la Terre se ressemblen­t par-delà leurs différence­s ». Décontextu­alisé et réinterpré­té, ce viatique multiculti des années 1930 a été mis à l’index comme un vulgaire Mein Kampf. La Tchéka n’est plus ce qu’elle était ! •

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France