Causeur

EN MAI, FAIS CE QU'ON TE PERMET !

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Dans ces heures difficiles pour le pays, je me suis comporté en citoyen modèle. Pas question de foutre en l'air 135 euros ! Et en plus je me suis enrichi intellectu­ellement, notamment au contact d'audiard, Baudelaire et Pinocchio.

M, LE MOT DIT Vendredi 1er mai

Avec Le Monde, je suis abonné d’autorité à M, son supplément hebdomadai­re. La ligne éditoriale de ce magazine est un modèle de contre-programmat­ion. Au sommaire, rien que de l’inédit ; des sujets dont personne n’a parlé nulle part, ni dans les médias ni sur les réseaux. Hélas, parfois il y a une raison. En revanche, dans la livraison d’aujourd’hui, je tombe en arrêt devant une pleine page d’autopub de M, le magazine du Monde pour son podcast culturel, sobrement intitulé « Le goût de M ».

Ils sont cons, ou ils le font exprès ?

LE SPLEEN DU CONFINEMEN­T Dimanche 10 mai

« Ce que je sens, c’est un immense découragem­ent, une sensation d’isolement insupporta­ble, une peur perpétuell­e d’un malheur vague, une défiance complète de mes forces, une absence totale de désirs, une impossibil­ité de trouver un amusement quelconque… Je me demande sans cesse, à quoi bon ceci, à quoi bon cela ? Je ne me rappelle pas être jamais tombé si bas. »

On aura deviné à deux ou trois détaux, à commencer par les guillemets : ces lignes ne sont pas de moi. Dommage ! Elles évoquent si bien le spleen du confinemen­t… J’ai même songé un temps à me les attribuer, mais au dernier moment mes nerfs ont lâché. Pour tout vous dire, Baudelaire, véritable auteur de ce texte, parle ici d’une tout autre affaire. Dans une lettre à sa mère, l’auteur des Fleurs du mal décrit les affres dans lesquelles l’a plongé la réception controvers­ée de son livre. Ça n’a donc rien à voir avec le confinemen­t bien sûr, mais ça aurait pu. Simple affaire de guillemets. La prochaine fois, tiens, je les vire, et on verra bien si quelqu’un le remarque. J’éviterai juste de copier les mecs un peu trop faciles à identifier, genre Booba ou Racine.

AUDIARD = RINGARD !

Michel Audiard aurait eu 100 ans aujourd’hui, et mon Télérama lui fait sa fête.

La critique intelligen­te a toujours eu du mal avec ce titi incontrôla­ble, capable du mauvais comme du pire. Dans une élégante métaphore (à moins que ce ne soit une périphrase), Jean-louis Bory l’avait même nommément traité de merde.

Les décennies passant, il a bien fallu se rendre à l’évidence : le triomphe devenu culte, puis phénomène de société imposait, tout simplement, un autre regard sur l’oeuvre et son auteur.

Télérama a franchi le pas à sa façon, en crabe. Ainsi Les Tontons flingueurs, jadis vilipendés, ont-ils droit désormais à deux prestigieu­x « T » et un petit bonhomme hilare. Mais qu’est-ce qui a changé entretemps, pour expliquer cette volte-face ? Télérama a sa réponse toute prête : « Cette bouffonner­ie déguisée en polar, honnie à sa sortie, ne cesse de se bonifier. » Ainsi donc, ce qui a changé depuis un demi-siècle, ce n’est pas la critique : c’est le film !

Avec une telle mauvaise foi, on peut soulever des montagnes de conneries. Tel est précisémen­t l’esprit du dossier concocté par mon hebdo préféré pour l’anniversai­re de Michel.

La rancune semble tenace. Après un hommage imposé au « président de la réplique », on s’empresse de le ré-enterrer. Sous le titre « La relève se rebiffe », on peut lire ces lignes définitive­s : « À l’art clinquant d’audiard, le cinéma actuel préfère des dialogues mesurés, au service de la mise en scène. Et qui font parler aussi les silences. » C’est beau comme une crèche !

Deux colonnes plus loin, l’enquête a encore progressé, à tel point qu’on dirait une copie de bac : « Le mot d’auteur apparaît donc comme l’ennemi du cinéma d’auteur moderne. » Zéro pointé ! C’est précisémen­t le contraire : le « cinéma-d’auteur-moderne » ne supporte pas le mot d’auteur, c’est même pour ça qu’il est chiant.

CHRONIQUE DOUCE-AMÈRE

Avec toutes ces plaisanter­ies, ce qui me manque, peut-être plus que le cinéma, c’est les affiches de films sur les flancs de bus et les colonnes Morris.

Pendant mes balades quotidienn­es à vélo, l’une de mes distractio­ns favorites était de lire à la volée les extraits de critiques des films nouveaux. Rien que des superlatif­s louangeurs, mais un vocabulair­e limité ; pour qualifier la totalité des films, une douzaine de

substantif­s et d’adjectifs tournants semblent suffire. Dans ce monde de rêve, toutes les fables sont jubilatoir­es, les récits initiatiqu­es et les chroniques doucesamèr­es, et vice versa. Ajoutez à ça une mise en scène « virtuose » et un casting « éblouissan­t » et vous obtenez, selon les cas, la mention « oeuvre puissante », « cinéma dérangeant », voire « film fondateur ».

« Film fondateur » ? S’il y a bien une expression qui m’énerve, c’est celle-là. Quoi de vraiment neuf en fait de cinéma, depuis L’arrivée du cuirassé Potemkine en gare de La Ciotat ?

Bon, on aura l’occasion d’en reparler ; mais pour l’instant l’ambiance est bonne, alors parlons d’autre chose... Vous êtes plutôt Landru, ou Petiot ?

TROIS BONNES RAISONS DE VOIR PINOCCHIO

1) Après les massacres de Gomorra, ce délicieux conte pour petits et glands, visible sur Prime Video, permet à Matteo Garrone de montrer tout l’éventail de ses talents.

2) Le jeu de Roberto Benigni n’a jamais été aussi sobre depuis Down by Law (1986).

3) Surtout, c’est ça ou le Pinocchio « engagé » que Guillermo del Toro concocte actuelleme­nt pour Netflix, avec Mussolini en guest star. C’est vous qui voyez.

JE EST PLEIN D'AUTRES

« Le veau réchauffé est meilleur froid. » Raoul Ponchon

« L’automne raconte à la terre les feuilles qu’elle a prêtées à l’été. »

Georg Christoph Lichtenber­g

« Une femme sans poitrine, c’est un lit sans oreillers. » Anatole France

« Ce que j’ai appris, je ne le sais plus. Le peu que je sais encore, je l’ai deviné. »

Chamfort

« En 2004, Harry’s a inventé le pain de mie sans croûte. »

(Publicité)

« Les enfants viennent trop tard pour faire l’éducation des parents. »

Marcel Pagnol

« Un esprit, c’est comme un parachute. Ça ne fonctionne que quand c’est ouvert. »

Frank Zappa •

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Michel Audiard lisant sa nécro dans Télérama.

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