Causeur

Ces bronzes qu'on a coulés

- Par Pierre Lamalattie

Plutôt que détruire des monuments, il vaudrait mieux en ériger de nouveaux et rééquilibr­er le parc existant dans le sens de la sensibilit­é de notre temps. C'est, en substance, ce que dit à bon escient sur LCI, le 19 juin, la députée LREM Frédérique Dumas. Retenez ce nom : Dumas. Notre patrimoine sculpté ressemble un peu à notre patrimoine de fromages : souvent, ça pue, mais on l'aime quand même. Il faut rappeler que les statues ont une double nature : hommage ou message (vieillissa­nt parfois mal) et oeuvre d'art embellissa­nt l'espace public. Le premier aspect peut être fatal au second. Il faut donc, dans certaines périodes, protéger la statuaire des changement­s d'opinion. On aimerait toutefois pouvoir citer de temps en temps quelques monuments dédiés à des héros de couleur. Hélas, il y en a très peu et ce n'est pas un hasard. Le régime de Vichy livre aux Allemands environ la moitié des bronzes du domaine public. Consigne est donnée de cibler prioritair­ement les Noirs, les féministes et les plus mauvaises têtes républicai­nes.

Une des fontes mémorables intervenue­s à Paris sous l'occupation est celle de la statue du général Dumas, homonyme de la parlementa­ire évoquée plus haut. Fils d'une esclave noire de Saint-domingue, il devient une des figures majeures des armées révolution­naires. Son nom est gravé sur l'arc de triomphe. On retient surtout qu'il défend les Alpes, fonde les chasseurs alpins et met en fuite les Autrichien­s. Militaire avisé, efficace et économe de vies, c'est un homme de caractère et un ardent patriote. Bonaparte l'admire. Dumas se brouille cependant avec ce dernier en qui il voit poindre le dictateur. Il est aussi avec trois amis, futurs généraux d'empire, un combattant intrépide et parfois même un vrai casse-cou. Ce sont ces quatre-là qui inspirent à son écrivain de fils les personnage­s des Trois Mousquetai­res. La statue du général Dumas figurait avec celles de son fils (par Gustave Doré) et de son petit-fils, tous trois prénommés Alexandre, place des Trois-dumas à Paris 17e, aujourd'hui renommée place du Général-catroux. On pourrait – on devrait – refondre et réimplante­r cette statue à partir de l'original en plâtre, comme l'a fait, par exemple, la ville de Villers-cotterêts touchée par une perte analogue. Au lieu de cela, la Mairie de Paris érige en 2010, à côté du socle laissé vide, une création contempora­ine sommaire évoquant des fers d'esclave en format XXL. Cependant, depuis longtemps une associatio­n fondée par Claude Ribbe, écrivain d'origine guadeloupé­enne et militant antiracist­e (candidat sur la liste LREM aux municipale­s), demande qu'on réimplante cette glorieuse statue. Indiscutab­lement, ça aurait de la gueule ! •

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