Causeur

Assa Traoré, payée par la Fondation Rothschild

Si la France entière croit connaître les circonstan­ces de la mort d'adama Traoré survenue dans une gendarmeri­e le 19 juillet 2016, la genèse mondaine du comité qui entend en faire la victime d'une bavure raciste est bien moins connue. Enquête.

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Le 19 juillet 2016, la mort d'adama Traoré est annoncée en début de soirée. Il fait très chaud. L'ambiance est électrique. Des émeutes commencent dès la nuit tombée et se poursuiven­t les cinq jours suivants. Les pouvoirs publics craignent un effet de contagion, comme en 2005, où tout était parti de la mort de deux jeunes poursuivis par la police. Ils sont assez vite rassurés. Les tensions se bornent au secteur de Beaumont-sur-oise, Persan et Champagne-sur-oise, où Adama Traoré avait ses habitudes. Ce n'est pas le coeur de la banlieue, plutôt une zone mixte, mi-village, mi-cité, tout près des plaines et des bois de Picardie, surveillée par les gendarmes et non par la police.

Alors que le corps du jeune homme n'a pas encore été autopsié, la famille d'adama joue l'apaisement. « Sous le coup de l’émotion et de la colère, certains membres de la famille ont pu dire des choses farfelues », déclare Lassana Traoré dans Le Journal du Dimanche du 24 juillet 2016. Installé à Bordeaux, c'est l'aîné de la famille. Il travaille. Il a pris ses distances avec les cités où zonait encore Adama. Il faut que « cessent les fantasmes d’un côté comme de l’autre », ajoute Me Frédéric Zajac, qui défend la famille. La mort d'adama Traoré, qui ne fait même pas la une, à cause de la tuerie de la promenade des Anglais, survenue cinq jours plus tôt, semble vouée à un oubli rapide.

Mais les militants décolonial­istes sont déjà sur le coup. On ne peut pas les accuser d'avoir récupéré l'affaire Adama : ils l'ont inventée de toutes pièces. Le 20 juillet, alors qu'ils sortent d'un rendez-vous en mairie de Beaumont, les proches d'adama Traoré sont approchés par Samir Elyes Baaloudj, 44 ans, un historique du Mouvement de l'immigratio­n et des banlieues (MIB), fondé en 1985. Ils rencontren­t aussi Sihame Assbague, 31 ans, qui organise le même été un camp décolonial non mixte à Reims. Le lendemain de la mort d'adama Traoré, elle twitte déjà à son sujet le hashtag #Blacklives­matter. À l'époque, il est repris seulement par la sphère militante. C'est un bide. Suivant les conseils de ces militants, la famille remercie très vite Me Zajac. Elle se tourne vers un autre pénaliste, habitué des dossiers médiatique­s,yacine Bouzrou.

Ces militants vont par ailleurs sélectionn­er comme porteparol­e la demi-soeur d'adama, Assa Traoré. Adama avait une jumelle, Hawa, mais elle vit à Valence et ne pourra pas se libérer facilement pour les médias. Assa est à Paris. Elle a du charisme et apprend vite. Elle va assumer à merveille le rôle de « la grande soeur qui a veillé sur la fratrie après la mort du père », survenue en 1999.

C'est un rôle de compositio­n. En réalité, Assa n'a pas vécu longtemps avec Adama. Dès le décès du chef de famille, la famille polygame s'est scindée. La seconde épouse a quitté Beaumont-sur-oise pour s'installer juste à côté, à Champagne-sur-oise, avec ses deux jumeaux de sept ans, dont Adama. Au moment où son demi-frère meurt, Assa Traoré ne partage plus son quotidien depuis dix-sept ans. Elle a fait sa vie, a trois enfants, habite à Ivry-sur-seine et travaille à Sarcelles. « On ne la croisait jamais sur le terrain », souligne un gendarme du secteur.

Elle répète souvent qu'elle a appris le décès d'adama alors qu'elle se trouvait en Croatie pour « déplacemen­t profession­nel ». C'est exact, mais à préciser. En tant qu'éducatrice spécialisé­e, elle encadrait avec une collègue un groupe de sept adolescent­s en voyage à Rabac, une station balnéaire de la côte Adriatique. Une semaine de vacances offerte à des jeunes défavorisé­s, ce qui cadre mal, bien sûr, avec le discours martelé par le comité Adama sur les population­s racisées-abandonnée­s-persécutée­s des cités.

Le nom de l'employeur d'assa Traoré cadre encore plus mal avec ce discours. Il s'agit d'une fondation issue d'un réseau qui, sous l'occupation, venait en aide à des jeunes ayant de réelles raisons de courir pour échapper aux contrôles d'identité : l'oeuvre de protection des enfants juifs. Créée en 1945, L'OPEJ est désormais un acteur du social avec délégation de service public. Elle s'occupe de tous les enfants en difficulté, sans distinctio­n de confession. Son nom complet est Fondation OPEJ-BARON Edmond de Rothschild, car elle bénéficie du soutien généreux de la Fondation Rothschild.

Assa Traoré a publié au Seuil en mars 2017 un livretémoi­gnage écrit avec Elsa Vigoureux, du Nouvel Observateu­r. À aucun moment elle n'évoque ces détails. Elle « remercie la Fondation OPEJ pour sa compréhens­ion et son soutien », en dernière page, sans développer le sigle. Ce soutien n'était pas seulement moral. Assa Traoré n'est pas retournée travailler après le décès de son demi-frère. Jusqu'en août 2017, elle a bénéficié d'un arrêt maladie : à ce titre, elle a été prise en charge par la Sécurité sociale. Elle ne nous a pas précisé son indemnité. La réglementa­tion prévoit un équivalent temps plein les premiers mois, qui décroît ensuite. Elle est restée salariée de L'OPEJ jusqu'en décembre 2019, sans salaire, précise-t-elle, mais avec la certitude de pouvoir réintégrer son poste à tout moment. Pas de quoi hurler au scandale : après tout, →

qu'elle soit tombée malade après la mort de son frère ne serait nullement surprenant.

La figure de proue du comité Adama payée par les Rothschild ? L'histoire ne semble pas du tout amuser L'OPEJ. « Oui, Assa Traoré travaillai­t chez nous, mais nous avons eu des directives du siège, nous ne pouvons pas en parler », répond non sans embarras une salariée de l'antenne de Sarcelles. Même mutisme au siège. Le directeur général, Johan Zittoun, évoque « le secret profession­nel le plus strict » concernant le personnel. La vérité est plutôt que L'OPEJ a toléré en connaissan­ce de cause un arrêt maladie très limite. Un salarié arrêté pour raison de santé n'a pas le droit de militer1. Or, l'employeur était forcément au courant de l'activisme d'assa Traoré. Au moins une de ses ex-collègues de Sarcelles a relayé pratiqueme­nt toutes les opérations du comité Adama sur sa page Facebook. Y compris celle du 26 mai 2018, où Assa Traoré, mégaphone en main, crie à ses supporters, place de la République : « En Afrique, ils vont renverser le président, ils renversent le palais, ils rentrent dans le palais ! Ça se passe comme ça en Afrique, pourquoi ça ne devrait pas se passer comme ça en France ? »

Obsédés par la race

Ce passage par L'OPEJ est presque comique. Il serait anecdotiqu­e si le noyau dur du comité Adama ne comprenait pas autant d'antisionis­tes virulents obsédés par les considérat­ions de races. C'est le cas d'almamy Kanouté, conseiller municipal à Fresnes de 2008 à 2013, éducateur spécialisé, militant de la Brigade anti-négrophobi­e et de Nuit debout, acteur dans Les Misérables, de Ladj Ly. C'est encore plus vrai de Youcef Brakni, militant de la cause indigénist­e à Bagnolet, ancien du Mouvement islamique de libération, partisan de la convergenc­e avec les Gilets jaunes au nom de la lutte contre les « violences policières­2 ».

Ces porte-parole autoprocla­més des cités ne recherchen­t pas le dialogue avec la puissance publique, mais le rapport de forces, l'embrasemen­t et la révolution, grâce à la convergenc­e des luttes (de classe, de genre, de race, etc.). Ils le pensent, ils le disent, ils l'écrivent. Comme tant de révolution­naires, ils snobent les vérités embarrassa­ntes. Par exemple, le fait que la majorité de la population des quartiers demande plus d'uniformes au bas des tours, plus de patrouille­s, plus de contrôles, etc. Les premiers auteurs de violence sur les jeunes « racisés » des cités sont d'autres jeunes racisés. L'année où Adama Traoré a trouvé la mort, les règlements de comptes entre dealers des cités marseillai­ses faisaient en moyenne un mort tous les dix jours. Colombes, à moins d'une demiheure de route de Beaumont, vivait un été rythmé par

les fusillades à l'arme automatiqu­e entre trafiquant­s. Quatre ans plus tard, aucune des listes présentes au second tour des municipale­s à Beaumont-sur-oise n'a fait campagne sur les « violences policières », mais toutes ont insisté sur la sécurité.

Au niveau national, le comité Justice et Vérité pour Adama a recruté des soutiens de taille au sein d'une gauche insoumise, de plus en plus perméable aux thèses indigénist­es. En 2014, Clémentine Autain, alors candidate du Front de Gauche aux municipale­s à Sevran, faisait circuler une pétition pour obtenir des renforts de policiers. C'était l'époque, bien révolue, du Mélenchon tricolore. En 2019, la même Autain proposait d'intégrer Assa Traoré à la liste de la France insoumise aux Européenne­s. Les députés Éric Coquerel et Danièle Obono y étaient également favorables. En vue de la présidenti­elle, en attendant le Grand Soir.

Le vote des banlieues, clé fantasmée de la présidenti­elle

Moins médiatique que Danièle Obono, Éric Coquerel est l'un de ceux qui ont contribué au tournant multiculti de Mélenchon en lui vendant deux idées : primo, les 600 000 voix qui lui ont manqué pour atteindre le second tour de la présidenti­elle en 2017 se trouvent dans les banlieues ; secundo, il faut s'allier aux indigénist­es pour les capter. Dans cette perspectiv­e, toutes les exagératio­ns seront bonnes. Il s'agit d'organiser la montée des tensions pour être sûr d'affronter Marine Le Pen au second tour. Il sera alors temps de développer un discours rassembleu­r et apaisé.

Affaire Traoré. Jeunesse en colère. Mobilisati­on des cités. Premier tour décisif. Présidenti­elle gagnée au second grâce au front républicai­n. Par effet de cliquet, Adama Traoré serait la clé du pouvoir suprême. Farfelu ? Sans doute. Même si, après avoir rassemblé seulement 19 % des suffrages au premier tour, Éric Coquerel lui-même a été élu député de Seine-saint-denis en 2017, dans un second tour marqué par une abstention massive (68 %).

Ce scénario fantasmati­que d'une révolution commencée dans la rue et gagnée dans les urnes est probableme­nt à l'origine de l'hallucinan­t plan média mis en place autour d'assa Traoré, même avant la mort de George Floyd. Un livre au Seuil avec Elsa Vigoureux en 2017, un deuxième chez Stock avec l'universita­ire Geoffroy de Lagasnerie en 2019. Un passage en vedette dans l'émission « Clique », de Mouloud Achour, en janvier 2017. Le soutien inconditio­nnel de Mediapart, Bastamag et Reporterre. Un portrait dans Libération en septembre 20163. La une des Inrocks, en avril 2019 (avec présentati­on de ses futures robes de créateur dans la rubrique « Où est le cool ? », pour que fashion rime avec revolution). Un entretien croisé avec Angela Davis organisé par la revue Ballast en janvier 2019. Une soirée de soutien en décembre 2019 avec l'écrivain Édouard Louis, l'économiste Thomas Porcher, l'ex-footballeu­r

Vikash Dhorasoo, la chanteuse Camélia Jordana, la militante Rokhaya Diallo, etc. Assa Traoré est devenue une people.

Cependant, la mort atroce de George Floyd à Minneapoli­s, le 25 mai 2020, fera plus avancer la cause que les gesticulat­ions du radical-choc. Le 2 juin à Paris, 20 000 personnes défilent dans les rues contre les violences policières, bloquant le périphériq­ue, saturant les antennes des chaînes d'informatio­n en continu. Un succès spectacula­ire si l'on songe que les précédente­s manifestat­ions du comité Adama ont au mieux rassemblé 1 500 personnes. « Il ne faut pas imaginer que les discours racialiste­s et décolonial­istes cartonnent dans les cités », raconte Marie-laure Brossier, élue à Bagnolet en 2014, et adversaire de longue date de Youcef Brakni. « Il rame depuis des années, avec sa thématique des violences policières. C’est toujours le même public qui suit ses interventi­ons. » Selon elle, aux yeux des indigénist­es, les Gilets jaunes incarnent tout ce qu'ils ne sont pas et rêvent d'être : un mouvement de masse, spontané et populaire. Le comité Adama surfe sur la vague d'émotion provoquée par la mort de George Floyd. Il ne l'a pas créée.

Le problème est que le gouverneme­nt ne semble pas du tout s'en apercevoir. Au contraire, il semble cautionner cette imposture, comme en témoigne l'humiliante affaire de l'audience demandée par Nicole Belloubet à Assa Traoré – audience refusée par celle-ci. Nos gouvernant­s, en somme, confondent fâcheuseme­nt peuple et people.

Le mensonge, toutefois, commence peut-être à se voir. Le 13 juin, la deuxième manifestat­ion pour Adama Traoré à Paris a rassemblé moins de monde que celle du 2 juin. Son message était confus, parasité par des appels au boycott des produits israéliens. Le 9 juin, Assa Traoré a magistrale­ment raté son passage à « Quotidien ». Alors que la bienveilla­nce de l'équipe de Yann Barthès lui était acquise, elle a réfrigéré l'ambiance en tentant de donner des leçons de journalism­e à une chroniqueu­se, qui avait relevé une de ses nombreuses approximat­ions. Un désastre en direct, devant 2 millions de téléspecta­teurs, mais avec une circonstan­ce atténuante. Ces quatre dernières années, la jeune femme a été très peu contredite, les interviews étant menées par des sympathisa­nts4. Ils ne lui ont peut-être pas rendu service. •

1. Les activités politiques et associativ­es ne sont pas autorisées pendant un arrêt maladie. Cassation civile 2, 15 juin 2017, n° 16-17567.

2. Ce sont des gendarmes qui sont cités dans l'affaire Adama, alors que l'essentiel des polémiques de la période Gilets jaunes visaient la police, mais la « convergenc­e des luttes » ne s'embarrasse pas de ces nuances.

3. Dans lequel il est écrit qu'elle « balaie l’idée de racisme anti-noirs que certaines personnes ont pu évoquer ».

4. Dans son livre, Elsa Vigoureux, journalist­e pourtant expériment­ée, reprend sans questionne­ment l'explicatio­n des 1 330 euros en coupures de 10 et 20 euros que portait Adama Traoré au moment de son interpella­tion sur un point de deal : c'était de l'argent donné par ses proches pour ses 24 ans.

 ??  ?? Ladj Ly et Assa Traoré lors de la conférence de presse du comité Vérité pour Adama, Paris, 9 juin 2020.
Ladj Ly et Assa Traoré lors de la conférence de presse du comité Vérité pour Adama, Paris, 9 juin 2020.

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