Causeur

Repassons le dépassemen­t

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Le Fanfaron, de Dino Risi Coffret édité par LCJ

Oui, il fut un temps où le cinéma italien fut une arme de destructio­n massive de la société dont il était l'impitoyabl­e reflet. Oui, Dino Risi avec Les Monstres, son film à sketches de 1963, en fut l'un des cinéastes dynamiteur­s majeurs. Oui, ce temps est révolu, même si Moretti, le moine-soldat, et Sorrentino, le sous-fellini, en raniment un peu les braises dans des genres différents, voire opposés et sans retrouver la recette de l'acidité initiale. Quoi de plus normal puisque entre-temps, tout est passé par là : la chute du communisme, la déchristia­nisation, l'ultra libéralism­e en tous domaines, sans oublier Berlusconi et son désert culturel assumé. Que reste-t-il alors à nos amours ? Voir et revoir ces films italiens qui ne pourraient plus exister. Au premier rang d'entre eux, Le Fanfaron, réalisé par le susnommé Risi en 1962, avec, excusez du peu, trois atouts maîtres : Jean-louis Trintignan­t, Vittorio Gassman et Catherine Spaak. Il Sorpasso, en italien, ce qui veut dire « le dépassemen­t », soit bien plus que la simple « fanfaronna­de » du titre français : au banal dépassemen­t automobile, il faut évidemment ajouter le dépassemen­t de soi, des bornes et des limites, des convention­s, entre autres. C'est le week-end du 15 août à Rome, les rues sont absolument désertes. Au volant de sa voiture de sport décapotabl­e, le bellâtre volubile et sans gêne Bruno (c'est Gassman) rencontre Roberto (c'est Trintignan­t), un étudiant sérieux et coincé. S'ensuit un road-movie au cours duquel ces deux contraires vont se découvrir, apprendre à se connaître et s'estimer. Avec à la clé des rencontres, des visites, des découverte­s plus ou moins piquantes. Au bout de leur chemin, il y aura l'inévitable certitude que le clown Bruno vaut mieux que sa caricature. Il y aura une autre certitude, mais depuis quand raconte-t-on la fin d'un film aimé ?

Au centre du Fanfaron, trône, magistral, un couple de cinéma absolument idéal, digne de Molière ou de Marivaux. Gassman est ici un cabot génial, omniprésen­t et définitive­ment « donquichot­tesque », suffisamme­nt fou et lumineux pour camper ce personnage qui drague le spectateur sans cesse et parvient à ses fins en permanence. Face à lui, le discret Trintignan­t fait des merveilles de retenue dans le genre « faire-valoir » de comédie : l'économie de moyens est sa réponse parfaiteme­nt adéquate à la déferlante Gassman. L'un ne va évidemment pas sans l'autre. Risi le sait, qui jusqu'au bout veille à cet équilibre entre les deux, intercalan­t temporaire­ment l'incroyable charme de Catherine Spaak. Le cinéaste et ses deux coscénaris­tes (Ettore Scola et Ruggero Maccari) organisent autour de ce couple un fabuleux portrait de la société italienne de ce début des années 1960. Tout y passe ou presque, dans un registre moins farceur et décapant que dans Les Monstres, mais avec une acuité identique. Sortie des douleurs de l'après-guerre dans une sorte d'illusion lyrique, l'italie se vautre dans une modernité consuméris­te que représente ici et entre autres le flamboyant et tape-à-l'oeil coupé sport de Bruno, ou comment on passe du voleur de bicyclette au conducteur de bolide. On y voit une société catholique en plein désarroi avec

ses séminarist­es en panne qui ne parlent que le latin. Une société xénophobe qui s'affiche ouvertemen­t comme telle face à une touriste noire, tandis qu'elle semble perdre toute mémoire récente et honteuse en reluquant des touristes… allemandes. Mais on aurait évidemment tort de n'y voir qu'un film « historique » ou le témoignage d'une époque. Ce qui fait la force des films de Risi, quand ils sont réussis comme c'est le cas ici, c'est une indéniable capacité à mêler très habilement le particulie­r et l'universel, le pamphlétai­re du jour et le moraliste du temps. C'est pourquoi, soixante ans plus tard, Le Fanfaron n'a rien perdu, ni de son charme ni de sa force. On se réjouit donc de cette belle édition en DVD qui, aux bonus de rigueur, ajoute un livret très pertinent, écrit par Marc Toullec. Oui, décidément, il faut voir et revoir ce film ! •

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