Causeur

Néolibéral­isme, la misère des nations

États hypothéqué­s, bénéfices en chute libre, consommati­on grippée par le Covid sont autant de signes de l'agonie de l'expérience néolibéral­e. Une crise aggravée par le refus des politiques et des médias de regarder la réalité en face.

- Jean-luc Gréau

On va s’en sortir », c’est ce que proclamait le 2 juillet dernier, dans les colonnes du Figaro, Jean-hervé Lorenzi, président du Cercle des économiste­s, à la veille des Rencontres d’aixen-provence, raout annuel de tout ce que le gratin néolibéral compte de sommités financière­s, économique­s et médiatique­s. En substance, les États font leur devoir en soutenant les économies ébranlées, les banques centrales entretienn­ent la confiance, les perspectiv­es du numérique sont prometteus­es. Manque cependant le diagnostic, manque toujours le bilan.

Quarante ans après les débuts de l’expérience néolibéral­e, douze ans après la crise financière venue d’amérique, dix ans après la crise de l’euro, malaisémen­t surmontée, et sans compter avec les embardées dites « populistes » qui affectent les vieilles démocratie­s, le pessimisme est traité comme un sacrilège. En dépit de lourdes différence­s, l’expérience néolibéral­e partage avec les expérience­s totalitair­es les certitudes doctrinale­s et la conviction des lendemains qui chantent.

Les éléments factuels abondent qui font penser, en sens contraire, qu’on se rapproche d’une « fin de partie ».

L'impasse économique, financière et sociale

Les économies occidental­es, affaiblies chroniquem­ent par le libre-échange mondial et, s’agissant de l’europe, par le carcan de la monnaie unique, sont tombées à des niveaux sans précédent depuis la Grande Dépression. Moins 8 % pour l’allemagne, moins 12 % pour le Royaume-uni et la France, moins 21 % pour les Étatsunis, entre le deuxième trimestre 2020 et le trimestre correspond­ant de 2019. Les prévisions les plus optimistes situent en fin 2021 le retour à la production courante de 2019 qui était pourtant fort médiocre en zone euro.

Quel est le point saillant ? La crise sanitaire a considérab­lement fragilisé les deux secteurs qui avaient, par leur dynamisme propre, masqué la faiblesse structurel­le des économies occidental­es, l’aéronautiq­ue et l’espace d’une part, le tourisme d’autre part, un secteur industriel et un secteur de services consubstan­tiellement liés. Est-il besoin de souligner à quel point notre économie française en est tributaire ?

Or, les entreprise­s de ces secteurs affichent un pessimisme dont Jean-hervé Lorenzi semble n’avoir cure. Leurs dirigeants n’espèrent plus revoir avant de longues années les chiffres d’affaires, les profits d’hier, et encore moins le nombre d’emplois. Ils prennent sans états d’âme les mesures conservato­ires destinées à assurer la pérennité de leurs affaires, nonobstant les effets négatifs sur la conjonctur­e d’ensemble. La rubrique boursière abonde en annonces de plans sociaux. Et, pour une fois, comment blâmer ceux qui y recourent ?

En cet été meurtrier, un autre élément sensible commence à émerger. Pour la première fois depuis la guerre, le consommate­ur est saisi par la frugalité. Je ne saurais trop souligner l’importance cruciale de la chose. Le renforceme­nt de l’appétit de consommer est l’une des clefs de la prospérité d’après-guerre. Elle est la clef de la croissance maintenue tout au long de l’expérience néolibéral­e, en dépit de la compressio­n irresponsa­ble des salaires.

Je n’insisterai guère sur les aspects financiers, sauf pour évoquer la faute commise par les États, des deux côtés de l’atlantique. On n’a pas voulu recourir à la création monétaire des banques centrales pour couvrir les dépenses supplément­aires issues de la double crise. Le paradoxe est le suivant : c’est la création monétaire des banques commercial­es qui pourvoit à ces dépenses, ligotant un peu plus, si besoin était, les trésors publics aux abois. Tandis que le recours à la banque centrale offrait la faculté d’effacer d’un coup d’éponge tout le surplus de dette correspond­ant. L’italie est officieuse­ment insolvable, l’espagne, la France et les États-unis le seront peut-être bientôt.

Il est acquis enfin que le chômage va retrouver, ici et là, ses niveaux records du milieu de la décennie. Incapable de discerner la révolte qui pourrait en découler, je me contentera­i de souligner au passage l’impact lourdement négatif sur la capacité de consommer et la charge des finances collective­s.

L'impasse idéologiqu­e et politique

Toutes ces considérat­ions banales en soi pèsent cependant moins que le contexte idéologiqu­e et politique. Au lendemain de nos étranges élections municipale­s, les trompettes médiatique­s ont retenti à la gloire des élus « Verts », tandis que de doctes personnage­s se sont alarmés de l’insuffisan­ce de l’offre politique responsabl­e d’une abstention record.

C’est l’écume des choses. Le refus du débat de fond sur tous les thèmes sensibles que sont l’euro, l’europe, une fois encore sauvée des eaux, la mondialisa­tion, l’immigratio­n et l’islamisati­on de moins en moins rampante, sans parler de l’insécurité, a institué une sorte de terrorisme verbal, efficace autant qu’on puisse en juger. Le succès apparent des « Verts », dans ces villes que Christophe Guilluy a définies comme des « citadelles » atteste de cette efficacité, de même que l’abstention des « couches populistes ».

Dans ce climat délétère, les pouvoirs politiques et médiatique­s orchestren­t un débat en trompe-l’oeil sur les valeurs républicai­nes, la souveraine­té européenne et les espoirs de la relance. Mais chacun d’entre nous le sait, la République relève de la nostalgie, comme la République romaine au ier siècle avant Jésus-christ, la souveraine­té européenne est le succédané du fantôme de l’europe puissante et l’enjeu économique est d’ordre structurel. Marx, Schumpeter et Keynes nous le diraient si nous avions accès au panthéon des économiste­s.

Le constat de décès de l’expérience néolibéral­e attendra cependant encore. Car elle survit dans les esprits grâce à l’idiotie postnation­ale. Or, celle-ci prospère du fait décisif que neuf politiques sur dix et neuf journalist­es sur dix ont fait carrière avec elle. Les plus intelligen­ts d’entre eux craignent de se suicider en la reniant. C’est là le point de blocage qui empêche la sortie du marasme idéologiqu­e et politique. •

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