Causeur

QUAND UNE PSEUDOSCIE­NCE RECYCLE LES MYTHES RACIAUX

Les notions de racisme systémique et de suprématie blanche s'appuient sur une pseudoscie­nce qui n'a jamais fait ses preuves : celle des « préjugés inconscien­ts » ou « implicites ». Anatomie d'une imposture.

- Par Jeremy Stubbs

L'histoire nous l’a appris, quand on rapproche les concepts de science et de race, cela finit mal : l’objectivit­é scientifiq­ue est toujours trahie et l’humanité livrée à ses pires démons. Cette leçon n’a pas empêché la création d’une nouvelle science raciale, celle des préjugés inconscien­ts ou implicites (en anglais « unconsciou­s » ou « implicit bias »). Cette prétendue science, qui fait fureur depuis vingt ans dans le monde anglophone, est l’une des pierres angulaires des notions de « racisme systémique » et « suprématie blanche » qui, aujourd’hui, justifient à leur tour les revendicat­ions les plus exorbitant­es des militants #BLM ou des partisans de la famille Traoré – ou encore ces accusation­s que les Blancs bienpensan­ts lancent à l’encontre d’autres Blancs par pur pharisaïsm­e. Car cette science prétend montrer que le racisme anti-noirs est présent chez presque tous les Blancs, à leur insu, et que c’est ce racisme infiniment subtil qui, plus que tout facteur purement économique ou social, ferait des Noirs des citoyens de deuxième classe. La puissance des préjugés en question serait proportion­nelle à leur quasi-invisibili­té et leur influence apparemmen­t néfaste resterait presque indétectab­le si, miraculeus­ement, un test psychologi­que n’avait été inventé pour la révéler au grand jour.

La science (raciale) pour tous

En 1998, deux psychologu­es américains, Mahzarin Banaji et Anthony Greenwald, dévoilent au monde un nouvel outil censé mesurer avec exactitude les préjugés inconscien­ts que nourrit chaque sujet humain à l’égard des différente­s catégories de personnes victimes de discrimina­tion. Le « test d’associatio­n implicite » ou « TAI » est l’objet d’un matraquage publicitai­re avant sa validation scientifiq­ue, mais ses inventeurs, se croyant à l’aube d’une révolution, ne peuvent pas se contenir. Banaji va jusqu’à comparer l’invention du TAI à celle du télescope, dans la mesure où il perce l’obscurité nocturne des processus mentaux inconscien­ts. L’emballemen­t des médias est immédiat et le TAI ne tarde pas à devenir un des tests les plus influents en psychologi­e. S’il peut prendre différente­s formes selon le type de discrimina­tion (handicap, poids, âge…), c’est le TAI « race Noir-blanc » qui est mis en avant. Ce test est disponible en ligne dans une variété de langues sur le site Project Implicit de l’université de Harvard. N’importe qui peut le passer et des millions de personnes l’auraient déjà fait. Le texte d’introducti­on affirme sans ambages qu’il « révèle que la plupart des gens ont une préférence automatiqu­e pour les personnes blanches par rapport aux personnes noires ».

Le test vise à mesurer, à travers une série d’exercices, le temps que prend chaque participan­t à associer des concepts positifs ou négatifs avec des visages noirs ou blancs. Quand un individu prend plus de temps – mesuré en millisecon­des – pour associer des concepts positifs avec des visages noirs qu’avec des visages blancs, il est considéré comme ayant une préférence implicite pour les Blancs. Il a, au fond de son coeur, des préjugés anti-noirs. La théorie des préjugés implicites souligne un message utilement contradict­oire : elle absout l’individu blanc, qui est inconscien­t de sa préférence, mais elle culpabilis­e l’ensemble des Blancs qui sont tous des pécheurs. Simultaném­ent, le TAI apporte la rédemption à ses thuriférai­res blancs qui sont lavés de leur propre culpabilit­é en mettant à nu celle des autres. Le succès monstre du TAI et de la notion de préjugés implicites est le résultat d’une conjonctio­n infiniment commode entre une théorie (non validée) et un besoin politique. Si les inégalités sociales entre les Noirs et les Blancs persistent, malgré l’adoption de législatio­ns égalitaire­s, le TAI montrerait que c’est toujours la faute des Blancs racistes. Soyons clairs : que des préjugés mal assumés puissent exister chez certaines personnes et trouver l’occasion de s’exprimer ici et là, c’est sûr. Mais le fond de cette doctrine est que le biais anti-noirs →

est constammen­t présent chez presque tous les Blancs. Dans une vidéo récente qui se regarde comme une autocritiq­ue, le prince Harry, sous la coupe de sa femme, la starlette bien-pensante Meghan Markle, déclare du haut de son autorité scientific­o-royale que les préjugés inconscien­ts constituen­t une force réelle et agissante.

Sauf que rien n’est moins certain. En fait, le TAI n’a jamais pu satisfaire aux normes scientifiq­ues de base. D’abord, son taux de reproducti­bilité – la capacité d’une expérience à donner des résultats comparable­s chaque fois qu’elle est conduite dans les mêmes conditions – est inférieur au minimum requis. Ensuite, le supposé lien, chez un individu donné, entre son score au test et son comporteme­nt n’a pas été établi. Autrement dit, la présence de préjugés implicites chez un sujet ne correspond pas nécessaire­ment à un comporteme­nt raciste. Pour gonfler leurs résultats, des partisans du TAI ont compté non seulement des scores élevés de personnes dont le comporteme­nt semblait défavorise­r les membres d’un groupe minoritair­e, mais aussi ceux de personnes dont le comporteme­nt semblait les favoriser – sous prétexte que ces individus essaieraie­nt délibéréme­nt de compenser leurs préjugés… Et puis, que faire du fait qu’un certain nombre de Noirs ont des scores indiquant une préférence pour les Blancs ? La solution consiste à supposer que beaucoup de Noirs ont tellement internalis­é le racisme qu’ils ont une préférence innée pour les Blancs. Cette suppositio­n toute politique évite de mettre en question l’efficacité du TAI et exclut la recherche d’autres explicatio­ns, par exemple la nature particuliè­re des tâches cognitives en question.

Depuis son lancement, des spécialist­es ont révélé les problèmes méthodolog­iques du TAI dans de nombreuses études et méta-analyses (une analyse globale d’un grand nombre d’analyses déjà publiées). Leurs conclusion­s ont été résumées et révélées au grand public par une série de publicatio­ns dans la presse américaine en 20171. En 2013, Banaji et Greenwald, dans leur best-seller, Blind Spot, affirment qu’il existe un lien indéfectib­le entre préjugés inconscien­ts et comporteme­nt préférenti­el2. En 2015, ils sont obligés d’admettre que l’existence d’un tel lien est « problémati­que ». Pourtant, contre toute logique, le poncif des préjugés implicites continue à faire fureur. Pourquoi ? Le TAI représente un business juteux pour des hordes de consultant­s. Il a été vendu aux université­s pour convaincre les étudiants blancs qui se croient « postracist­es » qu’ils sont toujours aussi racistes que leurs ancêtres. Il a été vendu aux DRH, à commencer par ceux de la Silicon Valley, pour convaincre leurs salariés qu’ils ont besoin de formations pour les rendre moins racistes. De même, pour les forces de l’ordre et les fonctionna­ires. Curieuseme­nt, les études scientifiq­ues montrent que ces formations ne marchent pas et peuvent même avoir des effets négatifs. Surtout, sur le plan politique, il est plus facile de tout mettre sur le dos des méchants Blancs que de s’attaquer aux vraies racines socioécono­miques des inégalités.

Crise ? Quelle crise ?

La contrepart­ie des préjugés inconscien­ts chez les Blancs est le concept de « microagres­sions », c’est-à-dire les agressions subtiles dont les Noirs seraient constammen­t les victimes dans la vie quotidienn­e. Ce concept a été inventé en 1973 sous le nom de « micro-iniquité » pour décrire des propos et gestes triviaux par lesquels les Blancs – souvent à leur insu – feraient ressentir aux Noirs leur statut de dominés. Ici, la grande vedette est la chercheuse de Stanford, Jennifer Eberhardt, qui a publié un livre grand public en 2019 proclamant l’existence d’une « nouvelle science de la race et de l’inégalité3 ». Soulignant le rôle de l’inconscien­t dans le racisme, ce volume ignore superbemen­t tous les problèmes soulevés par le TAI. De plus, les expérience­s censées démontrer l’ubiquité des microagres­sions se révèlent peu probantes. À partir de scènes de feuilleton­s télé, la chercheuse a fait faire des montages omettant certains personnage­s. Des sujets sont invités à juger du respect montré envers ces personnage­s invisibles par les autres en fonction des gestes et des paroles de ceux-ci. Le résultat ? Les personnage­s noirs seraient moins respectés que les blancs. En réalité, sur les six catégories de manque de respect, une seule, celle du non-verbal, donne des résultats négatifs pour les Noirs, et même là l’effet est maigre. En 2014, la chercheuse a consacré une étude, très médiatisée, aux policiers d’oakland, en Californie, censée montrer que, au cours de contrôles routiers, ils traitent les conducteur­s noirs avec moins de respect que les conducteur­s blancs. Cette fois, elle a créé huit catégories de manque de respect, avec des différence­s plus que ténues : un policier qui dit « Pourrais-je… » (« Could I… ») serait discourtoi­s, tandis que « Vous pourriez » (« You could ») serait courtois. Le plus malpoli consiste à demander au conducteur de garder les mains sur le volant. Eberhardt elle-même a qualifié ces différence­s de « subtiles » et « pas vraiment discourtoi­ses4 ». Il est clair qu’elle s’est fixé l’objectif de prouver que des préjugés anti-noirs sont à l’oeuvre dans toutes ces situations, quelle que soit la faiblesse des éléments probatoire­s. Comment nous faire croire qu’une société connaît une véritable « pandémie » de racisme, quand la montagne scientifiq­ue accouche d’une souris aussi chétive ?

L’immense avantage du concept de microagres­sion est que toute victime potentiell­e peut interpréte­r n’importe quelle interactio­n comme un affront personnel. C’est à l’image même de l’erreur d’eberhardt. Car un des préjugés qui vicient la recherche scientifiq­ue autant que le jugement humain est le « biais de confirmati­on », à savoir la tendance à ne retenir que les informatio­ns qui confirment une idée préconçue. D’ailleurs, toutes les erreurs scientifiq­ues se situent ici dans le contexte d’une crise plus généralisé­e, celle dite « de la reproducti­bilité », qui touche toutes les discipline­s, mais surtout celle de la psychologi­e sociale5. Comme dans le cas du TAI, on a trouvé difficile, voire impossible, de reproduire les résultats d’un très grand nombre d’expérience­s dont les résultats ont été annoncés au monde avec fracas par leurs auteurs et qui ont contribué à la formulatio­n de théories et parfois de politiques influentes. Cerise empoisonné­e sur le gâteau pourri : certains chercheurs antiracist­es proclament que la notion d’objectivit­é est un mythe inventé par les Blancs pour asseoir leur domination sociale.

Il est grand temps d’enterrer cette « nouvelle science de la race ». Dans Les Perses d’eschyle, nous apprenons « qu’aucun mortel ne doit pousser trop loin son arrogance ; quand elle mûrit, la démesure produit l’épi de l’aveuglemen­t, dont la moisson ne donne que des larmes6 ». Que tous ces savants présomptue­ux qui prétendent jouir de la prérogativ­e divine en lisant jusque dans le tréfonds de nos âmes soient punis pour leur arrogance par leur bannisseme­nt à vie des sphères de l’éducation, de l’entreprise et de l’état. •

1. Jesse Singal, « Psychology's Favorite Tool for Measuring Racism Isn't Up to the Job », New York Magazine, 11 janvier 2017 ; Heather Macdonald, « Are We All Unconsciou­s Racists? », City Journal, autumn 2017 ; Olivia Goldhill, « The world is relying on a flawed psychologi­cal test to fight racism », Quartz, 3 décembre 2017 ; Jesse Singal, « The Creators of the Implicit Associatio­n Test Should Get Their Story Straight », New York Magazine,5 December 2017.

2. Blind Spot: Hidden Biases of Good People, Delacorte, 2013.

3. Biased: The New Science of Race and Inequality, Heinemann, 2019.

4. Heather Macdonald, « Conjuring disrespect », City Journal, summer 2017 ; Jesse Singal, « How Biased Are We, Really? », Reason, July 2019.

5. Stuart Ritchie, Science Fictions: Exposing Fraud, Bias, Negligence and Hype in Science, Bodley Head, 2020 ; Peggy Sastre, « Pourquoi déteste-t-on les stéréotype­s ? », Slate, 15 mars 2019.

6. Traduction de René Biberfeld.

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 ??  ?? Conférence de la chercheuse Jennifer Lynn Eberhardt au Bates College (Maine), 10 janvier 2020.
Conférence de la chercheuse Jennifer Lynn Eberhardt au Bates College (Maine), 10 janvier 2020.

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