Objectif Frissons
Les Félins, de René Clément Édité par Gaumont
Il serait temps de faire cesser le léger mépris qui prévaut à la seule évocation du nom de René Clément. Dans le meilleur des cas, et du bout des lèvres, on cite La Bataille du rail et Jeux interdits : on loue l’esprit de Résistance du premier et la joliesse enfantine de l’autre. Fermez le ban et allez voir ailleurs s’il y a du cinéma. Or, du cinéma, et du bon, il y en a beaucoup dans l’oeuvre de Clément. Quoique courte (20 films), sa filmographie est remarquable par sa diversité : il y explore aussi bien le documentaire (Ceux du rail) que l’adaptation littéraire, de Zola (Gervaise)à Duras (Barrage contre le Pacifique), en passant par la superproduction nationale (Paris brûle-t-il ?) ou bien encore l’inclassable et fascinant Monsieur Ripois avec Queneau à l’écriture et Gérard Philipe dans le rôle titre. Avec tout cela, on voudrait reléguer Clément au second plan… Cocteau, lui, ne s’y était pas trompé qui l’avait pris comme conseiller technique sur le délicat tournage de La Belle et la Bête.
Et puis il faudrait également oublier deux pépites superbement sombres des années 1950 et 1960, deux films qui n’ont rien à envier aux oeuvres américaines de la même époque, le premier en couleurs, le second en noir et blanc : Plein soleil (1959) et Les Félins (1964). À nouveau deux adaptations littéraires. Le premier jouit heureusement d’une solide réputation, grâce notamment à une impressionnante liste technique et artistique selon l’expression consacrée : au scénario, le talentueux Paul Gégauff adaptant tout bonnement Patricia Highsmith, à la lumière, Henri Decaë, devant la caméra, un trio d’exception composé de Delon, Laforêt et Ronet, le tout sur une musique de Nino Rota. Cinq ans plus tard, la réussite et le succès de Plein soleil semblent éclipser quelque peu Les Félins, alors même que des fées d’égale qualité se sont penchées sur ce nouveau berceau. Cette fois l’adaptation du polar originel de Day Keene est signée, excusez du peu, par Clément lui-même, le savoureux Pascal Jardin et Charles Williams, le célèbre auteur américain de polars. C’est toujours et encore le magicien Decaë qui éclaire l’ensemble. Et cette fois, le trio Lola Albrightalain Delon-jane Fonda incarne le glamour absolu. Tandis que Lalo Schifrin, compositeur, entre autres, de la musique de Mission impossible, signe la B.O. Résultat, un thriller absolument parfait mené de main de maître et de bout en bout par un Clément expert-géomètre en suspense. On s’en voudrait de dévoiler ici la trame d’une ténébreuse affaire. Disons simplement ceci et n’en parlons plus : Marc, alias Delon, un gigolo qui a couché avec la femme d’un gangster, se retrouve avec des tueurs à sa poursuite. Il se réfugie sur la Côte d’azur, embauché comme chauffeur par Barbara (Lola Albright) et sa cousine Melinda (Jane Fonda). Tandis qu’il se croit en sécurité, il se trouve bientôt plongé au coeur d’une sombre machination… L’autre vedette du film étant l’incroyable et labyrinthique villa Torre Clementina à Roquebrune-cap-martin qui sert de décor au drame et dans laquelle le Minotaure n’aurait eu aucun mal à se cacher. Et c’est bien d’ailleurs une tragédie à trois protagonistes qui se joue ici, sous le soleil évidemment. Sécheresse du récit, mise en scène au cordeau et direction d’acteurs au diapason, Clément démontre une fois de plus l’étendue de sa virtuosité. C’est trouble et troublant, vénéneux et diabolique à souhait. Un polar claustrophobe idéal
que l’on savoure plan par plan, fasciné par la beauté de l’ensemble. Cette édition vidéo s’avère à la hauteur de ce film injustement boudé, avec en bonus un judicieux documentaire de réhabilitation réalisé par Roland-jean Clara avec notamment des interventions d’olivier Père et Jeanclaude Missiaen. En sus, outre la version originale du film en langue française, la version de tournage en langue anglaise. •