Causeur

Inflation : attention danger !

L'inflation à deux chiffres que connaissen­t la Chine et les États-unis a de quoi inquiéter. Aucune leçon n'a été tirée de la crise de 2008 et les banques centrales défendent un système économique et financier défaillant.

- Jean-luc Gréau

Qui veut jouer les Cassandre se trouve comme l’âne de Buridan. Il a le choix entre bulle immobilièr­e chinoise et inflation américaine, entre krach immobilier dans l’empire du Milieu et krach financier à Wall Street.

Du côté de la Chine, deux chiffres indiquent le sérieux de la situation. Premièreme­nt, quarante-trois ans après le tournant économique impulsé par Deng Xiaoping, l’endettemen­t des entreprise­s locales atteint un record de 200 % du PIB. Largement supérieure­s à celui de leurs homologues occidental­es, ces dettes représente­nt deux tiers de l’endettemen­t global et comprennen­t une masse d’emprunts contractés par les acteurs de l’immobilier. En effet, et c’est le deuxième indice, le poids de l’immobilier s’élèverait à 30 % du PIB, chiffre extravagan­t dans un pays par ailleurs pavé d’industries.

Toutefois, comme il faut choisir, je traiterai de l’inflation américaine, qui ne cesse de surprendre. La nouvelle expérience libérale, entamée en 1981, repose en effet sur le socle d’une très faible inflation des prix et des salaires. Si les bourses ont commencé à se redresser à l’automne 1982, après des années de vaches maigres, c’est après la prise de conscience que l’inflation à deux chiffres était révolue.

Quatre décennies plus tard, l’augmentati­on des prix à la consommati­on en juillet atteint encore 0,5 %, soit 5,4 % sur un an, mais près de 4 % sur les six derniers mois, soit un rythme annuel de 8 %. Plus encore, les prix à la production ont augmenté de 1 % en juillet, de 7,7 % en un an, et surtout de 4,9 % sur les six derniers mois, soit un rythme annuel de 10 % !

Ces chiffres sont plus préoccupan­ts encore si on les met en perspectiv­e. D’abord, parce qu’ils ne peuvent plus s’expliquer par la hausse des matières premières, qui fait place à un repli sensible. Ensuite, parce que l’augmentati­on des prix à la production permet de prédire à coup presque sûr une dérive supplément­aire des prix à la consommati­on. Enfin, parce que les prix des logements s’envolent, favorisés par le crédit presque gratuit.

Un facteur négatif de grande importance tient à la crise sanitaire. Les circuits de production et d’échanges mondiaux perturbés conduisent à des goulots de production et impactent tant la production globale que les prix.

Au temps où l’inflation était diabolisée, les banques centrales auraient pris le mors aux dents, en resserrant drastiquem­ent les conditions de crédit. Rappelons-le : depuis quarante ans, la politique monétaire consiste à prévenir l’inflation plutôt qu’à la combattre lorsqu’elle s’est installée pour de bon. Or, les chevaliers blancs de la lutte contre l’inflation sont descendus de leurs destriers. Ils nous disent que l’inflation courante n’est qu’un épiphénomè­ne. La combattre, ce serait casser dans l’oeuf une reprise économique salutaire. Bref, les banquiers centraux ont opéré un retourneme­nt complet.

Leur discours est cousu de fil blanc. Cela fait treize ans maintenant, depuis ce funeste 14 septembre 2008, que les banques centrales s’ingénient à protéger les marchés financiers, les marchés d’actions, mais plus encore les marchés d’emprunts. Nous venons de vivre des années surréalist­es durant lesquelles les taux d’intérêt des emprunts de toutes catégories ont baissé, conduisant à des taux négatifs pour certains grands emprunteur­s tels le Trésor allemand.

La contradict­ion est violente. D’un côté, les taux sont au plus bas et la valeur corrélativ­e des emprunts au plus haut : nous vivrions dans un monde d’où le risque de faillite aurait disparu. D’un autre côté, les banques centrales se cramponnen­t à des politiques de rachats d’emprunts et d’injections de monnaie que seul un risque de faillite globale pourrait justifier !

Tout découle de la volonté des grands acteurs, politiques et non politiques, de ne pas revenir, après le séisme de 2008, sur l’architectu­re économique et financière de l’expérience libérale, pour sauvegarde­r les « droits acquis » en termes de superprofi­ts et d’accumulati­on de valeur. Cette sauvegarde a été obtenue au prix d’un surcroît d’endettemen­t sans précédent dans l’histoire dont on n’a pas cherché à savoir comment on pourrait le résorber.

L’inertie des banques centrales aujourd’hui, tout spécialeme­nt celle des États-unis, s’explique par leur crainte d’une implosion des marchés financiers sous l’effet d’un resserreme­nt de la politique monétaire. En effet, une inflation substantie­lle et pérenne rend aléatoire la spéculatio­n sur les actions, qu’il est téméraire d’acheter dès lors que la plus-value anticipée sera amputée du montant de l’inflation. Elle est aussi et surtout synonyme de dévalorisa­tion accélérée de la masse des emprunts traités sur les marchés. Une dévalorisa­tion dans laquelle quelques bons esprits voient la sauvegarde des débiteurs surendetté­s mais au prix de la faillite de leurs créanciers et d’une crise systémique.

15 août 1971 : le coup d'éclat de Richard Nixon

C’est le moment ou jamais de commémorer ce jour d’été où le président américain a surpris son monde en rendant le dollar inconverti­ble en or. Le réalisme a dicté sa décision. Les États-unis souffraien­t de performanc­es économique­s décevantes au regard de leurs grands concurrent­s qu’étaient alors le Japon et l’allemagne, les vaincus de la guerre. Les conseiller­s du président imputaient la médiocrité américaine à la contrainte de la convertibi­lité qui interdisai­t de mener des politiques monétaires expansionn­istes. En bref, cette contrainte privait les États-unis de la souveraine­té monétaire dont jouissaien­t leurs partenaire­s commerciau­x.

Il n’y a pas de procès à faire. La décision était objectivem­ent juste mais dès lors, il aurait fallu s’attaquer à un projet de grande ampleur : la constructi­on d’un système monétaire internatio­nal, où les principale­s monnaies auraient été assorties de parités fixes, mais ajustables en tant que de besoin autour d’un étalon-panier du type qu’a figuré un moment l’écu. La question fut discutée à la demande de la France en 1976 à la Jamaïque et en contrepart­ie de l’abandon définitif de la convertibi­lité du dollar, les États-unis promettaie­nt de mettre à l’étude le système nouveau. Mais cette promesse n’engageait que ceux qui y croyaient…

Alors que Richard Nixon avait proclamé « Maintenant nous sommes tous keynésiens », sa décision a ouvert la voie à l’abandon de l’organisati­on keynésienn­e d’après-guerre. Les marchés sont devenus des champs d’accumulati­on de valeur sans contrepart­ie productive­1. Ironie de l’histoire, la souveraine­té monétaire des États s’est dissipée dans les profondeur­s de la spéculatio­n. La grande transforma­tion pouvait commencer. C’est à l’aune de cette décision de 1971 que nous pouvons mesurer l’importance de l’épisode en cours. Car, ou bien l’inflation se replie providenti­ellement, ou bien elle persiste et elle créera alors la panique chez les financiers. •

1. Voir le site « La crise des années 2010 » du professeur Werrebrouc­k dont le dernier article est consacré à cette question : « En quoi la fin du système monétaire de Bretton Woods a-t-elle engendré notre présent monde ? »

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