Causeur

Un voile, deux mesures

- Élisabeth Lévy

On croyait les néo-féministes (également dits intersecti­onnels) perdus pour la cause de la liberté, tout affairés qu’ils sont à défendre le burkini, voire la burqa, et le respect-detoutes-les-cultures, quand ils ne se soucient pas exclusivem­ent de dénoncer l’ordre hétéropatr­iarcal et islamophob­e qui sévit dans nos contrées. On se rappelle l’ode de Virginie Despentes aux frères Kouachi, les assassins de Charlie Hebdo. On connaît la propension de nombre de militantes à fustiger, non pas les islamistes, mais ceux qui les combattent. N’oublions pas l’inénarrabl­e Caroline De Haas qui, il est vrai, a disparu de la circulatio­n médiatique (après des révélation­s sur sa tendance à faire du féminisme une juteuse affaire), ce dont on ne se plaindra pas. En janvier 2016, après les centaines d’agressions sexuelles commises à Cologne la nuit de la Saintsylve­stre, elle invitait crânement tous ceux qui notaient que les agresseurs étaient des migrants (ce qui était parfaiteme­nt avéré) à aller déverser leur « merde raciste ailleurs ». On pense aussi à un court-métrage commis il y a quelques années par Julie Gayet : pour dénoncer les mariages forcés, elle mettait en scène un couple de bourgeois qui « donnait » sa fille à un vieux barbon tout droit sorti d’une pièce de Molière (on ne parle pas assez du problème des mariages forcés dans le 16e arrondisse­ment de Paris). Une mention spéciale, enfin, à Laura Slimani, ex-patronne des Jeunes socialiste­s, pour avoir déclaré, en pleine polémique sur le burkini : « Ce n’est pas aux hommes blancs de libérer les femmes musulmanes, n’en déplaise aux néocolonia­listes qui aiment les humilier1.» Un propos qui prend tout son sel à la lumière des événements récents.

J’ignore ce que pense aujourd’hui Laura Slimani, mais pas mal de ces islamo-féministes semblent avoir été touchés par la grâce ou plutôt par la disgrâce des Afghanes. Quand ils n’appellent pas de leurs voeux une nouvelle interventi­on militaire – qui serait pour le coup suspecte de « néocolonia­lisme » –, ils réclament par voie de pétition, l’accueil inconditio­nnel de toutes les femmes afghanes. On aimerait comprendre : pourquoi tant de haine pour les islamistes là-bas et tant d’indulgence pour ceux d’ici – même si, je vous l’accorde, ce ne sont pas tout à fait les mêmes ?

Soyons honnêtes : il y a parmi les pétitionna­ires d’authentiqu­es féministes capables de dénoncer l’emprise islamiste même quand c’est dans nos quartiers qu’elle sévit. N’empêche. N’était le caractère tragique de ce qui se joue là-bas, on rigolerait de l’effroi soudain de toutes celles (et ceux) qui se battent ici pour le droit de se voiler jusqu’à la piscine. « Nous affirmons que face au danger absolu du viol, de la soumission et de la mort, il n’y a pas d’autre choix que d’offrir l’asile sans conditions », peut-on lire dans une tribune parue dans Le Parisien et signée par le gotha du féminisme mondain. N’est-il pas curieux de prétendre aider ces malheureus­es en les faisant venir dans un pays aussi raciste, misogyne et hétéro-normé que le nôtre ?

Qu’on ne se méprenne pas. Il y a effectivem­ent en Afghanista­n des femmes (et des hommes) en danger de mort. Et, n’en déplaise à mon cher Éric Zemmour, ce n’est pas parce qu’on ne peut pas les accueillir tous qu’il ne faut en accueillir aucun. Que le droit d’asile ait été dévoyé pour devenir une filière légale d’immigratio­n illégale ne justifie pas qu’on le renie quand il retrouve tout son sens. Cela suppose d’opérer des choix douloureux. On doit privilégie­r ceux qui sont directemen­t menacés de mort pour cause d’activisme politique et, parmi ceux-là, ceux qui, par leur formation, leur mode de vie et leurs aspiration­s, ont des chances de devenir des Français comme vous-et-moi. Il est non seulement inutile, mais dangereux, pour eux comme pour nous, de faire venir des gens qui, par leur culture, nous sont profondéme­nt étrangers et le resteront.

De surcroît, la chute de Kaboul devrait mettre un coup d’arrêt à l’hubris occidental. Cessons de croire que nous pouvons sauver tous les pays en proie à une guerre civile ou à un régime totalitair­e en transvasan­t leurs population­s dans les démocratie­s libérales. Comme aurait pu le dire Michel Rocard, la France ne peut pas accueillir tous les opprimés du monde, même si elle doit en prendre sa part. Et comme le dit Jean-luc Mélenchon, l’afghanista­n appartient aux Afghans. Aidonsles autant que nous le pouvons à conquérir la liberté chez eux.

En attendant, on peut vaguement espérer que la tragédie afghane remettra un peu de plomb dans les esprits wokisés qui dénoncent là-bas ce qu’ils approuvent ici. Si tant d’afghans épris de liberté rêvent de France, c’est sans doute qu’elle n’est pas cette terre d’oppression dont nous parlent ces marchands de sornettes. Un peu de pudeur ne nuit pas : qu’ils arrêtent de nous rebattre les oreilles avec leur patriarcat imaginaire, ce fantasme d’extrême gauche. •

1. Exemple pêché dans un excellent article de ma chère Eugénie Bastié : « Les féministes françaises divisées sur la question du burkini », Le Figaro, 25 août 2016.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France