Causeur

Florian Philippot « Je n'accepte pas cette discrimina­tion légalisée »

- Propos recueillis par Gil Mihaely, Martin Pimentel et Jeremy Stubbs

Il manifeste dans la rue chaque samedi depuis cet été contre le passe sanitaire. Et Florian Philippot n'en démord pas : le passe est inefficace, le vaccin une aberration et le masque, plus personne ne doit le porter. Pour le président des Patriotes, la vaccinatio­n doit exclusivem­ent relever du choix des individus. Causeur. Vous avez qualifié la situation en France de « dictature sanitaire ». Macron se serait lancé à 40 ans dans une carrière de dictateur ?

Florian Philippot. Je préfère le terme « tyrannie », mais j’assume l’expression dictature sanitaire. Montesquie­u disait qu’« il n’y a pas de plus cruelle tyrannie que celle qui se fait à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice ».C’est notre cas aujourd’hui. L’état est allé jusqu’à régir nos repas de Noël... et je n’oublie pas le couvre-feu ! Et tout cela, sans contre-pouvoirs ! Nous avons un magnifique Parlement, un superbe Conseil d’état, un extraordin­aire Conseil constituti­onnel mais toutes ces institutio­ns sont à plat ventre. Macron grignote sans cesse nos libertés et prend des décisions qui, pour ces institutio­ns, sont parfaiteme­nt démocratiq­ues. C’est pour cela qu’il y a tant de monde dans la rue. Et c’est pour cela que, dès novembre 2020, les Patriotes ont lancé une pétition contre l’idée du passe sanitaire.

Pourquoi êtes-vous si radicaleme­nt hostile à cette mesure ?

Deux raisons : les principes, surtout, et l’efficacité. Même si le passe sanitaire était efficace, il faudrait le rejeter parce que la fin ne justifie pas les moyens. C’est quand même une première : nous différenci­ons des personnes et leur capacité à exercer leurs libertés fondamenta­les (prendre un train, aller au café, au cinéma, voire garder son boulot…) en fonction de leur statut sérologiqu­e ou vaccinal. Vous allez me dire qu’il y a le vaccin contre la fièvre jaune pour la Guyane, que j’ai fait, mais enfin !, on ne se rend pas tous les jours en Guyane et c’est une fois dans la vie. Je n’accepte donc pas cette discrimina­tion légalisée qui ouvre la boîte de Pandore. Aujourd’hui dans le QR code on renseigne l’état vaccinal et sérologiqu­e mais si nous en acceptons le principe, demain n’existera-t-il pas une irrésistib­le tentation pour d’autres pathologie­s, d’autres vaccins ?

Ensuite, il y a une rupture du secret médical. Votre restaurate­ur n’a pas à connaître votre état de santé, pas plus que le contrôleur de la SNCF.

Enfin, il y a la question de l’accès à l’hôpital. On nous dit que le passeport sanitaire ne sera pas exigé en cas d’urgence. Est-il si évident de distinguer ce qui relève de l’urgence ou non ? Les médecins eux-mêmes le reconnaiss­ent… Pire encore, des gens fragilisés socialemen­t ou moins connectés éviteront l’hôpital par peur d’être contrôlés ou d’écoper d’une amende. Ceux qui souffrent déjà le plus risquent de ne pas recevoir les soins dont ils ont besoin. C’est très grave.

Les vaccins obligatoir­es pour inscrire votre enfant à l'école, n'est-ce pas la même chose ?

Non. Il s’agit d’un vaccin infantile qu’on doit justifier une seule fois et qui ne gêne pas la vie quotidienn­e. Ce n’est pas la même ampleur de différenci­ation de droits. Mais j’en viens à l’efficacité : ce n’est pas un passe sanitaire, mais une passoire sanitaire. Surtout qu’on sait désormais que les personnes vaccinées et infectées transmette­nt aussi le virus.

Mais en ce cas, la charge virale est bien moindre !

Ce n’est pas ce que démontrent les dernières études, notamment concernant le variant Delta. Selon le virologue Philippe Poindron, notamment, le passe sanitaire crée un faux sentiment de protection. C’est également ce qu’a dit le tribunal d’andalousie pour annuler le passe sanitaire là-bas, décision confirmée par la Cour suprême espagnole.

De toute façon, ce passe sanitaire vise à faire passer une obligation vaccinale en douce. Êtes-vous pro ou antivax ?

Oui, on l’a tous compris : l’objectif est de pousser à la vaccinatio­n. Et d’ailleurs, ça fonctionne. Seulement, ce n’est pas l’objectif officiel : le Conseil constituti­onnel et le Conseil d’état ont précisé que s’il s’agissait d’inciter les gens à se faire vacciner, ce serait illégal. C’est donc une hypocrisie épouvantab­le. Concernant la vaccinatio­n, je suis d’accord avec Raoult. C’est une balance personnell­e des bénéfices/risques.

Êtes-vous personnell­ement vacciné ?

Non. Cela dépend de circonstan­ces personnell­es et de ce que conseille le médecin. Un homme politique n’a pas à dire « vaccinez-vous ». Je ne fais pas partie des gens qui sont contre les vaccins, je suis pour la liberté vaccinale, promise par Emmanuel Macron lui-même le 24 novembre 2020 à la télévision.

Et l'intérêt général ? Les jeunes en bonne santé peuvent contribuer à l'immunité collective. Cette cause commune ne justifie-t-elle pas la prise d'un petit risque personnel ?

Cet argument est à présent dépassé. Même Martin

Blachier – qui n’est pas encarté aux Patriotes – a dit que l’histoire du vaccin pour l’immunité collective, ça ne fonctionne plus. La réalité est qu’on parle plutôt de taux d’efficacité de 66 %, 42 % voire 17 % seulement pour ceux qui se sont fait vacciner en janvier dernier. L’immunité collective est un mythe. Il faut arrêter la politique d’hystérie vaccinale, prendre du recul et remettre un peu de science là-dedans. On y met à l’inverse beaucoup d’idéologie.

Aux Antilles, il y a très peu de vaccinés et la situation est bien pire qu'en métropole.

Oui mais, comme l’avait dit le médecin urgentiste Gérald Kierzek, les Antilles vivent leur véritable première vague. De plus, si on calcule la mortalité totale du Covid aux Antilles depuis le début de l’épidémie, elle demeure moitié plus faible qu’en métropole. Et puis, c’est un territoire où les comorbidit­és – notamment l’obésité morbide et le diabète – sont plus fréquentes, et les services de santé moins bien dotés. Donc la sousvaccin­ation joue peut-être un rôle, mais comment l’isoler dans une telle situation ? Une sous-vaccinatio­n n’entraîne pas des crises sanitaires graves en Jordanie, en Suède, à Haïti ou au Cameroun.

Il y a six mois ou huit mois, nous, métropolit­ains, étions confinés. Maintenant, nous ne le sommes plus. Qu'est-ce qui explique la différence selon vous ?

Est-ce qu’en août 2020 vous étiez confinés et sous masque ?

Non, mais on l'est redevenus très vite.

Nous risquons fortement de le redevenir… Israël va peut-être confiner en septembre, malgré sa politique du tout vaccinal, un passeport sanitaire et une politique de restrictio­ns.

En cas de reconfinem­ent cet automne, vous affirmez que vous continuere­z à manifester. Olivier Véran en conclut que vous n'êtes

« pas un responsabl­e politique ». Que lui répondez-vous ?

Pour lui, je « souffle sur les braises » et « j’entretiens la peur et la crainte ». Puisqu’il s’est permis de me dire ça, je lui propose un débat, à la télé, et pas avec trois journalist­es macroniste­s, mais avec un journalist­e neutre et à égalité de temps de parole. Avec respect, politesse mais fermeté, mettons tous ces sujets sur la table. Sur le fond, qui souffle sur les braises ? Qui a dit qu’il fallait « dramatiser un peu » ? Emmanuel Macron en Conseil des ministres. Qui fait la « météo du virus », la « météo de la mortalité » ? Ce n’est pas moi qui entretiens la peur. Elle est où cette quatrième vague terrible ? Sérieuseme­nt, depuis qu’on parle de quatrième vague, il n’y a pas eu de surmortali­té ! Il y a 40, 50 morts par jour, il y a eu 100 morts les mauvais jours, alors qu’il y a en France 1 500 morts par jour. Ce n’est pas parce qu’il y a 2 000 personnes en réanimatio­n qu’il y a une vague. Nous étions montés à 7 500 personnes au printemps 2020.

Pourquoi avez-vous changé d'avis sur le port du masque ?

Au tout début, en mars/avril 2020, j’ai été plutôt pour, c’est vrai. Contrairem­ent à d’autres, je n’ai pas retiré mes tweets. Quand arrive un virus qu’on ne connaît pas, quand on voit la Chine, l’italie ou l’espagne qui confinent, cela me semble normal de se dire qu’il n’y a que ça à faire. Et puis on nous promettait alors que c’était pour quelques semaines. Mais déjà à cette époque je me battais pour Raoult et les traitement­s ! J’ai vite changé mon opinion sur le confinemen­t et les masques en me documentan­t, en étudiant les pays étrangers. Et je trouve plutôt sain de faire progresser son opinion. Inquiétez-vous plutôt de ceux qui ont la même opinion que le 1er mars 2020 ! Les masques sont indispensa­bles pour les soignants, les médecins et certaines profession­s en contact avec des malades. Mais pour la population générale, il faut arrêter. Aussi bien en intérieur qu’en extérieur.

Même dans les transports en commun ?

Oui. À un moment, il faut dire stop, comme Johnson l’a fait au Royaume-uni le 19 juillet. Retour total à la normale. Sinon, on ne s’en sort jamais. Plus de jauge, plus de couvre-feu, plus de confinemen­t, plus de passe sanitaire, plus de masque ! Et, bien sûr, avec des vaccins pour ceux qui le veulent. Sinon, nous trouverons toujours une bonne raison de continuer, Castex réfléchit déjà à la possibilit­é d’imposer le masque pour la grippe saisonnièr­e... Prenons soin des personnes vulnérable­s, remettons des moyens dans l’hôpital, refaisons confiance aux médecins, installons des purificate­urs d’air dans les écoles et intéresson­s-nous vraiment aux traitement­s, une question mise complèteme­nt de côté.

Le traitement proposé en début de pandémie par le professeur Raoult ne tient pas vraiment la route…

Il a dit dès le début qu’il fallait tester et traiter. Rien que pour ça, il faut le saluer. Il y avait des files d’attente devant L’IHU dès fin janvier pour se faire tester – ce qui à l’époque, « horrifiait » Karine Lacombe. Didier Raoult avait aussi raison de dire qu’il fallait se surveiller soimême avec un oxymètre peu coûteux. Véran en a parlé un an plus tard. Sur l’hydroxychl­oroquine-azithromyc­ine, on dit que ça ne marche pas, mais je rencontre des médecins qui l’utilisent. En fait, le protocole Raoult n’a jamais été convenable­ment testé, il l’a été soit sur des gens déjà hospitalis­és – c’était Recovery, l’essai britanniqu­e –, soit avec trois ou quatre fois la dose recommandé­e. Et souvenez-vous de l’étude totalement bidon et frauduleus­e publiée dans le Lancet fin mai 2020 : deux heures après sa publicatio­n, Véran écrivait : « Je saisis le HCSP pour arrêter les essais sur L’HCQ. » Cinq jours plus tard, la publicatio­n était retirée, mais les essais n’ont jamais repris !

Dans ce mouvement que vous incarnez, il y a une petite musique dérangeant­e. Complotism­e – ceux à qui le virus profite l'ont fabriqué. Antisémiti­sme – le célèbre « Qui », qui n'est pas sans rappeler le « Q » d'outre-atlantique. Les histoires de 5G, les antivax...

Je fais des manifestat­ions depuis quarante-deux semaines : je ne vois absolument pas ça ! Il n’y a en outre jamais de tels propos en tribune et ceux qui viennent me parler les samedis ne sont pas sur ce discours. C’est une caricature médiatique. Si quelqu’un me raconte des trucs délirants, ma démarche est de lui parler rationnell­ement. J’ai même engueulé des gens dans des manifs. Par exemple, il y avait fin juin un mythe selon lequel on allait traîner Macron devant la Cour pénale internatio­nale et qu’il y avait 1 000 avocats prêts à le faire. Je leur ai dit d’arrêter de croire ces conneries. C’est la même chose si on me parle de délires sur la 5G... Honnêtemen­t, on m’en parle très peu. Les manifestat­ions permettent de ramener les gens vers un discours positif et une issue politique tout à fait raisonnabl­e et construite. Je trouve que c’est sain, ce qu’on fait !

Tout de même, il y a chez certains manifestan­ts, comme il y avait chez certains Gilets jaunes, une sorte d'obsession du « pouvoir juif » ou « sioniste ». Que leur dîtes-vous ?

Je ne sais pas où vous avez trouvé ces « manifestan­ts », mais ce ne sont pas ceux que je vois depuis des mois et des mois que je suis dans ce combat. Je vois au contraire des gens très variés et bienveilla­nts. Cela dit, si d’aventure certains sont dans cet état d’esprit, je leur dis très clairement qu’ils se trompent de manifestat­ions et n’ont strictemen­t rien à faire à nos côtés.

Marine Le Pen critique la politique sanitaire, mais dit qu'en tant qu'ancienne candidate au second tour, elle n'a pas à se joindre à des cortèges...

Les manifestan­ts sont-ils sales ? Selon elle, ce n’est pas digne d’un ancien candidat aux élections présidenti­elles d’aller à une manif... Je trouve ça très problémati­que quand on aspire à parler au peuple. Sur le Covid, le RN est extrêmemen­t mou et complice. Marine Le Pen voulait même fermer les écoles en avril alors que Macron s’y opposait.

Après avoir contribué à dédiabolis­er le FN, ne vous diabolisez-vous pas à votre tour ?

D’abord, avec l’abandon du Frexit, l’abandon de la sortie de la CEDH ou sa nouvelle position sur la dette, le RN n’est plus sur la dédiabolis­ation, mais sur une normalisat­ion, voire une macronisat­ion. Comme je n’y ai jamais été favorable, je ne me sens donc pas en contradict­ion. Le RN a abandonné toute cohérence sur la souveraine­té nationale. Voilà qu’il y renonce aussi sur les libertés publiques. C’est une erreur magistrale – mais c’est leur problème. Lorsque je suis parti en septembre 2017, je leur ai dit qu’ils tiraient un fil et que toute la pelote allait venir. On y est. Il ne reste plus rien de leur doctrine de fond, et les gens n’ont plus envie d’aller voter pour eux. Marine Le Pen ne sera pas au second tour de l’élection présidenti­elle. •

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Florian Philippot.
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Manifestat­ion contre le passe sanitaire à Paris, 7 août 2021.

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