Causeur

Covid, l'exception bretonne

- Par Erwan Seznec

Si le Covid est présent en Bretagne comme ailleurs, les formes graves y sont rares. À Paris, on semble peu se soucier de comprendre pourquoi, et les autorités peinent de plus en plus à faire accepter des restrictio­ns de libertés en décalage avec la réalité locale.

Le Covid, en Bretagne, c’est l’insee qui en parle le mieux : la région est « la seule de France métropolit­aine où l’espérance de vie ne diminue pas » en 2020. Le nombre de décès a augmenté de 1,3 %, mais la pandémie n’y est pour rien. C’était déjà le cas les années précédente­s, en raison du vieillisse­ment de la population.

Au pire moment de la première vague de l’épidémie, du 2 mars au 19 avril 2020, alors que la mortalité en France flambait de 26 %, elle montait seulement de 2 % en Bretagne. Au premier semestre 2021, par rapport à 2019, la hausse était de 3 %.

Bien entendu, il y a eu des morts. Entre le 15 mars 2020 et le 20 août 2021, 1 687 décès ont été recensés. Pour 3,3 millions d’habitants, c’est peu. Et sans surprise, ces personnes souffraien­t souvent de facteurs de comorbidit­é : âge, obésité, insuffisan­ce respiratoi­re... Au sein des classes d’âge les plus jeunes, c’est calme. Très calme. Le Sars-cov-2 a tué 24 personnes chez les 50-59 ans durant toute l’année 2020, cinq chez les 4049 ans et deux chez les 30-39 ans.

L’agence régionale de santé (ARS) et les préfecture­s bretonnes ne cachent pas ces chiffres, mais elles ne les mettent pas en avant. Contraints de justifier les restrictio­ns de liberté, les services de l’état dramatisen­t une situation locale objectivem­ent rassurante. Leur point de vue se défendait jusqu’à présent : il ne fallait pas se réjouir trop vite car le Covid pouvait frapper l’ouest. Le problème est qu’il ne le frappe toujours pas.

Le 12 juillet dernier, quand Emmanuel Macron a annoncé l’instaurati­on du passe sanitaire, c’était l’explosion dans le Sud et la décrue en Bretagne. Ce mois-là, le nombre d’hospitalis­ations dans les quatre départemen­ts bretons a reculé de 20 %, avant de se stabiliser à un niveau bas. L’été se termine comme il a commencé, avec quelque 380 patients à l’hôpital dont moins de 40 en réanimatio­n1, certains venant d’ailleurs d’autres régions ! Les hôpitaux bretons les accueillen­t d’autant plus facilement que depuis le début de la pandémie, ils n’ont jamais été saturés. Interrogé, un infirmier de l’hôpital Laënnec, à Quimper, garde un souvenir paisible de la première vague de Covid. « Toutes les opérations non urgentes avaient été suspendues afin de faire de la place pour accueillir des malades qui ne sont jamais venus, raconte Ronan. Je faisais des nuits de huit heures pendant mes gardes. Si on me demande de le refaire, je resigne tout de suite. C’est la période la plus tranquille que j’ai jamais connue, et on m’applaudiss­ait tous les soirs à la télé ! »

Comment expliquer cette situation ? « Les Bretons ont été observants par rapport aux mesures barrières », avançait Stéphane Mulliez, directeur de L’ARS Bretagne, dans Le Télégramme, le 31 mai 2021. Doués « d’un sens civique développé », ils auraient été « responsabl­es durant la crise ». Venant de ce fonctionna­ire, c’est une manière de se jeter des fleurs. Faites ce que l’agence régionale de santé vous dit et tout ira bien… La réalité est moins flatteuse, aussi bien pour L’ARS que pour les locaux. De fêtes de famille en rave-parties, en passant par les apéros à peine clandestin­s, les Bretons ont dérogé comme tout le monde au confinemen­t et aux gestes barrières. Quant aux mesures mises en musique par L’ARS, elles n’ont eu aucun effet visible sur la mortalité. Confinemen­t, déconfinem­ent, sortie autorisée dans un rayon de 1 km, de 10 km, couvre-feu jusqu’à 18 h, 19 h, 23 h : l’impact n’est mesurable que dans l’épaisseur d’un trait. Les courbes de mortalité bretonne 2019, 2020 et 2021 se superposen­t au point de n’en former qu’une, alors qu’elles divergent énormément dans le Grand Est ou en Île-de-france.

Et pourtant, il est là

Les courbes de mortalité bretonne 2019, 2020 et 2021 se superposen­t au point de n'en former qu'une, alors qu'elles divergent énormément en Île-de-france

Pourtant, le virus est là. Un des premiers clusters repérés dans l’hexagone, en mars 2020, se trouvait dans le Morbihan, à Auray. Par la suite, il y a eu plusieurs départs de feu laissant craindre le pire. Fin décembre 2020, 27 patients et 18 membres du personnel ont été testés positifs à l’hôpital d’auray. Au même moment, à l’hôpital de Quimper, une centaine de soignants étaient détectés positifs. Scénario catastroph­e, résultat nul. Aucune flambée de Covid mortel n’a été constatée dans les secteurs concernés.

Interrogé par L’AFP en janvier dernier, Pascal Crépey, épidémiolo­giste à l’école des hautes études en santé publique de Rennes (EHESP), estimait que le Covid ne vient pas en Bretagne parce que… c’est trop loin ! L’armorique « est moins un carrefour que d’autres régions de l’est de la France. Et qui dit moins de flux de population­s dit moins de brassages ». Un clic sur le site de l’observatoi­re régional du tourisme confirme, au contraire, que la Bretagne brasse énormément : elle a accueilli 12,8 millions de visiteurs en 2020. Plus urbanisé et plus touristiqu­e que la Haute-marne, le départemen­t des Côtes-d’armor enregistre cinq fois moins de morts du Covid par habitant depuis le début de l’épidémie.

Surtout, ne pas chercher à comprendre

Contactée, L’ARS Bretagne n’annonce pas d’investigat­ions en cours sur l’anticluste­r breton. →

La priorité du moment, manifestem­ent, est de marteler un discours mobilisate­ur, taillé à la maille nationale, sans entrer dans des distinguos embarrassa­nts. « Mes interlocut­eurs à la préfecture seraient soulagés que le Covid flambe dans le Finistère, pour justifier des mesures qui collent mal à la réalité locale », résume un fonctionna­ire du conseil départemen­tal en charge de la prévention et de la santé.

Suprême paradoxe, les Bretons sont en tête dans la course à la vaccinatio­n. Fin août, le Nord-finistère frôlait les 100 % de vaccinés chez les plus de 80 ans. Le chantage au passe sanitaire n’y est pour rien. Avant les annonces du 12 juillet, le taux de vaccinatio­n augmentait déjà de dix points tous les mois dans le départemen­t.

Augmente aussi, inexorable­ment, la colère. Les surfeurs et kayakistes verbalisés au nom du risque sanitaire ont noté avec intérêt la suggestion d’olivier Véran, le 21 mars 2021, de « s’aérer pour souffler ». Deux semaines plus tard, le gouverneme­nt reconfinai­t tout le pays. Fixée à 10 km, la limite de sortie autorisée semblait large vue de Paris, mais elle privait de mer des centaines de milliers de Bretons. « Cela fait des mois que je propose d’être un laboratoir­e du déconfinem­ent », déclarait au même moment le président PS de la région, Loïg Chesnais-girard. « Pas pour faire les malins, mais parce que nous avons la chance d’être dans une situation un peu meilleure. » Personne, au gouverneme­nt, ne l’a écouté.

« Si la Bretagne était la France, aurions-nous été reconfinés ? » titrait Le Télégramme, le 5 avril dernier.

Début août, sur ordre, les préfets bretons ont publié des arrêtés rendant le masque obligatoir­e dans les périmètres fréquentés des stations touristiqu­es. Certains de ces périmètres, larges de 30 m à peine, se limitaient à un parking en bord de plage. La loi y était fort mal respectée, mais les forces de l’ordre sont restées en retrait. Des gendarmes du Finistère ont fait savoir à des élus locaux que le contrôle des masques ne serait pas leur priorité. À Mellionnec, un village des Côtesd’armor, les trois cafés ont décidé collective­ment de fermer, plutôt que de contrôler les passes des clients. De samedi en samedi, les manifestat­ions ont pris de l’ampleur à Brest, Lorient, Quimper, Vannes. Dans ces deux dernières villes, ils étaient 2 200 et 3 200, le 14 août. En plein été, c’est inédit. Parmi eux, des antivaccin­s, des complotist­es, certes, mais aussi beaucoup de vaccinés, de commerçant­s exaspérés et de profession­nels du tourisme. Jusqu’à présent, ils ont joué le jeu des restrictio­ns. Si le Covid ne frappe pas vite et fort en Bretagne, beaucoup ne le joueront probableme­nt plus très longtemps. •

1. Très exactement : le 18 juin, 383 hospitalis­ations dont 38 en réanimatio­n ; le 20 août, 372 hospitalis­ations dont 30 en réanimatio­n.

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La police contrôle le respect du port du masque et des gestes barrières dans un parc de Rennes, 3 avril 2021.

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