Causeur

Un changement ? Non, une révolution

On peut désormais nommer sans détour une réalité que le politiquem­ent correct interdisai­t jusqu'alors de voir. La nationalit­é française n'est plus qu'un « droit » sans rapport avec une identité historique, et les territoire­s perdus de la République se son

- Mathieu Bock-côté

L'étude de France Stratégie rendue publique par Causeur nous rappelle une chose simple : la France a connu au cours des dernières décennies une mutation démographi­que d’une telle ampleur qu’on peut l’assimiler sans hésiter à une révolution. Ce sont les fondements mêmes de la communauté politique qui se sont transformé­s. Plus encore, cette étude la documente, même si elle la sous-estime, en plus d’autoriser désormais ceux qui évoluent en politique et dans les médias à nommer publiqueme­nt ce qui ne pouvait jusqu’alors qu’être chuchoté ou évoqué avec moult euphémisme­s, tant le prix était cher à payer pour oser ce constat qui pouvait valoir la peine de mort sociale, le bannisseme­nt civique ou la déchéance symbolique de citoyennet­é. On y verra une confirmati­on de la

nature fondamenta­lement totalitair­e du régime diversitai­re, qui institutio­nnalise un mensonge et force chacun à le prendre pour l’expression de la plus stricte vérité. Un régime qui parvient à censurer la mention de la grande révolution de notre temps confirme ainsi son emprise sur les conscience­s et sa capacité à les inhiber, le temps de les rééduquer. Une mutation démographi­que ? Vraiment ? Non. Impossible. Même y penser, c’est péché. Orwell aurait pu parler de crime-en-pensée.

Mais le réel est têtu : un pays ne saurait être indifféren­t à la population qui le compose. Dire cela ne devrait pas faire scandale : mais de cette évidence, nous avons perdu la trace depuis une cinquantai­ne d’années. On pourrait y voir une manifestat­ion parmi d’autres de ce qu’on appellera le fondamenta­lisme de la modernité, qui pousse l’homme à la désincarna­tion, à la déculturat­ion, et qui entend abolir les différente­s médiations par lesquelles l’humanité se constitue politiquem­ent dans sa diversité véritable, qui est celle des peuples et des civilisati­ons. Le fondamenta­lisme de la modernité remplace la diversité des peuples par l’interchang­eabilité des population­s, et traite la culture comme un stock de coutumes privées et privatisab­les n’ayant aucune dimension politiquem­ent fondatrice. Disons-le autrement : la matrice contractua­liste au coeur de la modernité s’est radicalisé­e dans toutes les sociétés occidental­es, au point d’artificial­iser radicaleme­nt la communauté politique, d’assécher la nationalit­é qui n’est plus enracinée, ni même liée, d’une manière ou d’une autre, à l’identité historique du pays dont elle est censée être la traduction politique et juridique. La philosophi­e du contrat social vire à l’absurde : on croit désormais possible de définir un pays exclusivem­ent par le droit, sans référer au peuple historique qui incarne son destin. Autrement dit, le lien entre la citoyennet­é et l’identité est sectionné. Il suffirait de relire Machiavel, Montesquie­u ou Rousseau pour savoir que tout cela est une folie, mais on ne les lit plus.

Plus encore, le régime diversitai­re, qui partout s’est installé en se présentant comme la nouvelle étape du déploiemen­t de la logique démocratiq­ue, voit dans la culture historique de la nation un système discrimina­toire résiduel à combattre, à défaire, à déconstrui­re : il assimile cette déconstruc­tion à un travail de démantèlem­ent de privilèges indus. Mais tout cela entraîne une déréalisat­ion du monde, de la nation : on le voit lorsqu’on aborde la question du terrorisme islamiste. Certains médias n’hésitent pas ainsi à nous expliquer qu’il s’agit essentiell­ement de terrorisme intérieur, en affirmant, sans gêne, que les islamistes qui les commettent sont des Français comme les autres. On se demande s’il faut rire ou pleurer. Croient-ils leurs propres mensonges ? Sont-ils à ce point incapables de prendre conscience de l’échec de l’intégratio­n qui s’étale au fil des décennies, et qui fait en sorte que sous l’abri d’une commune citoyennet­é, deux peuples en viennent à vivre face à face dans une situation de partition objective, dont a déjà parlé François Hollande ? Dans les faits, les territoire­s perdus de la République sont devenus des zones étrangères à l’identité française. Ils sont de plus en plus nombreux, et les Français se sentent de plus en plus en exil dans leur propre pays et étrangers chez eux. La mouvance décolonial­e entend politiser et idéologise­r cette dynamique, et voit dans cette mutation démographi­que une grande revanche historique.

Un pays n’est pas un territoire administra­tif désincarné. Si la Suède se peuplait progressiv­ement de Norvégiens, ne deviendrai­t-elle pas peu à peu norvégienn­e ellemême ? Si le Japon se peuplait de Chinois, s’agirait-il encore du même pays ou d’une annexe de la Chine ? Si le Québec se peuplait de Canadiens anglais, serait-il encore québécois ? Que dire alors de la situation de la France, et qu’en sera-t-il dans cinquante ans ? •

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Station RER Gare-du-nord, Paris, 23 septembre 2010.

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