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Natalité : le basculemen­t en cartes et en chiffres

- Observatoi­re de l'immigratio­n et de la démographi­e

Seine-saint-denis, Paris intra-muros, mais aussi Rennes, Limoges ou Poitiers : les cartes de 55 villes rendues publiques par France Stratégie, organisme d'état, démontrent que la proportion des 0-18 ans nés de parents extra-européens explose à travers tout le pays. Un changement démographi­que historique.

Depuis de nombreuses années, la question des statistiqu­es ethniques constitue un sujet brûlant au sein d’un débat explosif : celui sur le fait migratoire, son approche scientifiq­ue et ses répercussi­ons dans la société française. En effet, la constituti­on de bases de données fondées sur la « race » ou « l’origine ethnique » auto-déclarée (telles qu’elles existent notamment aux États-unis ou en Grandebret­agne) demeure formelleme­nt interdite par la jurisprude­nce du Conseil constituti­onnel, lequel y voit une atteinte aux principes d’égalité et de non-discrimina­tion proclamés dans l’article 1er de la Constituti­on1.

Il n’en va pas de même quant à l’origine nationale des

L'observatoi­re de l'immigratio­n et de la démographi­e est une structure d'étude indépendan­te, animée par des bénévoles, relative aux évolutions migratoire­s et démographi­ques de la France. Face à la défiance démocratiq­ue grandissan­te sur ces sujets, L'OID souhaite contribuer à permettre un débat serein et éclairé en proposant des analyses inédites, solidement étayées et compréhens­ibles par chacun. https://observatoi­re-immigratio­n.fr/ https://twitter.com/observatoi­reid

individus. En se fondant sur les données du recensemen­t, l’insee entretient tout un appareil statistiqu­e relatif au nombre d’immigrés vivant en France, au nombre d’enfants nés de parents immigrés et aux pays d’origine de ceux-ci. C’est en partie sur cette base que France Stratégie, organisme de prospectiv­e rattaché au Premier ministre, a rendu publique en juillet 2020 une vaste étude consacrée à « la ségrégatio­n résidentie­lle en France ».

Se concentran­t sur les 55 « unités urbaines » françaises comptant plus de 100 000 habitants, les équipes de France Stratégie ont cherché à comprendre « l’inégale répartitio­n dans l’espace urbain des différente­s catégories de population » au regard de plusieurs critères : la tranche d’âge, la catégorie socioprofe­ssionnelle, le statut d’occupation du logement… Mais aussi l’origine migratoire directe : les immigrés et leurs enfants. Le site public créé pour l’occasion par France Stratégie permet de visualiser, pour chaque commune et chaque « zone IRIS » (quartier de 2 000 habitants environ), le pourcentag­e d’immigrés européens et extra-européens parmi les 25-54 ans, ainsi que la part d’enfants nés de parents immigrés parmi les 0-18 ans. Ces données sont accessible­s pour différente­s années entre 1968 et 2017.

Le constat : un bouleverse­ment sans précédent

Si tel n’était certaineme­nt pas la volonté de France Stratégie, l’analyse que nous avons menée sur la base de ces données permet néanmoins de constater que les mutations démographi­ques générées par l’immigratio­n sont spectacula­ires dans l’ensemble des métropoles. En particulie­r, la part des mineurs nés directemen­t de parents immigrés non européens a augmenté de manière forte et rapide dans toutes les grandes et moyennes villes de France depuis 1990.

Si cette part atteint des records en Île-de-france (les enfants d’immigrés extra-européens représente­nt en moyenne 37,4 % des 0-18 ans dans l’agglomérat­ion parisienne, et jusqu’au double dans certaines communes de Seine-saint-denis), la hausse est exponentie­lle dans des zones urbaines longtemps peu concernées. En moins de trente ans, on observe par exemple une multiplica­tion par trois de la part des mineurs nés de parents extra-européens dans les principale­s villes de l’ouest (entre 21 et 23 % à

Rennes, Angers, Le Mans, Poitiers…), mais aussi dans des régions enclavées (comme à Limoges : 27,5 %). Examinons ici quelques situations significat­ives – en nous focalisant sur ce même indicateur.

• La Seine-saint-denis

Le criblage des données Insee/france Stratégie nous apprend que les enfants immigrés ou nés de parents immigrés extra-européens sont majoritair­es parmi les 0-18 dans plus de la moitié des communes de Seinesaint-denis en 2017. Ce basculemen­t est particuliè­rement marqué dans certaines communes :

• La Courneuve : 75 % des 0-18 ans sont nés de parents immigrés extra-européens (moins d’un quart des mineurs résidant sur la commune est donc d’origine française ou européenne)

• Villetaneu­se : 73 %

• Clichy-sous-bois : 72 %

• Aubervilli­ers : 70 %

• Pierrefitt­e-sur-seine : 69 %

L’analyse par zone IRIS démontre que les pourcentag­es sont encore plus élevés dans certains quartiers de ces villes – jusqu’à 84 % dans plusieurs zones de Clichy-sousbois. En 1990, si ces taux étaient déjà nettement plus élevés en Seine-saint-denis que la moyenne nationale, ils étaient néanmoins beaucoup plus faibles qu’aujourd’hui : À La Courneuve, la proportion d’enfants d’immigrés extra-européens a augmenté de 60 % entre 1990 et 2017. À Pierrefitt­e-sur-seine, la proportion d’enfants d’immigrés extra-européens a augmenté de 102 % : elle a donc plus que doublé.

• Orléans

La capitale de la région Centre-val-de-loire, située à une heure de train de Paris, connaît elle aussi une dynamique démographi­que largement perfusée par l’immigratio­n. À tel point que les statistiqu­es locales y sont désormais presque semblables à celles de l’îlede-france.

En effet, les enfants de parents immigrés extra-européens représente­nt désormais un tiers (33,1 %) des 0-18 ans vivant dans l’unité urbaine d’orléans – contre 37,4 % en moyenne pour Paris et sa petite couronne. En 1990, ils n’étaient que 15,1 % dans l’agglomérat­ion orléanaise ; leur part relative a donc augmenté de 119 % en moins de trente ans.

Si cette hausse est générale, certains quartiers sont cependant en pointe. Les jeunes d’origine non européenne y sont même nettement majoritair­es :

• L’argonne : 69 % des 0-18 sont des enfants d’immigrés extra-européens

• La Source : 66 %

Outre l’augmentati­on globale, l’aspect le plus remarquabl­e de la situation orléanaise réside dans le basculemen­t spectacula­ire de communes périphériq­ues qui étaient encore peu concernées par l’immigratio­n extraeurop­éenne voici vingt-sept ans. Citons parmi d’autres :

• Saran : 30 % des 0-18 sont des enfants d’immigrés extra-européens en 2017, contre 4 % en 1990 – soit une multiplica­tion par huit

• Fleury-les-aubrais : 38 % contre 9 % en 1990 – soit une multiplica­tion par quatre

• Poitiers

À l’instar de tout le Grand Ouest, la région poitevine est longtemps demeurée à l’écart des différente­s vagues d’immigratio­n reçues par la France depuis le xixe siècle. Cela était resté le cas pour les flux extra-européens… jusqu’à ces dernières années.

La part des enfants de parents immigrés extra-européens parmi les mineurs vivant dans l’agglomérat­ion de Poitiers a été multipliée par trois entre 1990 et 2017 : ils représente­nt désormais 21,7 % des 0-18 ans, contre 7,6 % il y a moins de trente ans. Si certaines communes périphériq­ues sont encore peu touchées par cette mutation, celle-ci a été spectacula­ire dans plusieurs quartiers de Poitiers – où les jeunes d’origine extra-européenne sont en passe de devenir majoritair­es :

• Le Breuil-mingot : 45 % des 0-18 ans sont des enfants d’immigrés extra-européens en 2017, soit quatre fois plus qu’en 1990 (12 %)

• Les Couronneri­es : 45 %, soit trois fois plus qu’en 1990 (15 %)

• Les Trois Cités / Les Sables : 40 %, soit quatre fois plus qu’en 1990 (10 %)

• Nîmes

Contrairem­ent au Poitou, le Gard est concerné par l’immigratio­n extra-européenne depuis les années 1970. Si le phénomène n’y est donc pas radicaleme­nt nouveau, il n’en demeure pas moins que son amplificat­ion a été particuliè­rement notable à Nîmes durant les trois dernières décennies.

En moyenne sur l’agglomérat­ion nîmoise de 2017, 31,4 % des 0-18 ans sont nés de parents immigrés extraeurop­éens – contre 15,2 % en 1990. La part relative de ces mineurs a donc augmenté de 107 % sur cette période, et ils sont désormais nettement majoritair­es dans plusieurs quartiers. Par exemple :

• Chemin-bas d’avignon : 63 % des 0-18 ans sont des enfants d’immigrés extra-européens

• Pissevin : 59 %

• Valdegour : 54 %

Une autre nouveauté consiste dans la diffusion rapide de cette démographi­e vers des quartiers nîmois dont la part de natalité non européenne était très en dessous de la moyenne locale il y a une trentaine d’années. Citons entre autres :

• Beausoleil : 26 % des 0-18 sont des enfants d’immigrés extra-européens en 2017, soit cinq fois plus qu’en 1990 (5 %)

• Costières / Capouchiné : 29 %, soit cinq fois plus qu’en 1990 (6 %)

• Puech-du-teil : 32 %, soit quatre fois plus qu’en 1990 (7 %)

Les angles morts de cette étude

Il apparaît utile de préciser que les données Insee mobilisées par France Stratégie seraient sousévalué­es si l’on cherchait à les utiliser pour estimer la part complète de telle ou telle origine « ethnique » au sein d’une population – et ce pour deux raisons principale­s : 1) Ce calcul n’inclut pas la « troisième génération », celle des enfants nés de grands-parents immigrés extraeurop­éens ;

2) Il n’intègre probableme­nt que très partiellem­ent la présence de mineurs immigrés clandestin­s (sachant que la population totale des immigrés illégaux dans la seule Seine-saint-denis est estimée entre 150 000 et 450 000 individus d’après un rapport parlementa­ire de 20182).

Les données ici présentées ne remplacent donc pas les « statistiqu­es ethniques », objets récurrents de polémiques et d’obstacles juridiques, dont la démographe Michèle Tribalat considère pourtant qu’elles sont « indispensa­bles à la connaissan­ce3 ».

Par ailleurs, la double dynamique induite par la surnatalit­é des population­s immigrées et l’accélérati­on de l’immigratio­n au cours des dernières années conduisent à penser que les données ici compilées en 2017 sont déjà significat­ivement dépassées.

Enfin, l’approche englobante de la catégorie des « 0-18 ans » ne donne pas une idée aussi précise que possible des dynamiques en cours. Au vu de la tendance dessinée par ces cartes, on peut imaginer que la proportion d’enfants d’immigrés extra-européens est plus forte chez les 0-5 ans ou les 0-10 ans que chez les 10-18 ans.

Une telle segmentati­on statistiqu­e aurait permis de percevoir de façon plus précise l’accélérati­on des transforma­tions démographi­ques en cours, ainsi que leur impact à venir sur l’ensemble des catégories d’âge.

Conclusion

L’analyse à laquelle nous venons de nous livrer démontre que les effets cumulés de l’immigratio­n et des différenti­els de fécondité ont d’ores et déjà modifié significat­ivement la population française dans les grandes et moyennes agglomérat­ions – et qu’ils continuent de le faire.

Une fois posé ce diagnostic incontesta­ble, il est permis à chacun de s’interroger sur les conséquenc­es d’un tel basculemen­t à court, moyen et long terme, étant entendu qu’il ne pourra cesser de s’amplifier « naturellem­ent » sans la mise en oeuvre d’une volonté politique contraire. •

1. Décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, « Loi relative à la maîtrise de l'immigratio­n, à l'intégratio­n et à l'asile » (site du Conseil constituti­onnel).

2. « Rapport d'informatio­n sur l'évaluation de l'action de l'état dans l'exercice de ses missions régalienne­s en Seine-saint-denis », enregistré à la présidence de l'assemblée nationale le 31 mai 2018 (rapport Cornut-gentille-kokouendo)

3. Entretien au Figaro, 26 février 2016.

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