Faute collective
FAUT-IL S’EN DÉSOLER ? Oui, bien sûr, le déficit commercial a atteint en 2023 le niveau record de près de 100 milliards d’euros, en excluant l’année atypique de 2022 qui avait vu exploser les importations d’énergie avec la guerre en Ukraine. Et Nicolas Dufourcq, le patron de Bpifrance, ne trouve aucune circonstance atténuante à cette situation, lui qui avait constaté dans son livre
La Désindustrialisation de la France (éd. Odile Jacob) que celle-ci portait « les empreintes digitales de tout le monde, car elle est le résultat d’une préférence collective ». Cela a commencé quand même par celles de la dame des 35 heures, Martine Aubry, dont le zèle à réduire le temps de travail n’a pas peu compté dans le renchérissement des coûts de main-d’oeuvre en France. Vingt ans ont passé, le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) de François Hollande a partiellement corrigé cette anomalie, et si la France a un coût du travail encore 30 % plus élevé que l’Italie, il est, à quelques centimes près, égal à celui de l’Allemagne. Ce qui n’empêche pas celle-ci, grâce à la puissance de ses entreprises moyennes qui font tellement défaut de ce côté-ci du Rhin, d’afficher une balance des biens manufacturés positive de 350 milliards d’euros, quand le déficit français en la matière est d’une cinquantaine de milliards. Mais est-ce le seul chiffre qui compte ?
Il faut rappeler que l’économie française équilibre quasiment ses comptes extérieurs – moins de
10 milliards de déficit de la balance des paiements courants en 2021, l’année 2022 étant hors norme – et les résultats 2023 seront presqu’aussi bons grâce aux 63 milliards de recettes touristiques. Ce qui peut se traduire par le constat suivant, que peu d’économistes assumeraient : le pays peut s’offrir cet excès d’importations, d’autant que celles-ci assurent aux ménages des gains de pouvoir d’achat considérables. En son temps, Patrick Artus avait établi à près de 5 points de revenu les avantages-coût d’une offre mondialisée. Reste une énigme : le rôle du CAC 40 dans cette dégradation du commerce extérieur français. Son poids dans les exportations est effectivement déclinant, au fur et à mesure que ses positions se sont consolidées à l’étranger. Les multinationales tricolores comptent donc largement dans cette statistique que regrette Nicolas Dufourcq : les entreprises françaises ont 2,5 fois plus d’actifs industriels à l’étranger que sur le territoire national, quand, pour nos grands voisins, le chiffre est plutôt de 1,6. Alors, le CAC 40 traître à la patrie ? Pas vraiment, à l’image d’un Sanofi, souvent critiqué, mais dont la meilleure défense se résume au triple constat de son « empreinte » en France : le laboratoire y réalise à peine 5 % de ses ventes, mais y concentre
20 % de ses effectifs et 33 % de sa recherche. N’est-ce pas cela qui importe ?•