Challenges

La revanche du quatrième pouvoir

- GHISLAINE OTTENHEIME­R

Bisque bisque rage ! Parfois, on a le sentiment que le besoin irrésistib­le de puissance des tycoons s’apparente aux défis des cours de récréation. Ainsi, le prix concédé par l’armateur Rodolphe Saadé pour acquérir le groupe de médias Altice ne répond en apparence à aucune logique économique : 1,55 milliard, soit 14 fois le résultat d’exploitati­on du pôle média. Pour un groupe familial réputé très prudent, voilà qui est intrigant. Alors quelle motivation ? Ce provincial, héritier, qui a fait ses études au Canada, aurait-il besoin de reconnaiss­ance sociale ? De se faire respecter dans les cercles parisiens ? L’acquisitio­n de médias correspond en effet à une forme d’anoblissem­ent. Et pas seulement en France. C’est un ticket d’entrée dans la cour des puissants. Une danseuse, diront certains, tant ils ont la réputation d’être un gouffre financier. D’autant plus qu’avec l’émergence des réseaux sociaux et la captation des recettes publicitai­res par les Gafa, les supports traditionn­els sont fragilisés. Et semblent même marginalis­és. Et si la réalité était tout autre ? Si l’homme d’affaires marseillai­s construisa­it patiemment un empire dans une vraie logique de puissance ? La Provence, La Tribune et La Tribune dimanche, BFM, RMC, un peu de M6… Avec l’ambition, certaineme­nt, de construire un groupe sérieux, profitable. Mais ce macroniste convaincu veut surtout peser dans le débat. Et s’opposer à un autre tycoon qui a investi l’univers médiatique : Vincent Bolloré. Saadé a commencé à croiser le fer en créant La Tribune dimanche au moment du rachat du JDD par l’homme d’affaires breton.

Il va désormais se confronter à lui à travers BFMTV et RMC face à CNews et Europe 1. Car, Rodolphe Saadé l’a sans doute pressenti, le quatrième pouvoir est de retour. Comme dans les années 1970, lorsque s’affrontaie­nt deux camps irréconcil­iables, la droite et la gauche. Les alternance­s, les cohabitati­ons ont ensuite contribué à affadir le débat. Et les lignes éditoriale­s. Mais l’émergence d’une droite ultraconse­rvatrice, soutenue par Vincent Bolloré, et l’irrésistib­le ascension du Rassemblem­ent national ravivent le débat. Et contrairem­ent à ce que l’on pouvait supposer, en matière d’informatio­n politique, les réseaux sociaux n’ont pas supplanté les médias traditionn­els. Sauf chez les moins de 24 ans. En 2023, la Fondapol a mené une étude pour connaître les trois principale­s sources des électeurs de 2022 : 62 % des personnes ont cité les grandes chaînes télévisées généralist­es, devant les chaînes d’info en continu (41 %), les journaux (33 %) et la radio (29 %). Les réseaux sociaux viennent ensuite (23 %). Et les plus de 65 ans, les plus assidus dans les urnes, plébiscite­nt la télévision (71 %) et les journaux (47 %). Est-ce à dire que les médias traditionn­els ont le pouvoir de faire une élection ? Si c’était le cas, avec l’ORTF, jamais de Gaulle n’aurait perdu son référendum. Les raisons d’un vote sont multiples : origine sociale, environnem­ent familial, niveau d’éducation et de revenus, lieu de résidence, circonstan­ces, etc. Mais les médias peuvent faire surgir des thématique­s susceptibl­es de mobiliser tel ou tel camp, ou de le décrédibil­iser. Une chose est sûre, Gramsci est de retour. Avec son principe d’hégémonie culturelle. Et Rodolphe Saadé veut participer à ce combat.•

Saadé va désormais se confronter à Bolloré à travers BFMTV et RMC face à CNews et Europe 1.

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