Challenges

Guerre des mémoires de guerre

- NICOLAS DOMENACH

C’est reparti comme en 40 ! Ou comme en 14… Il y a une guerre des mémoires de guerre. Une confrontat­ion des imaginaire­s instrument­alisés par chaque camp politique qui cherche à revitalise­r le récit de ses choix aux sources tumultueus­es du passé. Et, reconnaiss­ons-le, en dépit de ses zigzags diplomatiq­ues malencontr­eux, la narration de fermeté d’Emmanuel Macron au sujet de la guerre en Ukraine est beaucoup plus percutante que celle des extrêmes qui en appellent au « parti de la paix ». Avec pour chacun son recours aux mythes qui agitent notre psyché pour tenter d’asseoir sa posture politique. Celle de Marine Le Pen est, sur ce terrain de la guerre, la plus inconforta­ble tant l’embarrasse­nt ses connivence­s poutinienn­es et, plus avant, les origines collaborat­ionnistes de son mouvement. Comment prétendre sauver la France quand des fondateurs de son paternel parti ont donné la main aux envahisseu­rs nazis ? Quant à Jean-Luc Mélenchon, son poutinisme le poursuit aussi. Le président de la République a trouvé là un boulevard pour se réclamer de « l’esprit français de résistance ». Feu sur « l’esprit munichois » exhumé avec force car, dans notre mémoire collective, le remords de l’abandon des Sudètes à l’Allemagne d’Adolf Hitler rôde encore. Et pour cause : ce reniement de la honte préludait à tous les abandons jusqu’à l’armistice et la collaborat­ion pétainiste. Même si elle remonte au 30 septembre 1938, cette blessure ne s’est jamais refermée. Le Britanniqu­e Neville Chamberlai­n et le Français Edouard Daladier, qui paraphèren­t cette capitulati­on sans combat, furent accueillis en héros à leur retour. Le premier fut baptisé le « peacemaker », le second à l’aéroport du Bourget fut célébré par un peuple en liesse. La légende veut que le leader radical, alors président du Conseil, ait avec lucidité lâché :

« Ah les cons s’ils savaient… »

Le choix était entre la guerre et le déshonneur. Pour avoir tout sacrifié à la paix, nous eûmes la défaite et le déshonneur. Cette meurtrissu­re d’une France en dessous d’elle-même, l’héroïsme de Charles de Gaulle n’a pas suffi à l’effacer. On en retrouve la brûlure et le désir du rachat face à Poutine. Emmanuel Macron nous invite à tirer cette leçon d’histoire face à un autre dictateur qui ne peut comprendre que le langage de fermeté. Le président français a d’ailleurs cité Winston Churchill, qui était opposé aux accords de Munich et en appela à ne rien céder à la dictature nazie – comme il ne faut rien abandonner désormais à l’autocrate du Kremlin. En face, l’extrême droite et l’extrême gauche revendique­nt une puissante logique pacifiste inspirée par « la boucherie de 14-18 ». Un pays mutilé de ses forces vives. Le traumatism­e de la Grande Guerre, dont chaque village et combien de mémoires gardent encore la trace douloureus­e dans laquelle tentent de s’inscrire ces néopacifis­tes.

« L’Ukraine, c’est le Verdun du xxie siècle », tonne Marine Le Pen faisant écho, comme Jean-Luc Mélenchon, au pacifisme de Jean Jaurès. Invocation abusive. Le leader socialiste, assassiné en juillet 1914, loin de rejeter la guerre, a au contraire défendu la lutte armée en cas d’agression contre une démocratie. Mais « dans la guerre des mémoires comme dans la guerre tout court,

écrivait Rudyard Kipling, la première victime est toujours la vérité ».•

Entre le poutinisme de Le Pen et celui de Mélenchon, Macron a un boulevard pour se réclamer de «l’esprit de résistance».

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