Il faut au moins trois ans pour percer à l’international
Président du think tank Le French Design by VIA, le patron de Fermob défend une vision très volontariste de l’export. A ses yeux, il ne faut rien attendre de l’Etat, mais faire confiance au soft power français.
Challenges. Vous êtes à la tête de Fermob, qui réalise une grosse partie de son chiffre d’affaires à l’export. Comment avez-vous réussi à pénétrer les marchés américains et asiatiques dans un secteur, l’ameublement, aussi bataillé ?
Bernard Reybier. Fermob est d’abord un fabricant industriel avec des usines qui doivent tourner et qui ne peuvent se contenter du marché intérieur français. L’export est au service d’une logique industrielle. Il faut oser voir grand. Lorsque j’ai repris cette entreprise en 1989 avec seulement 12 personnes [aujourd’hui elle en emploie 600], je leur ai dit : « Nous sommes une entreprise mondiale. » Aujourd’hui, Fermob réalise 50 % de son chiffre d’affaires à l’étranger. Pour nous distinguer de la concurrence chinoise, nous avons visé le marché de la qualité en vendant nos chaises entre 69 à 300 euros. Le succès de Fermob est d’abord dû à notre absence de complexe par rapport à la conquête des marchés étrangers. Certes, les paiements, c’est compliqué, mais c’est le métier des banques; le transport, c’est complexe, mais c’est le métier des logisticiens. On a tendance à faire peur aux gens quand on leur parle d’international, notamment aux PME, qui ne sont pas assez présentes à l’étranger. N’ayons pas de complexe visàvis des Allemands et de leur Deutsche Qualität. Je constate une très grande bienveillance de l’étranger visàvis de la France, notamment dans notre secteur de l’art de vivre où nos produits sont ultralégitimes.
Le savoir-faire français est-il encore suffisamment reconnu?
Nous négligeons trop souvent notre soft power. Bien audelà de nos champions du luxe, les designers français n’ont pas de complexe à avoir face à la concurrence mondiale. A la tête du think tank Le French Design by VIA, nous avons créé un prix avec un jury international avec les meilleurs du monde entier. Je peux vous dire qu’on s’arrache la création française. Il faut que nous nous fassions davantage confiance. A l’occasion d’une exposition dans 14 capitales, le Los
Angeles Times avait titré à sa une « Only French Design Can Do That ».
Comment expliquez-vous la frilosité française à l’international ? Quelles sont les clés pour réussir?
Il faut plus de pugnacité que sur son marché domestique pour réussir à l’international. Il faut aussi savoir être patient et compter au moins trois ans pour percer. La première année, on vous dit bonjour sur les Salons; la deuxième, on vous repère; la troisième, vous concluez. Les premières conquêtes sont les plus enthousiasmantes et ensuite vous profitez d’un effet boule de
neige. J’ai commencé par deux marchés clés – l’Allemagne et les EtatsUnis – en 1990, un an après avoir racheté l’entreprise. Il faut planter des graines aux bons endroits pour gagner en visibilité : j’ai équipé en mobilier Fermob Bryant Park, quatre hectares au coeur de Manhattan, à New York. Nous avons ainsi été repérés par des salariés de Google qui nous ont choisis, quinze ans plus tard, pour doter l’ensemble du siège du groupe à Mountain View. Mais avant d’aller à l’autre bout du monde, je conseillerais aux PME de se tester d’abord sur les marchés limitrophes de Belgique, Suisse et Allemagne. Des pays faciles d’accès, à fort pouvoir d’achat.
Les PME sont à la traîne à l’export. Les mesures publiques d’aides sont-elles suffisamment ciblées en leur faveur?
L’Etat ne doit pas être le déclencheur d’une conquête à l’international. Quand les PME n’exportent pas assez, c’est d’abord la faute du dirigeant. Ensuite, il faut savoir utiliser à bon escient les aides publiques. Les garanties de prospection de Bpifrance, qui sont en partie remboursées en cas d’échec, sont efficaces. De même, les aides ciblées pour frais de Salon ou foire fonctionnent mieux. Nous utilisons aussi beaucoup le triptyque « alternance, VIE, CDI », qui nous permet de diviser par deux ou trois les risques dans le recrutement. N’attendons pas tout de l’Etat. Je ne crois pas non plus au « Faut chassez plus en meute ». En revanche, les grands groupes du CAC 40 n’ont pas assez le réflexe d’entraîner avec eux les PME.
Les exportations françaises progressent, mais restent à des années-lumière des volumes allemands. Quels freins faut-il encore lever?
Le principal frein reste le coût du travail. Je trouverais légitime de soutenir davantage les efforts à l’exportation en créant par exemple un crédit d’impôt développement à l’international. Une sorte de bonus sur les charges sociales, évidemment plafonné et réservé aux PME qui démarrent à l’international pour leur donner un coup de fouet. Je connais très bien le patron du Medef et j’entends bien lui en parler.