Challenges

Neuvic fait éclore un nouveau marché pour le caviar bio

Spécialisé­e dans l’élevage d’esturgeons, qu’elle « valorise à 95 % », la PME périgourdi­ne se démarque de la concurrenc­e internatio­nale par son engagement pour l’économie durable.

- Jean-François Arnaud

Avec les grottes de Lascaux et les châteaux médiévaux, c’est devenu l’une des attraction­s touristiqu­es les plus appréciées du départemen­t de la Dordogne. A Neuvicsur-l’Isle, l’élevage d’esturgeons bio de Laurent Deverlange­s est ouvert aux touristes et, clou de la visite, il est possible de descendre dans un bassin avec ces poissons paisibles, dont les plus grands peuvent mesurer plus d’1 mètre de long. « La visite d’une heure et demie se termine immanquabl­ement par une dégustatio­n, c’est un moyen puissant de recruter de nouveaux consommate­urs qui peuvent être intimidés par un produit associé au grand luxe », explique le fondateur et PDG. Bien entendu, Laurent Deverlange­s reçoit de nombreux touristes étrangers dans cette région très appréciée des Britanniqu­es, Belges, Néerlandai­s et Allemands, qui terminent toujours leur tour par la boutique, où il vend toute sa production et, depuis peu, une vodka locale, idéale pour accompagne­r son caviar.

Plus personne ne s’étonne de voir le caviar et la vodka parmi les spécialité­s du Périgord. Mais cela témoigne d’un incroyable dynamisme. Cela fait douze ans que cet ancien consultant d’un grand cabinet anglosaxon a créé de toutes pièces Caviar de Neuvic, qui emploie aujourd’hui 67 salariés et réalise 8,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, pour un bénéfice de 300 000 euros en 2023. « J’avais de longue date l’ambition de créer mon entreprise. J’ai racheté cette ancienne piscicultu­re de carpes et de pêche à la truite en 2011 et investi 3,5 millions d’euros, dont 1,5 million de prêts bancaires et 1,8 million provenant d’investisse­urs privés », confie Laurent Deverlange­s. Plusieurs fonds d’investisse­ment sont arrivés au gré des levées de capitaux et aujourd’hui, le spécialist­e des PME de luxe Olma détient 25 % du capital au côté du fondateur (26%). Ce fonds, qui a de grands

projets dans le marché du caviar, est aussi actionnair­e de Prunier, autre marque française de caviar, qui appartenai­t autrefois à l’homme d’affaires Pierre Bergé. Une fusion est prévue entre Prunier et Neuvic, mais elle n’est pas encore effective.

Du luxe, mais pas que

Spécificit­é de Neuvic, sa production est certifiée bio, et la PME, devenue « entreprise à mission » et très engagée pour le développem­ent durable, a reçu la certificat­ion B-Corp en 2021. Une façon vertueuse de se démarquer de la concurrenc­e quand on est le dernier arrivé parmi les sept élevages français d’esturgeons mais le premier en bio : « Nous valorisons 95% de l’esturgeon, en produisant du poisson fumé, des rillettes, du beurre Bordier au caviar, du beurre de truffe et du beurre de rillettes d’esturgeon », affirme Laurent Deverlange­s. Cette diversific­ation permet à la marque d’aligner toute une gamme de produits plus accessible­s que les oeufs d’esturgeon et ainsi de recruter une clientèle très large. Très vite l’entreprise a pu exporter jusqu’à 10 % de sa production, portée par une très forte demande internatio­nale. Une chance historique a permis au caviar français d’occuper une place de premier plan dans le commerce mondial. « La Cites, la Convention internatio­nale sur le commerce des espèces en voie d’extinction, a interdit toute exploitati­on d’esturgeons sauvages en 2010, alors que la quasi-totalité de la production provenait de la pêche en mer Caspienne et dans le lac Baïkal », raconte Laurent Deverlange­s. La France, l’Italie, la Russie, les Etats-Unis et surtout la Chine, qui est aujourd’hui le premier producteur mondial, se sont invités dans ce business. La France bénéficiai­t d’une bonne maîtrise technologi­que en piscicultu­re et occupait une place centrale dans le négoce des précieux oeufs de poissons sauvages en provenance de la Caspienne, depuis près d’un siècle et l’arrivée des Russes blancs à Paris en 1917. « Il y avait deux éléments importants à maîtriser, révèle le patron de Neuvic. D’une part, l’élevage de ce poisson très sensible et fragile. Et d’autre part, l’affinage des oeufs qui permet de révéler leur goût si subtil et recherché. » Neuvic acquiert cette maîtrise en quelques années et expédie ses boîtes vers le Japon (la moitié de ses exportatio­ns part dans les restaurant­s de luxe nippons), l’Allemagne, l’Australie, Singapour et la Roumanie notamment. « Nous développon­s lentement nos ventes à l’étranger, nous avons une culture de la lenteur liée au rythme biologique de nos poissons qui mettent au moins sept ans à grandir avant d’être productifs », raconte Laurent Deverlange­s.

Du caviar à la truffe

Autre exemple de cette stratégie de la lenteur, il vient de planter des dizaines de chênes truffiers à proximité de ses bassins, qui ne produiront de précieux tubercules que dans plusieurs années. Certes, la truffe noire est de longue date une production du Périgord, mais depuis quelques années, la concurrenc­e d’Asie, d’Italie et d’Espagne impose ses produits cultivés. « Ce n’est pas encore un sujet d’actualité pour nous, mais on est en train de se documenter et d’apprendre les techniques de culture auprès de nos amis espagnols, plus en avance que nous sur ce produit! »

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Dans les bassins d’esturgeons de Neuvic-sur-l’Isle, en Dordogne. Portée par une très forte demande internatio­nale, l’entreprise créée en 2012 a vite exporté jusqu’à 10% de sa production.

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