Challenges

La fraternita italienne à la conquête de la planète

De longue date, les PME et ETI transalpin­es se sont organisées pour monter ensemble à l’assaut des marchés étrangers. Exemple dans le secteur des machines-outils et autour du Kilometro Rosso, près de Bergame.

- Grégoire Pinson

En septembre dernier, sept entreprise­s italiennes spécialisé­es dans les machinesou­tils, pour la plupart des PME, ont joint leurs forces afin d’ouvrir ensemble un bureau à Hô Chi MinhVille, au Vietnam. Objectif de ces sociétés implantées autour de Brescia et de la petite ville de Varese, dans le nord du pays : prendre leurs marques sur un marché où, d’après les études menées par leurs soins, la demande en robot de production doit croître de plus de 10% par an d’ici à 2026. « Moyennant une cotisation annuelle de l’ordre de 1000 euros, la même pour chaque entreprise adhérente, ces dernières bénéficier­ont d’une organisati­on stable pour leur prospectio­n sur place, mais aussi pour tenir, une fois par an, un événement et profiter de visites groupées auprès d’une sélection de clients potentiels », détaille Barbara Colombo. La présidente de l’organisati­on patronale de la machineout­il en Italie (Ucimu) est ellemême représenta­nte de la troisième génération à la tête de l’entreprise familiale Ficep, spécialisé­e dans les engins pour la production de l’acier. Ce type d’initiative de l’Ucimu a déjà été couronné de succès en Inde, où un dispositif commun a été ouvert il y a dix ans. Et la prochaine destinatio­n sera sans doute le Mexique.

Tortue romaine

Difficile pour des entreprise­s concurrent­es de partager les mêmes études et les mêmes carnets d’adresses ? « Le monde est suffisamme­nt vaste pour que tout le monde y trouve sa place, philosophe Barbara Colombo. De surcroît, nos vrais concurrent­s, dans notre secteur, ce ne sont pas nos voisins de palier mais les firmes chinoises ou taïwanaise­s. » Cette progressio­n en formation de tortue romaine est efficace : l’Italie est aujourd’hui le quatrième exportateu­r de machinesou­tils dans le monde. Alors que la France, elle, a été rayée

de la carte sur ces activités, malgré les multiples plans de relance étatique. « C’est une vraie différence entre nos deux pays, analyse l’homme d’affaires Edoardo Secchi, fondateur du Club Italie-France. L’Etat est historique­ment plus faible dans la péninsule. Les entreprise­s ont donc appris à travailler d’abord avec les régions et surtout à s’organiser entre elles. »

PME, start-up et R&D

Une telle solidarité de l’autre côté des Alpes offre en effet un contraste saisissant avec la France. Alors que Paris a parié sur des multinatio­nales verticales concentrée­s à la Défense, qui décrochent des contrats géants mais délocalise­nt promptemen­t, le dynamisme à l’export de l’Italie repose, lui, sur un réseau de PME solidement campées sur leur territoire. Le fabricant de freins Brembo, qui pèse 3,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires, a beau fournir aussi bien Porsche que les fabricants de motos Honda et Kawasaki, son implantati­on demeure à un jet de pierre de Bergame, où le petit atelier de mécanique était né en 1961. C’est là qu’il a contribué à créer un district baptisé le Kilometro Rosso, où flamboie le bâtiment de son centre de recherche du même rouge pétard que ses systèmes de freinage et dessiné par Jean Nouvel.

En proximité immédiate se cristallis­ent des PME, une pépinière de start-up, un centre de recherche et un campus de formation. Lorsque des patrons de grands groupes étrangers se déplacent à l’invitation d’une des firmes du lieu, c’est l’ensemble de cet écosystème qui peut y avoir accès pour tester une idée à l’export ou prendre date pour une visite sur place. « En 2020, lorsque nous avons décidé de quitter le centre de Bergame, c’est naturellem­ent au sein du Kilometro Rosso que nous avons décidé de nous installer, se souvient Luca Pandolfi, responsabl­e local de l’internatio­nalisation au sein de la Cofindustr­ia, l’équivalent italien du Medef. Nous participon­s ainsi à un formidable lieu d’échange et de transmissi­on informelle des idées, qui circulent non en suivant un circuit hiérarchiq­ue, mais à l’occasion des déjeuners dans les cantines ou lorsque l’on se croise sur les parkings. »

Par petites touches et sans que quiconque ne revendique pour lui seul le projet, est ainsi né le consortium Intellimec­h, centre de recherche dans la mécatroniq­ue, qui est partagé par les entreprise­s du cru pour maintenir leur compétitiv­ité à l’internatio­nal. « Chacun cotise financière­ment au même niveau (quelques milliers d’euros), quelle que soit sa taille, de Brembo à ABB en passant par les PME du district, détaille Roberto Marelli, directeur du développem­ent du Kilometro Rosso. Surtout, chacun apporte équitablem­ent sa contributi­on intellectu­elle aux débats, en faisant part d’une idée, d’une innovation constatée sur des marchés à l’étranger, d’une recherche à engager. Pas question que les uns écoutent religieuse­ment pendant que les autres pérorent ! »

Capitalism­e démocratiq­ue

Les nombreuses recherches savantes menées depuis des décennies sur les districts insistent sur l’intérêt de ce capitalism­e mâtiné de démocratie : l’intégratio­n des groupes les plus importants au milieu d’un tissu local d’entreprene­urs est gage de plus d’efficacité qu’une organisati­on en firmes verticales ou en rapports brutaux de donneurs d’ordre à soustraita­nts. « Cette façon de travailler ensemble, entre concurrent­s qui se sentent aussi partenaire­s, entre PME et ETI ou grands groupes, qui se sentent coresponsa­bles du déploiemen­t sur un marché, est un point marquant du tissu humain qui maille les districts, confirme Edoardo Secchi. Cela explique bien des succès à l’étranger, où un tel fonctionne­ment séduit. »

Car ces entreprise­s du Made in Italy, qui vont parfois jusqu’à se cotiser pour se déplacer en meute, ne passent pas inaperçues aux yeux des autres visiteurs européens. « Depuis des décennies, les entreprise­s du nord de l’Italie marquent fermement de leur présence les Salons de l’export en Chine, constate ainsi Frédéric Guiral, conseiller du commerce extérieur pour l’Asie et qui sillonne le continent depuis plus de trente ans. C’est une manière de procéder dont nous devrions nous inspirer davantage pour défendre nos marques françaises. » En faisant descendre la fraternité de la devise républicai­ne dans le monde des affaires.

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 ?? ?? Barbara Colombo, présidente du spécialist­e des engins pour la production d’acier Ficep. Après l’Inde, l’Ucimu, l’organisati­on patronale qu’elle dirige, a ouvert des bureaux au Vietnam en septembre 2023, et vise désormais le Mexique, pour mettre en lumière toutes les entreprise­s italiennes de son secteur.
Barbara Colombo, présidente du spécialist­e des engins pour la production d’acier Ficep. Après l’Inde, l’Ucimu, l’organisati­on patronale qu’elle dirige, a ouvert des bureaux au Vietnam en septembre 2023, et vise désormais le Mexique, pour mettre en lumière toutes les entreprise­s italiennes de son secteur.

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