Pour vivre longtemps, sachez pivoter
Les Français ont toujours du mal avec le changement. Rien de bien neuf de ce côté. Quand il s’agit de pivoter, la résistance est tout aussi grande. Quand on est entrepreneur, mettre de côté une idée, un modèle économique auquel on a cru, pour lequel on s’est battu, c’est très compliqué. Une question d’ego, sûrement. La peur de faire pire que mal, aussi. L’incapacité à accepter l’échec, souvent. Anh-Tho Chuong n’a pas trop de problèmes avec le pivot. Vietnamienne de père et de mère, née en France, elle pensait prendre la décision de sa vie, en septembre 2019, quand elle décide de quitter les rangs de la fintech Qonto, dont elle avait été la première employée, après trois années de bons et loyaux services. Destination : le Vietnam et ses origines. Elle sent l’énergie et les opportunités dans un pays en pleine mutation technologique et sociologique. Rattrapée par la crise mondiale sanitaire quelques mois plus tard, la jeune femme effectue son deuxième pivot : difficile de faire du business dans les conditions de confinement très strictes imposées par les autorités locales. Retour en France. La première règle d’or du pivot consiste à prendre sa décision rapidement. Avec Raffi Sarkissian, ancien collègue de Qonto, elle décide de lancer sa propre boîte, à Paris, mais en suivant à distance le programme d’incubation de Y Combinator, le célèbre incubateur de San Francisco qui a vu naître Airbnb, entre autres. Dans ce temple de l’entrepreneuriat et de l’innovation, le pivot est une règle sacrosainte. On y cite l’exemple de Hugging Face, le spécialiste de l’apprentissage automatique, qui a commencé avec des Tamagotchis pour ados. Ou la fintech Brex, qui avait d’abord oeuvré dans la réalité virtuelle. La première idée d’Anh-Tho Chuong et Raffi Sarkissian était un outil no code d’analyse de données pour les professionnels du marketing. Deuxième règle d’or du pivot : identifier un problème réel qui n’a pas encore été résolu. Au bout de sept mois, il était clair que Lago, leur start-up, ne deviendrait jamais une grande entreprise mondiale de logiciel. Ils exécutent alors un hard pivot : ils jettent le produit à la poubelle, ne gardent que le nom, et se lancent sur une nouvelle piste. Troisième règle d’or : prendre la bonne vague, au bon moment. Un soir, Raffi Sarkissian publie un post sur Hacker News, la plateforme de référence des développeurs. Sujet : le cauchemar de la facturation pour les ingénieurs qui conçoivent du logiciel. L’article fait un carton. Un énorme marché s’ouvre à Lago qui est parvenu à lever 22 millions d’euros en quelques mois, sans aucune mention de l’intelligence artificielle dans leur présentation PowerPoint. Un exploit. Il rivalise aujourd’hui avec Stripe, le géant californien du paiement en ligne et compte des clients comme Mistral AI, Together AI ou Swan, des start-up qui montent. Et la coquette levée de fonds va enfin leur permettre de construire leur équipe commerciale. Depuis sa création, Lago tourne avec une dizaine de développeurs. Pour réussir son pivot, mieux vaut être mince et agile. C’est la dernière règle d’or.•