Challenges

Les nouveaux «barons voleurs»

Musk, Zuckerberg ou Bezos : le pouvoir des patrons des plus grandes entreprise­s du monde semble sans limite. Et leurs exactions font froid dans le dos. Extraits (p. 142 à 144).

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Le cas Toys « R » Us est sans doute le plus édifiant. En 1999, Amazon n’est encore qu’un libraire en ligne qui cherche à élargir son offre. Le jouet lui semble un bon créneau. Il commence à référencer plusieurs fabricants, mais très vite, manque de stocks. Jeff Bezos va alors acheter ses cartes Pokémon et ses chiens Mattel chez Toys « R » Us, fort de ses 1600 magasins dans le monde. Ce faisant, il perd évidemment de l’argent, car il est obligé de vendre les jouets au prix où il les a achetés et de les transporte­r en plus, mais il engrange 3 millions de nouveaux clients : c’est ce qui l’intéresse à moyen terme. Toys « R » Us, lui, se réjouit de ce nouveau débouché, car son propre site Internet est indigent, et son patron, John Eyler, ne croit pas que le web puisse constituer un jour un canal de distributi­on de premier plan. Le jouet, pense-t-il, le client ne l’achètera jamais sans le toucher ! Première grosse erreur.

La seconde est une faute stratégiqu­e : Eyler signe un contrat de dix ans avec Amazon afin de devenir son fournisseu­r officiel de jouets. Jeff Bezos et John Eyler font leur annonce commune le 10 août 2000 : ensemble, ils seront respective­ment le « premier site de jouets au monde » et « le plus gros vendeur de jouets du monde ». L’accord stipule que l’enseigne de jouets abandonner­a son propre site Internet et versera à Amazon 50 millions de dollars par an, en plus de la commission que le distribute­ur lui prélève sur chaque vente. Tout cela lui paraît raisonnabl­e.

En réalité, John Eyler est tombé dans un piège. Car Amazon, en vendant de plus en plus de jouets en ligne, va collecter peu à peu toutes les données dont il a besoin pour dominer ce secteur : les contacts des clients, bien sûr, mais aussi des indication­s sur les produits qui se vendent le mieux, la saisonnali­té, les occasions d’achat, les arguments de vente, l’efficacité de telle ou telle promotion… En un mot, il fourbit les armes qui lui permettron­t un jour de se passer de son partenaire.

En 2004, Toys « R » Us comprend qu’il a signé un marché de dupes et perdu sur tous les tableaux. Il dénonce l’accord, attaque Amazon en justice, et obtient… 51 millions de dollars de réparation. Des cacahuètes. Il reprend son indépendan­ce et tente de développer son site Internet, mais il est trop tard : en 2009, Amazon vend deux fois plus de jouets que lui ! Toys « R » Us a déposé le bilan en 2018. Quel est le biais de constructi­on, l’anomalie concurrent­ielle qui rend la firme de Jeff Bezos si irrésistib­le ? Facile : Amazon est juge et partie ! Il est à la fois market place, c’est-à-dire plateforme de marché pour les revendeurs extérieurs, et vendeur luimême, en direct. Et ça dure depuis plus de deux décennies. Des centaines de revendeurs qui ont fait confiance à Amazon se sont ainsi fait court-circuiter lorsqu’un de leurs produits se vendait particuliè­rement bien : le site géant contactait leur fournisseu­r et les vendait en direct, à leur place. Bien sûr, l’Europe lui a infligé des amendes pour ces activités qui faussent le jeu de la concurrenc­e. Le groupe a fait l’objet de trois enquêtes antitrust, et Amazon a préféré conclure un accord avec l’Union européenne en décembre 2022 pour éviter une amende qui aurait pu atteindre 10% de son chiffre d’affaires mondial (plus de

500 milliards de dollars en 2022) !

«Toys “R” Us comprend qu’il a signé un marché de dupes et perdu sur tous les tableaux. Il attaque Amazon en justice, et obtient… 51 millions de dollars de réparation. Des cacahuètes.»

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