Désinvolture
« PERVERS, NARCISSIQUE, CYNIQUE. » Ces trois qualificatifs peu aimables réservés au président de la République viennent, certes, d’un adversaire politique : Henri de Castries, qui avait conseillé François Fillon en 2017, et qui préside l’Institut Montaigne. Mais ce jugement, pas vraiment rassurant, vient aussi d’un homme d’entreprise, ex-PDG d’Axa, rompu à la conduite des grandes organisations comme administrateur de Nestlé ou de Stellantis. Et sonne comme un avertissement au moment où Emmanuel Macron veut imposer sa marque dans le choix des patrons d’un certain nombre de groupes publics :
« Il est le maître des horloges en retard », résume, moqueur, un des informateurs de notre enquête sur ce grand jeu de chaises musicales en gestation (p. 52). C’est Augustin de Romanet, le PDG d’ADP, qui apprend le 20 mars, jour du conseil qui doit statuer sur son mandat, que celui-ci ne sera pas renouvelé : il sera juste prolongé de quelques mois pour éviter que la période sous tension des jeux Olympiques de Paris soit confiée à une nouvelle tête. Mais le jour d’après, adieu Augustin. Inélégance… C’est Jean-Pierre Farandou, qui ne sait toujours pas s’il dirigera encore la SNCF dans quelques semaines, après l’assemblée générale de mai. Inconséquence… Certes, les deux patrons ne peuvent théoriquement pas effectuer un nouveau mandat complet pour des questions d’âge, mais ils tiennent bien leur entreprise. Et depuis quand Emmanuel Macron ne trouve-t-il pas d’arrangements avec le temps, lui qui a maintenu Catherine Pégard au Domaine de Versailles bien au-delà de l’échéance prévue ? Soi-disant pour passer là encore la période des JO. Avant de brusquement la remplacer, à trois mois de la cérémonie d’ouverture. Inconvenance… Tout comme Laurence Engel, présidente de la Bibliothèque nationale de France, priée de faire ses bagages le 6 avril après deux mandats réussis, sans la moindre explication. Négligence…
« Tout cela est obscène et indécent, commente l’ancien président d’un grand groupe public. Cela montre bien que Macron n’a aucune idée du fonctionnement d’une entreprise. » Le président adore pourtant ce jeu des nominations, et pas seulement des patrons, mais aussi des ministres ou des directeurs d’administration. Il l’exerce comme un chasseur de têtes, faisant d’ailleurs de bonnes pioches – comme Luca de Meo à la tête de Renault. Mais avec le tempo qui est le sien, souci régalien de garder sa liberté. Et qui est ressenti comme un manque de respect par les organisations en place. Pense-t-il, comme un certain Vincent Bolloré, que « les grands groupes ont besoin d’être secoués » ? En tout cas, il doit partager avec le tycoon cette phrase d’une fable de Phèdre, en forme d’autojustification : « Quia nominor leo », parce que je me nomme le lion…•