Challenges

Une « ministre de l’Agricultur­e bis » très politique

Agnès Pannier-Runacher était pressentie à la Santé mais s’est retrouvée au côté de Marc Fesneau au beau milieu de la colère agricole. Cette macroniste passée par le privé et abonnée aux seconds rôles creuse son sillon.

- Jean-François Arnaud

Il n’y a pas de petite cause, ni de petit ministre. Agnès PannierRun­acher, « APR » pour les initiés, ministre déléguée auprès du ministre de l’Agricultur­e, s’est efforcée d’en apporter la preuve ce samedi 23 mars en arpentant les allées du Salon du barbecue, au Parc floral de Paris. Armée de son tablier et d’une pince à viande, elle a participé à la master class de grillades : « Dans le Pas-de-Calais où je vis, le barbecue c’est souvent le loisir de ceux qui ne peuvent pas partir en vacances. Les gens ont très mal vécu d’être stigmatisé­s par les écolos sur ce sujet, comme sur les piscines hors-sol qui se multiplien­t. » Bien sûr, on est en droit de soupçonner cette Parisienne de naissance, énarque et HEC, de légèrement surjouer son ancrage ch’ti et populaire. Mais son affirmatio­n trahit surtout qu’elle fait de la politique, s’affichant sur le terrain, humble, bosseuse et proche des gens.

Nommée au plus fort de la révolte des agriculteu­rs le 8 février, dans le contingent des « sous-ministres » et secrétaire­s d’Etat qui attendaien­t leur maroquin depuis quatre semaines, elle s’est retrouvée d’emblée dans la lessiveuse, jouant les doublures de Marc Fesneau, luimême ministre de l’Agricultur­e depuis mai 2022 et confirmé en janvier dernier, mais qui ne semble toujours pas avoir réussi à séduire ses interlocut­eurs paysans. Alors que les campagnes s’embrasaien­t, le duo a enchaîné les réunions avec les syndicats et organisati­ons profession­nelles. « C’était une course contre la montre, raconte un syndicalis­te. Il fallait trouver des mesures rapides, capables de calmer les tensions avant le Salon de l’agricultur­e. » Ils ont en partie réussi. Gabriel Attal a annoncé lui-même, le 21 février, les quelque 62 promesses hétéroclit­es qui ont apaisé une grande partie de la grogne. Parmi celles-ci, l’accélérati­on des paiements des subvention­s de la Politique agricole commune, une pause dans les interdicti­ons de pesticides, le refus de nouveaux accords de libre-échange, la promesse de simplifier les normes, la renégociat­ion des seuils des jachères avec Bruxelles.

A elle, les prix planchers

Son agenda a été tellement accaparé par la crise que le décret d’attributio­n précisant ses domaines de compétence est longtemps resté sans la signature du président de la République. Oubli réparé dans le Journal officiel du 21 mars. Elle est chargée des industries agroalimen­taires, de la restaurati­on collective privée, des relations commercial­es entre les secteurs agricoles et alimentair­es, de la transition écologique, du suivi éco-phytosanit­aire, de la préservati­on de l’eau, de l’agrivoltaï­sme… Elle hérite aussi de la promesse d’Emmanuel Macron face aux pay

sans en colère, porte de Versailles le 24 février : l’instaurati­on de prix planchers pour les produits agricoles. Une mesure à peu près inapplicab­le et jusque-là voulue seulement par la Confédérat­ion paysanne et La France insoumise. « J’attends d’ici à juin les conclusion­s des deux parlementa­ires chargés d’une mission sur le sujet. Mais la première chose à faire c’est d’appliquer l’intégralit­é de la loi EGalim actuelle », dit-elle prudente.

L’aile Sully du ministère de l’Agricultur­e n’est pas forcément une promotion pour l’inspectric­e des finances, passée par le public et le privé (Hôpitaux de Paris, Caisse des Dépôts, Faurecia et Compagnie des Alpes), puis ministre sans discontinu­er depuis cinq ans et demi (secrétaire d’Etat, ministre déléguée à l’Industrie, ministre de la Transition énergétiqu­e), qui va fêter ses 50 ans en juin. Partout où elle passe, elle est numéro deux. Si elle a pu arpenter le Salon du barbecue à sa guise, son passage rapide au Congrès de la FNSEA du 26 au 28 mars à Dunkerque n’a été confirmé qu’au dernier moment. « Cela a été une bonne surprise de la voir arriver à l’agricultur­e, je l’avais côtoyée lorsqu’elle était à Bercy et j’avais apprécié sa manière d’entrer à fond dans ses dossiers », confie Dominique Chargé, le très influent président de la Coopératio­n agricole, qui regroupe toutes les grosses coopérativ­es françaises, soit plus de 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires cumulé.

Nomination surprise

L’agricultur­e a aussi constitué une surprise pour Agnès Pannier-Runacher elle-même. Lors de la démission du gouverneme­nt Borne le 9 janvier, on lui avait promis qu’elle reviendrai­t dans le gouverneme­nt Attal. On l’imaginait alors ministre déléguée à la Santé, elle s’y préparait. Peine perdue. Peut-être que Catherine Vautrin, nommée au grand ministère du Travail, de la Santé et des Solidarité­s, n’a pas voulu d’elle comme ministre déléguée. Peut-être aussi que la révélation de l’affaire Nestlé Waters lui a barré la route. Selon une enquête publiée le 30 janvier par Le Monde et Radio France, APR aurait été informée depuis l’été 2021 que Nestlé s’était discrèteme­nt exonéré de la réglementa­tion sur les eaux minérales en commercial­isant pendant plusieurs mois de l’eau filtrée, ce qui est rigoureuse­ment interdit, bien que sans danger pour la santé. Qu’importe! En bon petit soldat, APR s’est plongée dans les dossiers agricoles, récupérant l’X, ingénieur des ponts, des eaux et des forêts Quentin Guérineau, son chef de cabinet adjoint à Bercy, pour diriger son nouveau cabinet, ainsi que l’expert de l’opinion publique YvesMarie Cann, passé par Ifop, CSA et Elabe, pour gérer sa communicat­ion. « C’est une politique très impliquée, qui ne se contente pas d’une vision superficie­lle », apprécie François Patriat, sénateur de la Côte-d’Or et proche de Macron, venu la saluer lors d’une visite dijonnaise le 21 mars. Sur les sujets ultrasensi­bles des phytosanit­aires et des accords de libre-échange, elle épluche les textes qui posent problème et ne se contente pas des synthèses toutes prêtes.

Travail de militante

A peine sortie d’une table ronde sur les énergies renouvelab­les avec des agriculteu­rs bourguigno­ns, elle s’extrait de son agenda de ministre pour accomplir son travail de militante macroniste : « Je m’échappe régulièrem­ent une petite heure sur le temps du déjeuner dans mes déplacemen­ts ou à Paris pour distribuer des tracts avec les militants de la campagne européenne », explique-telle, rappelant qu’elle préside le conseil national de Territoire­s de Progrès, l’aile gauche du parti présidenti­el qui compte 30 députés et 400 élus locaux. Ce groupe en mal de tête d’affiche est dirigé par l’ancien ministre du Travail Olivier Dussopt. « Nous, c’est la social-démocratie, l’héritage de Michel Rocard », explique Guillaume Poitoux, son chef de cabinet au ministère, élu à Paris et également secrétaire général de ce courant. C’est bien à ce titre qu’il a accompagné sa ministre à un déjeuner très politique lors de leur passage à Dijon. François Rebsamen, le maire PS de la ville, 73 ans en juin, voulait leur parler de sa succession.

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« Je m’échappe régulièrem­ent une petite heure sur le temps du déjeuner dans mes déplacemen­ts ou à Paris pour distribuer des tracts avec les militants de la campagne européenne », explique-t-elle.
Agnès PannierRun­acher, en visite dans une exploitati­on viticole sur la commune de Terrats (PyrénéesOr­ientales), le 15 février. « Je m’échappe régulièrem­ent une petite heure sur le temps du déjeuner dans mes déplacemen­ts ou à Paris pour distribuer des tracts avec les militants de la campagne européenne », explique-t-elle.

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