Challenges

Dans le marigot des oligarques ukrainiens

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Sébastien Gobert

L’ancien journalist­e, basé en Ukraine, revisite l’histoire du pays en racontant l’ascension et la perte d’influence relative de ses milliardai­res. Extraits (p. 267 à 269).

Cette montée en puissance de l’Etat définit aussi l’attitude des principaux groupes oligarchiq­ues du pays. Contrairem­ent à 2014, ceux-ci forment un front bien plus uni contre l’agression russe, à l’exception du fugitif Viktor Medvedtcho­uk et de quelques figures proKremlin de son parti Plateforme d’opposition-Pour la vie, interdit dès la fin mars. Le koum [parrain] de Vladimir Poutine est capturé mi-avril, traîné en ridicule sur les réseaux sociaux et discrédité auprès de son ancienne base électorale. Journalist­es et enquêteurs pénètrent ses propriétés, notamment une villa en constructi­on à l’est de Kyiv abritant un « train en or » inspiré de l’époque tsariste. Son empire, enregistré pour la plupart au nom de sa femme et de ses proches, est démantelé, ses actifs gelés et confisqués avec méthode. En septembre, Viktor Medvedtcho­uk est échangé contre 215 anciens défenseurs d’Azovstal. Ce transfert à « un pour 215 » trahit l’importance du koum pour le Kremlin. Il signe sans aucun doute la fin définitive de la carrière ukrainienn­e de l’oligarque.

Hormis ce cas particulie­r, les magnats ukrainiens contribuen­t activement à la résistance nationale. La survie du pays dépend de la perpétuati­on de leurs activités économique­s. Rinat Akhmetov a notamment offert une avance sur l’impôt de SCM. Interpipe de Viktor Pintchouk fournit du matériel nécessaire à la constructi­on de défenses antichars. Iouriy Kossiouk délivre gratuiteme­nt une grande partie de la production agroalimen­taire de son groupe MHP. Petro Porochenko met en place ses propres initiative­s de ravitaille­ment des forces armées. Ihor Kolomoïsky,

échaudé par la détériorat­ion de ses relations avec Volodymyr Zelensky, « boude dans son coin », m’indique le maire de Dnipro, Boris Filatov, en juin 2022. S’il ne soutient pas directemen­t l’effort de guerre, il ne fait rien pour y contreveni­r.

En 2014, les oligarques s’étaient imposés en remplaceme­nt de l’action de l’Etat. Ils s’inscrivent désormais en complément d’une action publique plus structurée, comme le souligne la chercheuse Anastasia Fomitchova. A partir de 2022, ils ne sont plus que des donateurs, certes importants. Cette perte d’influence relative reflète un déclin en termes absolus des oligarques ukrainiens. Selon la version ukrainienn­e de Forbes, Rinat Akhmetov aurait perdu plus de 9 milliards de dollars entre fin février et fin décembre. Une telle chute a déjà été observée par le passé, dans les évaluation­s de sa fortune. Mais elle prend cette fois une tournure plus irrémédiab­le en raison des destructio­ns d’Azovstal et d’Ilitch à Marioupol, d’une cokerie géante à Avdiivka ou encore des attaques aériennes contre les centrales énergétiqu­es de DTEK. En juillet 2023, un tribunal de Moscou saisira la succursale russe de Metinvest. L’ex-« parrain » de Donetsk, cette fois définitive­ment chassé de sa région natale annexée par la Russie, accuse le coup et poursuit la Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme pour des dommages cumulés d’environ 20 milliards de dollars. Dans l’immédiat, avec une fortune de 4,4 milliards de dollars selon Forbes, Rinat Akhmetov reste pourtant le premier des oligarques ukrainiens, ayant pris soin de diversifie­r ses actifs.

«En 2014, les magnats ukrainiens s’étaient imposés en remplaceme­nt de l’action de l’Etat. Ils s’inscrivent désormais en complément d’une action publique plus structurée.»

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