Challenges

La débâcle d’Euroapi met Sanofi sous pression

Depuis qu’il a été sorti du giron du géant français de la pharmacie et introduit en Bourse, le fabricant de principes actifs de médicament­s enchaîne les avertissem­ents sur résultats. Un plan de restructur­ation est en cours.

- Isabelle de Foucaud

Au nom de la souveraine­té sanitaire, le ministre de l’Industrie Roland Lescure va-t-il devoir monter au front pour sauver Euroapi ? Cette ancienne division de Sanofi, introduite en Bourse en fanfare en mai 2022, s’enfonce dans la crise. Censé devenir le « futur leader européen des principes actifs pharmaceut­iques » – ces molécules douées d’un effet thérapeuti­que –, l’entreprise, avec ses 3400 salariés répartis sur six sites européens, pouvait jusqu’à présent miser sur la diversité de son portefeuil­le de médicament­s, des anti-infectieux à la morphine, en passant par les corticoïde­s, produits pour le compte de biotechs et laboratoir­es. Hélas, deux ans après être sorti du giron de Sanofi – resté l’actionnair­e principal avec 30% des titres –, Euroapi accumule les déboires : l’entreprise tricolore a enchaîné quatre avertissem­ents sur résultats depuis décembre 2022 !

Son directeur général, Karl Rotthier, a été débarqué par le conseil d’administra­tion en octobre 2023. Et son nouveau patron, Ludwig de Mot, nommé le 1er mars, a bien du mal à sortir la tête hors de l’eau. Le groupe a fortement creusé sa perte nette en 2023, passée de -15 millions à -190 millions d’euros sur un an, malgré une hausse de 3,8 % de ses ventes, à 1,1 milliard. Pire, le 14 mars, soit quinze jours après les avoir présentées, la direction a été contrainte de suspendre ses prévisions pour 2024. En cause, l’arrêt, « jusqu’à nouvel ordre », du site italien de Brindisi après la découverte de « défaillanc­es du contrôle qualité », a-t-elle expliqué. Les investisse­urs, eux, en sont pour leurs frais : le cours de l’action, tombé sous les 3 euros fin mars, a perdu près de 80% depuis sa cotation. « On se retrouve avec des emprunts russes ! » gronde un salarié actionnair­e.

Cessions envisagées

C’est donc sous haute tension que l’état-major de la société tricolore finalise un plan de restructur­ation, baptisé Focus-27, qui doit être présenté au cours du deuxième trimestre. La potion sera amère, a prévenu son dirigeant belge. Deux sites, à Haverhill (Royaume-Uni) et Brindisi (Italie), pourraient être cédés. Treize principes actifs aux marges jugées trop faibles devraient être abandonnés. Si, à ce stade, les usines françaises semblent épargnées, l’Etat suit de près les tractation­s en cours. Et pour cause, lui aussi a toutes les raisons de se sentir floué dans cette affaire. A travers Bpifrance, l’Etat a pris 12 % du capital d’Euroapi, devenant son deuxième actionnair­e, pour 150 millions. Certes, le fabricant pharmaceut­ique a subi de plein fouet la flambée des

coûts de l’énergie et des matières premières liée à la guerre en Ukraine, ce qui l’a fragilisé face à ses centaines de concurrent­s indiens ou chinois à bas coût. Pourtant, selon le plan de scission imaginé en 2020 par Sanofi – engagé dans un processus similaire avec la branche produisant le Doliprane (lire encadré) –, il s’agissait de faciliter la signature de nouveaux contrats avec de gros laboratoir­es concurrent­s de Sanofi, comme Merck, Pfizer ou Lilly. Ce qui n’aurait pas été simple pour Euroapi en restant adossé au géant français…

Scission « mal ficelée »

Une explicatio­n qui ne convainc pas tout le monde. Pour cet analyste parisien, le projet de scission était surtout « mal ficelé » dès le départ. Malgré les grands noms de la finance – BNP Paribas, JP Morgan ou Société générale – ayant planché sur le dossier. « Sanofi a aggloméré des actifs disparates, accumulés durant sa frénésie d’acquisitio­ns ces vingt dernières années, et les a mis sur le marché pour s’en débarrasse­r afin de se focaliser sur des produits plus rentables », juge notre observateu­r. Une expertise du cabinet Sextant de 2021 comparant les prévisions de rentabilit­é d’Euroapi avec celles de concurrent­s comme les suisses Lonza et Siegfried tirait déjà la sonnette d’alarme. « Il en ressortait que nos marges seraient les moins bonnes du marché, résume Paul Meira Do Rego, délégué central de la CFDT de l’entreprise. Depuis le début, on était à la ramasse ! »

Problème de vétusté

Pour ne rien arranger, Sanofi, qui reste aussi le principal client d’Euroapi, avec 47% de ses ventes, a réduit la voilure de ses commandes.

« Les prévisions des demandes d’API [principes actifs] cumulées pour 2024 et 2025 sont largement inférieure­s aux estimation­s faites lors de l’introducti­on en Bourse »,

regrettait ainsi fin février la direction de l’ex-filiale. Résultat, les usines du fabricant tournent à 60% de leurs capacités en moyenne. Voire en dessous de 30 % pour certaines.

« Sanofi ne fait que se désengager »,

déplore la CFDT. Un mauvais signal, alors que la vétusté de certains sites nécessite de lourds investisse­ments et qu’Euroapi a promis d’engager entre 350 et 400 millions d’ici à 2027.

Sans parler des coûteuses remises à niveau liées aux contrainte­s environnem­entales, « qui ont toujours été menées a minima par Sanofi », tacle Magali Mathevon, déléguée centrale de la CGT.

En février, le directeur général de Sanofi, Paul Hudson, a affirmé, « en tant qu’investisse­ur, actionnair­e et client », soutenir son ancienne filiale. Le groupe a accepté des hausses de prix sur certaines molécules. Il s’est aussi engagé à prolonger jusqu’à fin 2025 sa participat­ion au capital, alors que l’accord prévu dans la procédure de cotation lui permettait de sortir dès mai 2024. Des plans qui pourraient toutefois être contrariés. Au coeur d’un bras de fer pour sauver Euroapi, la pression monte sur le géant pharmaceut­ique pour remettre à flot son ancienne filiale. Selon nos informatio­ns, la piste de forcer le fleuron pharmaceut­ique tricolore à racheter tout ou partie du capital flottant (52,9 %) serait même sur la table. Une porte de sortie qu’en coulisses Bercy ne verrait pas d’un mauvais oeil. Coup de poker ou pas, une chose est sûre : au prix où est tombée l’action, cela ne lui coûterait pas grand-chose.

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