La débâcle d’Euroapi met Sanofi sous pression
Depuis qu’il a été sorti du giron du géant français de la pharmacie et introduit en Bourse, le fabricant de principes actifs de médicaments enchaîne les avertissements sur résultats. Un plan de restructuration est en cours.
Au nom de la souveraineté sanitaire, le ministre de l’Industrie Roland Lescure va-t-il devoir monter au front pour sauver Euroapi ? Cette ancienne division de Sanofi, introduite en Bourse en fanfare en mai 2022, s’enfonce dans la crise. Censé devenir le « futur leader européen des principes actifs pharmaceutiques » – ces molécules douées d’un effet thérapeutique –, l’entreprise, avec ses 3400 salariés répartis sur six sites européens, pouvait jusqu’à présent miser sur la diversité de son portefeuille de médicaments, des anti-infectieux à la morphine, en passant par les corticoïdes, produits pour le compte de biotechs et laboratoires. Hélas, deux ans après être sorti du giron de Sanofi – resté l’actionnaire principal avec 30% des titres –, Euroapi accumule les déboires : l’entreprise tricolore a enchaîné quatre avertissements sur résultats depuis décembre 2022 !
Son directeur général, Karl Rotthier, a été débarqué par le conseil d’administration en octobre 2023. Et son nouveau patron, Ludwig de Mot, nommé le 1er mars, a bien du mal à sortir la tête hors de l’eau. Le groupe a fortement creusé sa perte nette en 2023, passée de -15 millions à -190 millions d’euros sur un an, malgré une hausse de 3,8 % de ses ventes, à 1,1 milliard. Pire, le 14 mars, soit quinze jours après les avoir présentées, la direction a été contrainte de suspendre ses prévisions pour 2024. En cause, l’arrêt, « jusqu’à nouvel ordre », du site italien de Brindisi après la découverte de « défaillances du contrôle qualité », a-t-elle expliqué. Les investisseurs, eux, en sont pour leurs frais : le cours de l’action, tombé sous les 3 euros fin mars, a perdu près de 80% depuis sa cotation. « On se retrouve avec des emprunts russes ! » gronde un salarié actionnaire.
Cessions envisagées
C’est donc sous haute tension que l’état-major de la société tricolore finalise un plan de restructuration, baptisé Focus-27, qui doit être présenté au cours du deuxième trimestre. La potion sera amère, a prévenu son dirigeant belge. Deux sites, à Haverhill (Royaume-Uni) et Brindisi (Italie), pourraient être cédés. Treize principes actifs aux marges jugées trop faibles devraient être abandonnés. Si, à ce stade, les usines françaises semblent épargnées, l’Etat suit de près les tractations en cours. Et pour cause, lui aussi a toutes les raisons de se sentir floué dans cette affaire. A travers Bpifrance, l’Etat a pris 12 % du capital d’Euroapi, devenant son deuxième actionnaire, pour 150 millions. Certes, le fabricant pharmaceutique a subi de plein fouet la flambée des
coûts de l’énergie et des matières premières liée à la guerre en Ukraine, ce qui l’a fragilisé face à ses centaines de concurrents indiens ou chinois à bas coût. Pourtant, selon le plan de scission imaginé en 2020 par Sanofi – engagé dans un processus similaire avec la branche produisant le Doliprane (lire encadré) –, il s’agissait de faciliter la signature de nouveaux contrats avec de gros laboratoires concurrents de Sanofi, comme Merck, Pfizer ou Lilly. Ce qui n’aurait pas été simple pour Euroapi en restant adossé au géant français…
Scission « mal ficelée »
Une explication qui ne convainc pas tout le monde. Pour cet analyste parisien, le projet de scission était surtout « mal ficelé » dès le départ. Malgré les grands noms de la finance – BNP Paribas, JP Morgan ou Société générale – ayant planché sur le dossier. « Sanofi a aggloméré des actifs disparates, accumulés durant sa frénésie d’acquisitions ces vingt dernières années, et les a mis sur le marché pour s’en débarrasser afin de se focaliser sur des produits plus rentables », juge notre observateur. Une expertise du cabinet Sextant de 2021 comparant les prévisions de rentabilité d’Euroapi avec celles de concurrents comme les suisses Lonza et Siegfried tirait déjà la sonnette d’alarme. « Il en ressortait que nos marges seraient les moins bonnes du marché, résume Paul Meira Do Rego, délégué central de la CFDT de l’entreprise. Depuis le début, on était à la ramasse ! »
Problème de vétusté
Pour ne rien arranger, Sanofi, qui reste aussi le principal client d’Euroapi, avec 47% de ses ventes, a réduit la voilure de ses commandes.
« Les prévisions des demandes d’API [principes actifs] cumulées pour 2024 et 2025 sont largement inférieures aux estimations faites lors de l’introduction en Bourse »,
regrettait ainsi fin février la direction de l’ex-filiale. Résultat, les usines du fabricant tournent à 60% de leurs capacités en moyenne. Voire en dessous de 30 % pour certaines.
« Sanofi ne fait que se désengager »,
déplore la CFDT. Un mauvais signal, alors que la vétusté de certains sites nécessite de lourds investissements et qu’Euroapi a promis d’engager entre 350 et 400 millions d’ici à 2027.
Sans parler des coûteuses remises à niveau liées aux contraintes environnementales, « qui ont toujours été menées a minima par Sanofi », tacle Magali Mathevon, déléguée centrale de la CGT.
En février, le directeur général de Sanofi, Paul Hudson, a affirmé, « en tant qu’investisseur, actionnaire et client », soutenir son ancienne filiale. Le groupe a accepté des hausses de prix sur certaines molécules. Il s’est aussi engagé à prolonger jusqu’à fin 2025 sa participation au capital, alors que l’accord prévu dans la procédure de cotation lui permettait de sortir dès mai 2024. Des plans qui pourraient toutefois être contrariés. Au coeur d’un bras de fer pour sauver Euroapi, la pression monte sur le géant pharmaceutique pour remettre à flot son ancienne filiale. Selon nos informations, la piste de forcer le fleuron pharmaceutique tricolore à racheter tout ou partie du capital flottant (52,9 %) serait même sur la table. Une porte de sortie qu’en coulisses Bercy ne verrait pas d’un mauvais oeil. Coup de poker ou pas, une chose est sûre : au prix où est tombée l’action, cela ne lui coûterait pas grand-chose.