La force des mots
Sur le modèle du poème de Georges Perec, 27 auteurs rassemblent leurs souvenirs du sport. Brillant.
Georges Perec était un passionné de sport. Dans l’un de ses chefs-d’oeuvre, l’inoubliable Je me souviens, il évoquait de nombreux champions dont un sprinter, Claude Piquemal, dont seuls les vieux de notre espèce peuvent encore se rappeler – petit, râblé, une boule de muscles, l’accent chantant. Journaliste au Matin de Paris puis à L’Equipe, écrivain et éditeur, Benoît Heimermann compte parmi les très bons connaisseurs de Perec. A quelques mois des jeux Olympiques de Paris, il a eu l’idée de proposer à des écrivains talentueux – Jean-Paul Dubois, Maylis de Kerangal, François-Henri Désérable, et bien d’autres – de composer leur Je me souviens du sport. Le résultat se révèle brillant.
On pourrait se contenter de quelques citations pour montrer à quel point littérature et sport, audelà des bons mots alcoolisés d’Antoine Blondin que nous rappelle ici Pierre Assouline dans un texte inspiré, ont fréquemment été entremêlés. Non, il faut lire Philippe Claudel « se souvenant » de Nadia Comaneci, cette gymnaste roumaine qui aura illuminé les jeux Olympiques de Montréal en 1976. Il faut lire la romancière Colombe Schneck « se souvenant » de Mark Spitz, le nageur aux sept médailles d’or (Munich 1972) : « Il était donc possible d’être juif et de ne pas être comme mes parents, splendides platoniciens célébrant leur âme et méprisant leur corps. »
Il faut lire Jérôme Garcin, un régal, « se souvenant » de Jappeloup « le petit cheval bai brun aux airs princiers », monté par le Français Pierre Durand et vainqueur aux Jeux de 1988. Et bien d’autres dans ce recueil qui va de Perec (Georges, sans accent) à Pérec (Marie-José, avec accent), la triple médaillée d’or qui s’enfuit des Jeux de Sidney en l’an 2000. Le romancier et journaliste Eric Fottorino s’en souvient : « Disparue. Envolée. Dans la nuit australienne, on aperçut une longue silhouette qui courait. Qui courait vers un avion. A cet instant, il n’y eut plus de gazelle. Il n’y eut plus qu’un grand point d’interrogation planté telle une pointe dans la cendrée de l’absence. » Magnifique. •