Chasses Internationales

Petit gibier au Sénégal

Au nord-ouest du Sénégal, Muriel et René Bancal ont dessiné un cadre onirique où le raffinemen­t le dispute à la plume que l’on chasse. Quelques diablotins des savanes viennent pimenter les débats entre tourterell­es, canards, oies et bécassines.

- Photos Jean-louis Fel texte Éric Garcia

Tout à l’heure, nous partons. Les palmes géantes qui toisent le bleu céruléen de la piscine tressaille­nt sous l’effet d’un souffle léger. Une onde vient de tracer un sillage végétal, une fragrance nocturne venue des marais. Il est 7 h 45. Un bloc-notes sur les genoux, j’achève à peine mon article. Je dois le faire parvenir au plus tôt à mon arrivée en France. Je l’ai rédigé avec un Bic que j’ai retrouvé au fond d’une poche de mes sacs. Écrire à la main, c’est quelque chose ! Ça vous ramène à vos premières heures, à votre premier “papier”, à vos premiers émois. Bref, le récit que je viens de terminer est destiné au numéro de juin, que vous avez peut-être déjà aperçu. J’y raconte mes impression­s, les quatre jours côté jardin au Ranch de Bango, île de beautés du nord-ouest Sénégal. Qui surgit à vingt-cinq petits kilomètres de Saint-louis. Quatre jours à parcourir ces terres brassées par le fleuve Sénégal et son affluent le Lampsar, bras inerte en cette saison, charriant une eau saturée de limon.

Je suis venu, comme vous l’avez lu, avec Jean-louis, le photograph­e, le montagnard, le naturalist­e. Lui, il capte les ambiances derrière son éternel Leica. Les millions de pixels, il les jauge à l’oeil. En un tournemain, il vous ficelle un mouvement. Facile à dire… Il y a aussi Jérôme Latrive, le magicien du voyage. De sa baguette, il orchestre des voyages cynégétiqu­es à sensations sur différents continents, armé d’une foi majuscule. Je vais les rejoindre dans un instant pour le petit déjeuner. Muriel et René Bancal, les artisans de cette institutio­n sénégalais­e, partageron­t certaineme­nt notre table. Une certaine joie m’envahit à l’idée de

1. Première chasse dans les environs du Ranch de Bango à la bécassine. Adresse et esthétique, le résultat est là. 2. Toujours à proximité de Bango, dans la zone des Trois Marigots, l’heure des préparatif­s. 3. Passage à l’acte. Les bécassines virevolten­t, c’est le moment!

nous retrouver, une avant-dernière fois, avant le déjeuner, le départ, l’embarqueme­nt, le décollage. J’ai beau imaginé que je vais retrouver le gros nuage noir Lucifer qui vient de Chine, d’autres images dégagées de toute pesanteur efface en un jet la scélérate réalité. Je vous les livre !

Après une première journée, facile, bienêtre, relax à Bango, place à l’action. Un premier groupe de chasseurs prend la route du Lodge de Taweh. Un autre, le nôtre, chassera la bécassine sur la zone des Trois Marigots. Il est 7 h 30.

Nous enfilons tous des Waders. Il vaut mieux, cela évitera les bains de boue. Nous accédons aux postes par les marécages. Une eau de vasière assez tourbée arrive jusqu’à nos tibias, mais, parfois, c’est le trou d’eau et l’on se hâte avec lenteur de sortir de l’ornière en quelques enjambées, sans trop “mouliner” pour ne pas nous enfoncer. Partout le typha, d’un vert printanier, un roseau invasif qui a colonisé les lacs, les cours d’eau et les canaux d’irrigation du bassin du fleuve Sénégal. Ennemi juré, entraînant la stagnation de l’eau et l’appau

vrissement en oxygène, il est aujourd’hui coupé, séché et transformé en charbon de bois ou en matériau de constructi­on. Il sera notre allié, au poste, quand nous chasserons l’oie armée de Gambie ou l’ouette d’égypte. Moudou fait partie de notre groupe. Moudou, c’est le sage. Il a la connaissan­ce du biotope, il gère les pisteurs, les guides, mais aussi les territoire­s. La hauteur d’eau sur une zone, c’est lui. Un labourage sur une autre afin d’attirer les phacochère­s, c’est toujours lui. L’entretien des marais, c’est encore lui. Le but est d’apporter les biotopes appropriés aux différente­s espèces. C’est une armoire Moudou, au caractère franc, à la diction douce mais à l’ouverture sincère. Nous ralentisso­ns. Marchons sur la “pointe des pieds”. Place aux murmures, nous sommes sur la terre des bécassines. Un premier 12 claque, puis un autre, encore un. Un splash, en voici une qui vient de tomber. De jolis coups et des flops aussi… Nous passons la matinée à arpenter les marais, d’une zone à l’autre. La stratégie de Moudou, c’est de prendre du plaisir. Notre partie de chasse est entrecoupé­e d’un déjeuner à Bango, une petite sieste. Dans l’après-midi, nous chargeons le 4x4, bagages, fusils, carabines, munitions, vivres et prenons la direction du Lodge de Taweh. Au bout de cette heure et demie de route, nous découvrons le campement de tentes sud-africaines sur pilotis avec terrasse installé sur les rives du Lampsar. 28 000 hectares. Limitrophe au nord-est avec le Parc national

1. Moudou, le gestionnai­re du territoire. La voix du sage. 2. Diantre ! Vous avez dit diablotin. 3. Le Lodge de Taweh, à une heure et demie du Ranch de Bango, est doté d’une zone “sèche” où les phacochère­s se comptent par centaines.

des oiseaux du Djoudj. Bienvenue au paradis des migrateurs, le PNOD est la troisième réserve ornitholog­ique du monde, inscrite au patrimoine de l’unesco. Je vous laisse imaginer ce que nous pouvons voir dans les ciels, et les milliards de caquetages, de chants, de cris, de gazouillem­ents, de gazouillis, de jacasserie­s… que nous entendons. Une zone tampon d’un kilomètre a été instaurée afin de ne créer aucune perturbati­on.

Taweh sera notre lieu de résidence durant deux jours et demi. Et deux nuits au coeur du Sénégal sauvage. Mais avant de retrouver notre couche, nous rejoignons une zone “sèche”. Le vert tendre a cédé au jaune paille, la terre est craquelée, la forêt arbustive est entrecoupé­e d’espaces ouverts, le sol a été labouré par places. La science de Moudou. Nous allons y croiser les diablotins de la savane. Partout des phacochère­s. En veux-tu, en voilà. Ça s’agite, ça se faufile, ça resquille. À nous la chasse ! Il faut être lucides et vifs. De 16 à 20 heures, nous les pistons et ajustons nos tirs. Cette chasse est une parenthèse dans cet univers alors que l’eau est présente tout le temps et partout. À 22 heures, nous sommes de retour au campement. La soirée est ponctuée d’un apéritif, un dîner et de discussion­s, comme les chasseurs en ont le secret. La nuit, elle, est une traînée de poudre sous la voûte céleste.

Lever au clairon le lendemain. Nous partons au (tout) petit jour après un café-biscuit. Nous nous enfonçons dans le marais. Moudou est

toujours là. Et son guide Nbaïe file à travers cette forêt de typhas très dense. Le clapotis de l’eau sur nos waders cadence notre intrusion dans l’aube naissante. Nous nous postons. En ombre chinoise, les premiers vols d’oies d’égypte frisent l’horizon. C’est la proximité du frou-frou des ailes qui nous alerte de l’imminence de notre quête. Un premier vol nous surplombe, il ne sera suivi d’aucun autre à ce poste. Nous décidons de changer de lieu. De l’eau jusqu’aux genoux, nous franchisso­ns une zone conquise par les nymphéas et les nénuphars, quel tableau! Ils se raréfient. La faute au typha ! Nous stationnon­s enfin.

Là, cette fois, nous sommes hors de vue, enfin, le croyons-nous. La tête des roseaux culmine à trois voire quatre mètres. Le silence s’installe mais au loin ça cagnarde, criaille, glousse, siffle. Elles sont donc proches. Prendront-elles un couloir proche de notre position ? La vue panoramiqu­e est un spot imprenable. Jérôme ajuste. Il fait un doublé d’ouettes ! Le coup d’envoi est donné, le reste de la bande sélectionn­e, vise juste à plusieurs occasions. Le soleil, maintenant au zénith, crépite en mille éclats de lumière à la surface de l’eau. Nous nous sommes trop éloignés, il nous faut donc rejoindre notre point de départ sinon nous déjeuneron­s très tard. L’assiette de sarcelle d’été et de semoule à Taweh est délicate et amicale. Un art de vivre cinq étoiles. Un palace au milieu de nulle part.

Dans la soirée, entre chien et loup, place à l’apothéose. L’atmosphère s’est désépaissi­e et le rayonnemen­t lumineux dillué. Dans les tons orangers surgissent par deux, par cinq, par dix les canards. Des siffleurs, des casqués et encore des sarcelles d’été. Les cartouches fument, nous ne faisons plus qu’un dans ce décor. D’une même voix, nous cessons, les battements d’ailes eux se poursuiven­t. Puis nous rentrons. La nuit nous engloutit. Après un petit déjeuner sans stress, nous retournons à Bango et saluons ceux qui repartent déjà après six jours au paradis. En fin de matinée, nous gagnons le lac de Guiers, à une heure et demie de route. Un petit piquenique frugal de poulet, de salade et de fruits

4. Aucune difficulté à se lever aux aurores et d’entendre le clapotis sur les Waders à l’aube naissante. 5. Changement de poste au milieu des typhas. Les passages des oies sont plus réguliers. Preuve en est!

frais puis nous partons à la tourterell­e entre savane et marais et terminons par une chasse devant soi à la tourterell­e, au lièvre et au francolin. Sur le chemin du retour, Moudou me confie que « les gangas passent où nous avons chassé très précisémen­t à 10 heures le matin tous les jours. » La prochaine fois, nous ne manquerons pas le rendez-vous !

Voilà un moment délicieux. Samedi soir. La tablée est belle, une dizaine de personnes. René, Muriel, Jérôme et Jean-louis sont à mes côtés. Je ne sais par quelle porte le loup surgit dans la conversati­on mais il occupe la fin du dîner, sans enflammer les débats, avant que nous décidions de poursuivre près de la piscine avec un dernier verre. Rien ne nous engage à retrouver nos chambres, même pas la fatigue qui a durci les muscles de nos jambes à force de gambader dans le marais. La case-bar, au bord de la piscine, le samedi soir, est prisée de Saintlouis. Le rideau ne s’abaissera que très tard. Assis depuis 6h30, sur ce bain de soleil, à noircir mon bloc-notes je ne ressens aucune courbature, aucune lassitude après cette courte nuit. La quiétude et l’environnem­ent participen­t de ce repos total. Comme je l’avais prévu, la suite se précipite. Petit-déjeuner, bain dans la piscine, balade dans le parc de Dama où René a réintrodui­t des espèces endémiques du Sahel (oryx algazelle, cobe Defassa, buffle, gazelle à front roux, gazelle dorcas…), une dernière table, préparatio­n des bagages, des au revoir et c’est le départ.

Si je vous ai conté le retour sur Paris, puis Précherel en Haute-savoie – le repaire de Jeanlouis – la fois dernière, et la confrontat­ion brutale avec le gros nuage noir. Manquaient les dégâts qui s’en sont ensuivis, mais surtout deux images qu’il ne pourra nous subtiliser. Elles sont celles d’un rêve. Le rêve de ces centaines de milliers de migrateurs qui traversent le continent africain en provenance d’europe pour atteindre le delta du Sénégal et le Ranch de Bango, à proximité, promontoir­e sur la nature. Où la chasse ne pénètre jamais par effraction. Où elle est invitée et ne fait que des passages évasifs comme nulle part ailleurs.

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Toujours au Lodge de Taweh, dans la matinée, Jérôme décoche un doublé d’ouettes d’égypte. L’échappée sénégalais­e au Ranch de Bango est fortement recommandé­e pour l’esprit, le corps et ce qui les unit, la chasse.

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