Chasses Internationales

Carnet d’amateur Joseph Palenberg

L’art et la science

- Par Damien Colcombet*

Un kiwi, des éléphants de mer, un babiroussa, un bec-en-sabot, un cabiaï, des dinosaures…, peu de sculpteurs animaliers comptent parmi leurs oeuvres, à côté de sujets plus classiques, ces animaux si peu représenté­s. C’est que Josef Pallenberg, né à Cologne en 1882, n’était pas un artiste comme les autres. Original, taciturne pour ne pas dire presque muet sauf lorsqu’il évoquait ses voyages, il était un artiste extraordin­airement doué et un passionné qui accumula tout ce qui de près ou de loin a trait à la faune. « Vous voyez, certains collection­nent les timbres, d’autres les papillons, moi je collection­ne les animaux et les os. » À la mort de Josef Pallenberg en 1946, l’inventaire de son atelier dénombrera 62 squelettes, 882 crânes dont un du cerf de Schomburgk aujourd’hui disparu, 302 moulages, 57 bocaux contenant des animaux, une impression­nante collection d’oeufs, de coquillage­s et fossiles et même un embryon de baleine bleue !

Dans le sillage des explorateu­rs et naturalist­es allemands von Humboldt puis Brehm qui “amènent le monde à l’europe”, les cabinets de curiosités se répandent à la fin du XIXE siècle, tout comme les sociétés et clubs scientifiq­ues. Or Josef Pallenberg a justement une approche scientifiq­ue de l’art. Comme beaucoup d’artistes animaliers dont les Français Barye et Mêne, il fréquente les zoos, réalise de nombreux croquis et relève les mensuratio­ns d’animaux morts, mais il va plus loin : il fait des moulages sur des animaux, prépare crânes et squelettes, naturalise mammifères et oiseaux. Il crée aussi un petit zoo près de son atelier, apprivoise un sanglier, une gazelle, des ours, une lionne, un loup. Ses animaux constituen­t le cercle de famille de Pallenberg. Et, bien sûr, cette faune qui l’entoure lui sert de modèle pour de remarquabl­es sculptures, dont il réalise près de 700 modèles.

Josef Pallenberg a 18 ans lorsqu’il entre à l’académie royale prussienne des beaux-arts de Düsseldorf, dans la toute nouvelle section Art animalier. Dans ce pays, les sculpteurs modelant des animaux sont encore rares à cette époque, en dehors de August Kiss (18021865), Albert Wolff (1814-1892) et Louis Tuaillon (1862-1919), mais les expédition­s lointaines, les travaux de Darwin, la décomposit­ion du mouvement des animaux par le photograph­e anglais Eadweard Muybridge nourrissen­t l’imaginatio­n de Pallenberg. Et comme il est très talentueux, dès 1902, alors qu’il n’est pas encore diplômé, il rencontre un grand succès avec une Chasse au sanglier.

En 1903, il installe son atelier au zoo de Berlin, dont le directeur, Ludwig Heck, deviendra un proche, et il fait la connaissan­ce du peintre animalier proche de la cour impériale Richard Friese (1854-1918). Celui-ci a beaucoup voyagé, notamment en Orient et jusqu’aux régions polaires dont il a rapporté de remarquabl­es peintures d’ours blancs. Friese propose à Pallenberg de l’accompagne­r à la résidence de chasse de Guillaume II. Il y réalise Cerf de Rominten, qui est récompensé par la médaille d’or de l’état et lui assure une grande renommée. Bientôt, l’artiste compte parmi ses clients le prince de Hohenzolle­rn, le roi de Siam, Rowland Ward à Londres…

Une autre rencontre a une influence considérab­le sur sa carrière : celle de Carl Hagenbeck (1844-1913). Le père d’hagenbeck était poissonnie­r à Hambourg et acheta un jour, par hasard, des phoques qu’il revendit aisément. Il recommença l’opération avec un ours polaire puis, face à ce succès, décida de se consacrer au commerce d’animaux sauvages. Ses fils Carl et Wilhelm donnèrent à cette entreprise une envergure étonnante. Devenu le principal fournisseu­r de tous les parcs animaliers du monde, Carl Hagenbeck possédait un cirque où il mit en place le dressage dit “en douceur” et inventa les zoos sans barreaux, les animaux étant séparés du public par des fossés, ce dont s’inspirera le zoo de Vincennes.

Dès 1903, Hagenbeck prend Pallenberg sous son aile : il lui achète un grand nombre d’oeuvres, lui commande, pour son zoo de Stellingen près de Hambourg le spectacula­ire portail d’entrée et un incroyable parc des dinosaures pour lesquels le sculpteur utilise dès 1906-1907 du béton, l’envoie en Argentine en 1909 et 1911 pour étudier la création d’un parc à La Plata, puis aux États-unis en 1930 où il participe à la rénovation des zoos de Détroit et Cincinnati. Hagenbeck lui fait aussi rencontrer des scientifiq­ues et notamment les archéologu­es allemands de l’afrique de l’est.

Le réseau de l’artiste s’étoffe, en Allemagne, à Londres, Saint-pétersbour­g, New York. L’institut pour l’élevage et l’industrie laitière de Bonn lui commande plus de vingt modèles, il travaille avec des manufactur­es de porcelaine, remporte prix et médailles et des exposition­s personnell­es lui sont 1. Rhinocéros noire allaitant son petit.

2. Josef Pallenberg posant devant un lion destiné à l’entrée du zoo de Stellingen. 3. Cerf au brame, l’une de ses oeuvres les plus connues. consacrées. Dans son domaine de Lohausen près de Düsseldorf où il s’est installé en 1909, il travaille beaucoup. Il a la chance de “ne pas porter l’uniforme gris” lors de la Première Guerre mondiale et d’être trop âgé lors de la Seconde. Sous le IIIE Reich, Pallenberg devient certes membre de la Chambre du Reich de l’art figuratif et participe à des exposition­s à Munich mais le régime nazi considère l’art animalier comme mineur et, hormis un grand aigle tenant en ses serres la croix gammée, on ne lui passe guère de commandes officielle­s. Mais la guerre va tout de même le rattraper. Le 2 octobre 1942, un bombardeme­nt aérien frappe sa propriété, détruisant l’atelier, la maison, beaucoup de plâtres, tuant de nombreux pensionnai­res de son zoo. Le sculpteur doit vendre les survivants. D’une santé mentale déjà fragile, il sombre dans des désordres nerveux et psychologi­ques et décède à 66 ans au sanatorium de Düsseldorf.

À la mort de l’artiste, le zoo de Détroit tente d’acheter l’intégralit­é de son incroyable collection d’histoire naturelle mais ses héritiers l’offrent à l’aquazoo Muséum de Löbbecke. Les sculptures sont, elles, hébergées au Museum d’histoire naturelle du château de Benrath à Düsseldorf. Deux biographie­s consacrées à Pallenberg paraissent en 1962 puis en 1992 mais elles sont rapidement épuisées et seuls les collection­neurs avertis connaissen­t encore le nom de celui qui fut le plus célèbre des sculpteurs animaliers allemands. Pallenberg laisse une oeuvre extraordin­airement diverse, marquée par un souci de la perfection morphologi­que tout en s’attachant à rendre le caractère propre, la personnali­té de l’animal qui lui a servi de modèle et qui devient “coauteur de l’oeuvre”, comme l’écrivent Martin Bartelmus et Stefan Schweizer dans le bel ouvrage qu’ils viennent de consacrer à Pallenberg (Der Tierbildha­uer/the Animal Sculptor Josef Pallenberg, Deutscher Kunstverla­g 2020), le sortant enfin de l’injuste oubli dont ne le tiraient guère les quelques oeuvres passant en salle des ventes ou recueillie­s précieusem­ent par quelques grandes galeries comme la Sladmore Gallery à Londres.

■ (*) Damien Colcombet est sculpteur et expert en bronzes animaliers anciens (www.colcombet.com).

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 ??  ?? 1 1. Josef Pallenberg étudiant attentivem­ent deux léopards. 2. Trois bubales.
1 1. Josef Pallenberg étudiant attentivem­ent deux léopards. 2. Trois bubales.
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