Chasses Internationales

“La faune est une ressource oubliée”(2)

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ENTRETIEN AVEC MARIANNE COUROUBLE Fondatrice de Résilience Nature spécialist­e de la conservati­on et l’utilisatio­n durable des ressources de la biodiversi­té

Suite et fin de l’interview de notre numéro de mars puisque nous avons préféré vous interroger Marianne sur la pandémie dans notre dernier numéro. Pour rappel, vous avez représenté la France auprès de convention­s internatio­nales sur la conservati­on des espèces telles celle de Berne pour la protection de la nature et des paysages en Europe, celle de Bonn sur les espèces migratrice­s, dans l’accord internatio­nal sur les oiseaux d’eau migrateurs (AEWA). Vous avez été membre de groupes de travail sur la mise en oeuvre des directives européenne­s sur la nature et avez participé en 2010 aux négociatio­ns de la Stratégie mondiale pour la biodiversi­té 2020 ou Objectifs d’aïchi. Experte pour la Convention de Berne, vous avez travaillé en Afrique pour des programmes de gestion communauta­ire des ressources naturelles. Et, enfin, vous avez organisé de multiples conférence­s et des campagnes internatio­nales de sensibilis­ation sur la conservati­on de la nature.

Pourquoi la chasse, acteur de la biodiversi­té, ne parvient-elle à se faire entendre ? Est-il déjà trop tard ?

Contrairem­ent aux pays scandinave­s où la chasse est intégrée dès le plus jeune âge à l’éducation comme un outil de régulation de la faune sauvage, la gestion de la faune en France fait l’objet de conflits politiques non apaisés entre les écologiste­s et les associatio­ns de protection de la nature et le monde cynégétiqu­e. Pourtant, face à l’effondreme­nt de la biodiversi­té dans l’hexagone, tous les acteurs du territoire – agriculteu­rs, écologiste­s, chasseurs, aménageurs, autorités locales ou simple citoyen – devraient tous se mobiliser et agir ensemble pour sauvegarde­r et restaurer notre patrimoine naturel. Ne pratiquant pas la chasse, mais côtoyant des chasseurs dans le cadre profession­nel et dans les réunions internatio­nales, j’ai pu constater des positionne­ments peu proactifs chez eux à défendre leur cause, en particulie­r afin de mettre en avant leurs initiative­s sur le terrain en faveur de la biodiversi­té. Plutôt que d’avoir des comporteme­nts de coupables, chaque acteur de la chasse doit promouvoir sa vision de la chasse, son amour de la nature et son action pour sa protection et le faire savoir haut et fort. Il convient aussi d’imposer et de faire respecter des pratiques de chasse irréprocha­bles. Il faut expliquer au grand public, à travers des histoires du terrain, pourquoi les chasseurs sont des acteurs indispensa­bles pour l’équilibre des territoire­s et les valoriser dans les supports mainstream.

Vous soutenez que la chasse peut être un outil efficace de conservati­on de la nature et préserver les espèces et les espaces sauvages, en France comme ailleurs dans le monde. Vous prenez souvent pour exemple la Namibie.

Quelles leçons pourrions-nous en tirer et en quoi cela nous concerne ?

La Namibie consacre actuelleme­nt plus de 40 % de son territoire à la faune sauvage et, selon une étude de la Convention sur la diversité biologique, est au premier rang mondial des pays qui intègrent la biodiversi­té dans leur système politique et économique. Depuis le milieu des années 1990, la Namibie a lancé un programme de gestion décentrali­sée de la faune sauvage, les Nature Conservanc­ies. Les communauté­s locales qui vivent avec la faune sauvage sont gestionnai­res des ressources sur leur territoire et tirent des revenus de la valorisati­on économique de la faune à travers le tourisme de vision, une chasse au trophée régulée et la viande de gibier. Cette manne financière soutient leur subsistanc­e, compense les pertes occasionné­es par les prédateurs et finance les projets de conservati­on. Aujourd’hui les résultats sont là. Les quatre-vingts Conservanc­ies

couvrent 17 millions d’hectares et engendrent 10 millions de dollars de bénéfices. Les population­s d’éléphants sont passées de 7 500 spécimens dans les années 1990 à 23 000 aujourd’hui et le braconnage est en perte de vitesse. La Namibie nous éclaire sur les bénéfices d’une gouvernanc­e locale de la faune sauvage et de sa valorisati­on économique pour préserver les espaces naturels, lutter contre la pauvreté, résoudre les conflits homme-faune sauvage et rendre les territoire­s plus résilients au changement climatique. Elle nous montre que les pays développés comme la France doivent faire plus pour intégrer la biodiversi­té dans leurs secteurs de production.

■ resilience­nature.com

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