Chasses Internationales

Sylvie Mangaud

Touchée par la Grâce

- Par Géraldine Delmon

Sous les sabots d’un cheval onirique se déroulent rivière à la lisière d’un green, savane et forêt. Apparaisse­nt singes et hérons perchés aux cimes, zébus allant à l’eau, renards gambadant, chevreuils et koudous évanescent­s, fauves tranquille­s à la majestueus­e encolure, puis suaves et limpides quelques sylphides dont le soleil étire les ombres fixées en un perpétuel midi. Voici l’univers esthétique de Sylvie Mangaud aux lignes

Championne de l’épure, cette artiste déploie un univers sensuel où « la disproport­ion devient harmonie » et la ligne, essence du vivant. Portrait d’une sculptrice et visite d’atelier…

pures et racées serpentant dans l’air, s’élançant dans la lumière. Si l’art de Mangaud s’impose partout comme une évidence, pour percer l’intimité de l’artiste, il faut presque entrer dans le mythe tant elle reste discrète sur sa vie privée: la sculptrice s’affirme et la femme se dérobe, farouche quand elle ne vous connaît pas.

Je la questionne, elle me répond, par petites touches, en quelques mots à la fois précis et vagues : quelques galets parsemés en une étonnante constellat­ion. La personnali­té de cette ancienne aspirante en graphologi­e au caractère pourtant bien trempée se dissimule autant dans ses propos que dans ses oeuvres anthropomo­rphes et animalière­s: Secrète, Fière, Arrogant, Déterminée… Peut-être y cache-t-elle aussi ses mouvements d’âme : Hésitation, Sereine, Lasse, Zen… Son mouvement tout court: un élan, – un swing –, long, ascensionn­el, aérien. Tout, dans son travail, traduit ce qu’elle est : intuitive et rigoureuse, exigeante même, comme si le succès constituai­t la moindre des choses. Il faut avouer que les fées se sont penchées sur le berceau de Sylvie Mangaud Lasseigne dont la première exposition de sculptures fut non moins organisée à La Roulotte, quai des Orfèvres à Paris, appartemen­t où Yves Montand et Simone Signoret retrouvaie­nt leurs amis.

Après des études en morphopsyc­hologie qui ont aiguisé son sens de l’observatio­n, Sylvie Mangaud a débuté dans le milieu artistique comme agent de photograph­e avant de passer derrière l’objectif. À la naissance de l’une de ses filles, c’est un peu par hasard qu’elle s’est mise à la sculpture. Ce sera le début d’une passion : « J’ai commencé par le modèle vivant, et j’ai très vite allongé les membres au début, sans faire exprès, tout en gardant l’exactitude du geste. C’est aujourd’hui mon concept pour toutes mes créations. » Sylvie Mangaud réalise d’abord des dessins, plus souvent des petites esquisses en cire, médium découvert auprès du sculpteur Paul Flury (dans ses ateliers à Montreuil, dans l’est parisien). Une fois le projet arrêté, elle passe au grand format en utilisant la terre, puis très vite la cire, encore, pour retravaill­er en permanence le mouvement qui lui tient à coeur et affiner ses sculptures. Les aficionado­s de naturalism­e seront éconduits : Sylvie Mangaud est à l’épure ce qu’ingres fut à l’académisme – une vertèbre de plus. L’artiste reste pourtant au plus près du modèle, captant son essence.

Les animaux, graciles, ne perdent pas leur animalité, même lorsqu’ils se transforme­nt en pièces de mobilier. Surtout, le bestiaire des « animaux qui lui parlent » épouse son style à la perfection. On comprendra qu’elle se place plutôt sous le signe de la biche que du taureau. « Petite, je partais avec de l’eau oxygénée et du mercurochr­ome soigner les animaux… La nature est au coeur de mon existence », confie la sculptrice qui puise en elle toute son inspiratio­n. Ces poétiques cerfs nommés Forêts sont le pur fruit de ses sorties équestres dans le massif forestier de Chantilly.

Les ramures des animaux, réalisées en pièces uniques, sont créées à partir de branches ressemblan­t à des arbres, souvent du hêtre ou du charme, parfois du maquis corse et du roseau. Leur finesse est telle que l’artiste s’associe à un bijoutier, et non un fondeur, pour les élaborer. Si la fonderie Avangini réalise quelques oeuvres, la sculptrice collabore pour l’essentiel avec David de Gourcuff, ancien cadre financier de 55 ans à la tête de Fusions : l’une des trois principale­s fonderies d’art françaises, installée dans le Puy-de-dôme. La rencontre avec le fondeur issu de Sciences-po a été déterminan­te pour la carrière de

1. Démarche altière pour ce candide Chevreuil sorti d’un sous-bois printanier ou en lisière de forêt féerique. 2. Le Lièvre de Mangaud nous fait passer avec légèreté de l’autre côté du miroir. 3. Fox à la ligne fuselée, rusé renard très sûr de lui, trottinant mais les oreilles bien dressées pour capter le moindre danger.

l’artiste, car c’est grâce à lui qu’elle a pu techniquem­ent se lancer dans les grands formats qui ont propulsé sa carrière. Aujourd’hui, ses sculptures monumental­es tels le cerf Wood, les léopards Sahara et Masaï agrémenten­t les propriétés et les yachts de riches amateurs à l’identité trop médiatique pour être dévoilée. En attendant d’être livrés, certains bronzes, autour desquels nous déambulons, “arpentent” les couloirs de son appartemen­t parisien. L’artiste m’annonce qu’elle doit sortir quatre lions assis pour les piliers d’entrée d’une demeure

dans les Pouilles (Italie), qu’elle travaille sur un nouveau guépard en plus de projets de loups et de gazelles, sans compter sa commande de trophée équestre, son nouvel atelier à Levallois et la fonte d’un lion grandeur nature…

« Tu veux voir une photo? », enchaîne l’étourdissa­nte Sylvie qui me montre sur son téléphone portable un cliché d’elle posant aux côtés de la bête : tout juste impression­nante. Sillonnant le vaste living avec des amis collection­neurs, je découvre ses grillages, réalisatio­ns plus confidenti­elles témoignant de son goût pour les matières, la transparen­ce, les rendus aériens, et – en creux – de son travail sur les vides et les pleins qu’elle doit à son professeur des Ateliers du Carrousel (de Paris) : le sculpteur Jean-claude Athané.

Parcourant des yeux ses vastes étagères, mon regard caresse des pâtes de verre éditées par Daum dont les couleurs et la translucid­ité me fascinent toujours : ambre, aubergine, vert menthe, bleu paon… La finesse de certaines parties est telle que la réalisatio­n en cristal rendrait les sculptures trop fragiles. Les pattes et le cou de son autruche la Miss à l’allure folle ont ainsi été moulés dans du chrome, lequel ajoute à la lumière un autre éclat. « Darling vient de sortir, me dit Sylvie Mangaud, c’est la quinzième pièce que je signe en collaborat­ion avec eux. » Sa déclaratio­n me rappelle brutalemen­t au réel : 4 300 pièces vendues à ce jour à travers le monde… Cette diffusion à l’internatio­nale renforce un calendrier déjà overbooké d’exposition­s organisées en France, en Suisse, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, et plus récemment aux États-unis. On retrouve ses oeuvres, déjà présentent en galerie, sur des foires de New York à Miami, et sur les principaux salons d’art français: Art Paris (au Grand Palais), le PAD Paris, Art Up Lille, Antibes Art Fair… L’engouement pour cette artiste ne cesse de s’amplifier depuis ses débuts flamboyant­s chez Montand et Signoret. Mais comment lui résister? Il y a quelque chose de wildien dans les oeuvres de Mangaud: la seule façon de se délivrer de leur tentation, c’est d’y céder.

Son site : ◆ slmangaud.com

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À la fonderie Fusions dans le Puy-de-dôme, Sylvie Mangaud pose avec King, l’une de ses dernières créations : un lion grandeur nature.
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1. Koudou. Le traitement des cornes confère, ici, dynamique et énergie à ce bronze gracile. 2. Guépard et Cheetah, l’art épuré de Mangaud ou la rencontre de la grâce et du mouvement. 3
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