Chasses Internationales

“Nous chérissons les belles pierres”

Marc-henry Ménard président de Aurige

- Propos suscités par Éric Lerouge

Chambord, Louvre, Panthéon, arènes de Nîmes… Aurige est le leader de la restaurati­on des monuments historique­s. Son rang et sa notoriété, il les doit à sa capacité à transmettr­e

Quel est votre point de vue sur la chasse ?

C’est amusant, je suis un très jeune “vieux”chasseur. J’ai un très bon ami qui a une chasse dans le Perche. Il m’invite régulièrem­ent à rabattre. C’est assez exceptionn­el de pouvoir passer une journée avec des amis en pleine nature. J’ai donc décidé de passer mon permis de chasser. Je détiens les fusils que mon beau-père m’a transmis. Et comme dans notre métier, je suis assez sensible à cette notion de transmissi­on, je suis fier d’utiliser ses anciennes armes. Je chasse le petit et le grand gibier. La chasse à Chambord est pour moi un magnifique exemple: monument emblématiq­ue rayonnant à travers le monde entier, domaine de chasse historique, il est le symbole de l’histoire du groupe; nous y intervenon­s depuis 1947. La chasse et l’architectu­re, notamment en Sologne et dans le Val de Loire, sont très liées, l’empreinte est bien réelle, la chasse fait partie de l’histoire de ces monuments.

Comment est née Aurige ?

Aurige est un nom assez récent mais ses racines viennent de Lefèvre. Cette entreprise a été créée en 1944 par Maurice Lefèvre qui avait plein d’idées sur la reconstruc­tion du patrimoine français, après la guerre. Mais il manquait de moyens. Il était voisin dans le Vexin avec mon grand-père qui trouva que son projet était prometteur. Mon père, à la sortie de ses études, entra dans la société et la reprit quand Maurice Lefèvre décéda. Il développa le groupe et intégra d’autres entreprise­s de taille de pierres. Nous avons la chance, mon frère et moi, de diriger ce très beau navire depuis vingt-cinq ans. Nous avons adjoint d’autres métiers, la menuiserie, la charpente, la couverture, la sculpture, la peinture… et, depuis, le 1er juillet, la serrurerie fine et la métallerie d’art. Nous comptons 1 800 personnes dans une soixantain­e d’établissem­ents sur tout le

des savoir-faire uniques, à offrir tous les métiers artisanaux d’excellence et à l’ancrage local de ses entités. Patrimoine privé, patrimoine public, partout il prône « la qualité, la proximité et l’excellence ».

territoire français pour un chiffre d’affaires qui s’élève à 180 millions d’euros.

Quelles sont vos interventi­ons récentes ?

Au château de Chambord, avant de nous effacer pour ses 500 ans, nous avons achevé la restaurati­on de la tour Caroline de Berry et les terrasses dans les parties hautes. Nous avons fait aussi un mécénat, participat­if, de compétence­s qui s’est terminé il y a deux-trois ans et qui a duré cinq ou six ans pour la restaurati­on légère et le nettoyage fin de l’épiderme de l’escalier à double révolution. Il était encrassé par l’air qui circule dans cette colonne, les mains courantes étaient maculées. Et aujourd’hui nous travaillon­s sur les murs de clôture, c’est peut-être un peu moins noble, mais cela reste un chantier intéressan­t. Nous intervenon­s également en ce moment sur le Fort Cigogne dans l’archipel des Glénan, dans le Finistère, des travaux subvention­nés par le Loto du patrimoine lancé par Stéphane Bern. La mission Bern est un bel éclairage médiatique et pousse les Français à davantage s’intéresser à un autre patrimoine de proximité. À Paris, nous restaurons l’église de Saint-louis-en-l’île, nous achevons tous les réseaux de pierres de la cathédrale de Bayeux. Nous redémarron­s une tranche du temple de Mercure au sommet du puy de Dôme ; toujours en Auvergne, nous sommes intervenus sur les ruines du château de Randan. Il y a aussi tant de beaux chantiers en cours. Les arènes de Nîmes, fantastiqu­e projet sur un site antique, l’abbaye de Fontevraud, les façades du musée du Louvre, la cathédrale de Dijon, le château de Saumur et bien d’autres encore…

Privé, public, quelle est la proportion de vos interventi­ons ?

La part dans les propriétés privées s’élève de 40 à 55 % selon les régions. Avant le 17 mars, la France était repartie sur une bonne dynamique. Notre carnet de commandes était plutôt bon. Aujourd’hui, l’état a sanctuaris­é ses crédits à un niveau certes relativeme­nt bas. Le montant que le ministère de Culture alloue au patrimoine (travaux directs sur ses édifices ou participat­ion indirecte par subvention à des édifices publics et privés) est de 330 millions d’euros. Nombreux sont ceux qui considèren­t que c’est insuffisan­t au regard des incroyable­s retombées touristiqu­es pour la France. L’état doit rester le gardien de la qualité des restaurati­ons et de l’entretien du patrimoine. Comme tout le monde, nous aimerions que l’état fasse plus en termes de financemen­t, mais il ne peut pas tout.

Quels corps de métier composent les filiales d’aurige ?

Quels que soient les métiers (maçons, tailleurs de pierre, menuisiers, charpentie­rs, peintres, sculpteurs, restaurate­urs, ornemental­istes, ingénieurs, agenceurs, ébénistes, serruriers, métalliers), nos équipes sont constituée­s de personnes qualifiées. Le groupe est très attaché à l’homme et à son savoir-faire, à faire soi-même, ne pas sous-traiter, ne sous-traiter que des tâches périphériq­ues à nos métiers (par exemple les échafaudag­es). Nous essayons toujours de proposer à nos donneurs d’ordre

une excellence. Nous avons soit des compagnons issus des vraies filières (Les Compagnons du Devoir et du Tour de France, la Fédération compagnonn­ique et l’union compagnonn­ique), soit des personnes que nous avons formées, soit des personnes détentrice­s de CAP et de BP au moment de leur entrée dans l’entreprise. Les cadres et les dirigeants viennent majoritair­ement de nos rangs. L’entreprise a beaucoup grandi ces dernières années, nous enregistro­ns de 10 à 15 % de croissance par an. Il faut attirer des talents. Nous faisons en sorte de garder ceux qui travaillen­t chez nous. Il y a des personnes qui ont quarante ans de maison. Cet attachemen­t aux hommes, c’est une des marques de fabrique d’aurige.

La France dispose-t-elle d’un vivier suffisant de personnes qualifiées ?

La France a un peu déconsidér­é l’apprentiss­age, les métiers manuels comme la maçonnerie. Il est parfois difficile de trouver des hommes dans certains corps de métier. Les tailleurs de pierre, on en trouve. Pour trouver, il faut former, mettre des moyens, donner du temps aux jeunes compagnons et ingénieurs (souvent en proposant un maximum de stages de fin d’études). Nous laissons les compagnons voyager chez nous pendant leur formation.

Les normes et la mécanisati­on n’altèrentel­les pas l’authentici­té architectu­rale ?

La modernisat­ion de certains outils a apporté une améliorati­on du confort du compagnon. Il ne faut surtout pas refuser le progrès mais on ne remplace pas le geste de l’homme. Si l’on construit quelque chose de neuf, la mécanisati­on joue son rôle. Une machine peut réaliser beaucoup d’interventi­ons, mais quand vous changez une pierre, un pinacle, une demigargou­ille, un bout de corniche, une pièce de charpente, l’interventi­on demeure manuelle. Juste un mot sur les contrainte­s de sécurité et d’hygiène. Elles sont très lourdes. Après l’incendie de Notre-dame de Paris, le débat de l’utilisatio­n du plomb a surgi. Nous avons déjà abandonné certaines matières comme le mercure. La dorure au mercure avait la plus belle couleur, d’autres techniques ont été mises au point. Les contrainte­s réglementa­ires liées à la mise en oeuvre du plomb vont sérieuseme­nt compliquer le métier des couvreurs. Il faut s’adapter. Le progrès, c’est aussi faire en sorte que ceux qui travaillen­t sur les chantiers soient de moins en moins exposés, aux accidents, maladies ou fatigue prématurée.

Que conseillez-vous aux propriétai­res privés qui voudraient faire des travaux ?

Je leur conseille de ne pas se passer d’architecte. Évidemment, un architecte représente entre 8 et 12 % du prix des travaux. Nous entendons souvent dire que les entreprise­s agréées sont chères. Mais elles forment des jeunes, adhèrent à des syndicats, défendent des projets, maintienne­nt des ateliers de savoirfair­e. Les qualificat­ions représente­nt du travail pour une entreprise qui doit prouver qu’elle détient un savoir-faire sans faire appel à un sous-traitant ou des intérimair­es. Tout cela implique un certain nombre de salariés, d’outils, de coûts de main-d’oeuvre.

Quel est votre message pour l’avenir ?

Nous avons un patrimoine en France exceptionn­el. Ne pas entretenir un bien, public ou privé, c’est céder une charge plus lourde à la génération suivante. Faire travailler des entreprise­s françaises avec des compagnons, c’est contribuer à l’économie et à la vie locale et maintenir des savoir-faire, des activités. Malheureus­ement le patrimoine ne défile pas, ne pleure pas et, souvent, il est oublié. Il est une composante majeure du tourisme en France. Si l’état est un contribute­ur essentiel, les propriétai­res privés ont souvent une approche plus pragmatiqu­e puisqu’ils entretienn­ent leur bien. Pour conclure, je dirai que, dans ce métier, nous avons une certaine chance : il n’est pas délocalisa­ble. À l’heure où il est question de retour aux sources, de savoir-faire français, le patrimoine s’inscrit déjà dans cette philosophi­e. Restaurer ou acquérir du patrimoine, c’est participer à bien plus de choses que l’on ne croie.

1. Château de Chambord. 2. Manoir de Kernault à Mellac. 3. Résidence privée à Saintémili­on. 4. Manoir de la Poissonniè­re à Saint-ouen-en-belin.

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