Chèvre sauvage persane en Iran
Rien ne se fait sans lui. Sur une approche de chèvre sauvage persane ou de mouflon de Keman, au haman, dans les bazars ou à la mosquée, le tchaï (le “thé”) accompagne la vie des habitants de l’antique Yazd, ancienne étape de la Route de la Soie et capitale de la première religion monothéiste.
Hors norme! L’iran ne vous laisse jamais indifférent. Tout ici demeure insolite. La localisation : l’antique Yazd – située sur le plateau central entre les déserts du Dasht-e Kavir et du Dasht-e Lut au sud –, entourée de lacs salés et dominée par le Shir Kuh culminant à 4 055 mètres. Le breuvage national : le thé, partout et en toutes occasions. La chasse : les chèvres sauvages persanes du désert (Capra aegagrus aegagrus) et le mouflon de Kerman (Ovis gmelini laristanica x Ovis vignei blanfordi). Les visas : même après quatre semaines, rien ne vous parvient du portail en ligne du ministère des Affaires étrangères iranien. Pourquoi m’en étonnerais-je ?
En discutant avec mon partenaire en Iran, mes inquiétudes s’évanouissent. J’annule toutes mes démarches administratives. Une copie du passeport, une photo de passeport et les informations nous concernant lui sont envoyées et une semaine plus tard, nous avons la confirmation de nos demandes de visa. Nous le recevons par mail et l’original sera déposé à l’arrivée à l’aéroport de Téhéran. L’importation des armes : un chasseur ne peut chasser qu’avec sa carabine et n’est donc pas autorisé à emprunter une arme sur place. Fort de ces particularismes, reste à rassembler ses affaires de chasse en montagne, enfin…, d’un genre singulier plutôt aride et venteux. Nous transitons par Dubaï et atterrissons à Téhéran. Les règlements à l’aéroport international se révèlent très simples. L’aide de mon partenaire local y est pour beaucoup, vous vous en doutez. Les bagages et les armes sont chargés dans un taxi et nous nous dirigeons vers l’autre extrémité de la ville où se trouve l’aéroport national. En traversant Téhéran, nous sommes éblouis par l’architecture de la Perse antique. Notre prochain vol d’une heure nous emmène à Yazd, la “fiancée du désert”, située à quelque trois cents kilomètres au sud-est d’ispahan, une ville entourée de plaines désertiques. Yazd, classée patrimoine mondial de l’unesco, doit son charme à son centre historique, et pour cause: il s’agit de l’une des plus vieilles villes au monde !
Elle a accueilli les premiers fidèles de Zarathoustra – un des maîtres-penseurs les plus éminents de l’orient ancien et prophète de la première religion monothéiste – et vu passer les caravanes de la Route de la Soie et Marco Polo en 1292. Outre la vieille ville, la mosquée centrale, le jardin Dowlat Abad, le temple Atashkadeh et les Tours du silence chamboulent le trajet de nos traditionnels voyages aéroport-hôtel-zone de chasse.
Nous emménageons dans notre maison d’hôtes un peu à l’extérieur de Yazd qui offre de belles chambres climatisées. Au cours du dîner, nous nous aventurons sur des terres culinaires persanes délicieuses conclues par le traditionnel thé. Mon partenaire et notre guide de chasse nous ramènent très vite à la chasse : tirs de réglage de l’arme puis chasse de la chèvre aégagre figurent au programme du premier jour Elle partage de nombreuses similitudes avec le bézoard d’anatolie et le bouquetin de Sindh du Pakistan. Sa robe prend une teinte crème avec l’âge et présente un anneau de couleur sombre autour des épaules. Elle pos
les plus longues cornes du monde par rapport au poids corporel. Avant la révolution iranienne, elle avait colonisé toute la Perse mais sa chasse incontrôlée avec des armes automatiques… après 1979 a décimé ses populations. La création de parcs nationaux, le contrôle et les sanctions sévères à l’encontre du braconnage, mais aussi la chasse au trophée a stabilisé puis renversé la tendance.
Après un copieux petit-déjeuner, nous prenons la route. Nous atteignons au bout d’une heure les contreforts des montagnes de Kuh-e-rud. Cette chaîne centrale est l’une des plus importantes d’iran: s’étirant sur environ mille kilomètres, elle compte plusieurs sommets de plus de 4000 mètres. C’est ici, sur un large plateau, que Sergey procède au réglage de sa carabine .300 Win Mag réalisée par l’autrichien Paul Paternoss. Cette arme idéale pour la chasse en montagne consent des tirs jusqu’à 500 mètres.
Nos “éclaireurs” nous confient avoir repéré des mouvements de beaux troupeaux autour de la montagne Aliabad-e Chehel Gazi. Nous suivons notre guide professionnel Hassan qui connaît très bien la région. L’altimètre annonce 1 450 mètres, nous entamons l’ascensède
sion lentement et régulièrement. Après environ deux heures, nous localisons un premier groupe de huit chèvres aégagres. L’une se distingue particulièrement. Le vent en notre direction évite de nous faire repérer. Néanmoins, nous redoublons de prudence désormais. Non seulement elles disposent de capacités olfactives exceptionnelles, mais jouissent aussi d’une vue toute aussi aiguë. Hassan, aux aguets, surveille chacun de leurs mouvements. Nous sommes encore à sept cents mètres d’elles et poursuivons notre progression. Chaque minuscule abri est mis à profit. La tension monte.
Au bout de quarante interminables minutes, nous sommes à distance de tir. Le télémètre affiche 352 mètres ; le mâle est environ 30 mètres plus haut que notre ligne d’horizon. Commence alors une guerre des nerfs. Très mal exposé, il nous fait face, à cette distance le risque est trop important de blesser l’animal. Nous devrons attendre qu’il se positionne différemment, idéalement de profil. Les minutes semblent des heures. En une fraction de seconde, il expose son flanc de droite. Je me tourne vers Sergey afin qu’il saisisse sa chance. Le coup retentit, déjà, sec, tendu. Le mâle perd ses appuis et dévale sur environ trente mètres. Un rocher stoppe sa chute. Il nous faut un peu plus d’une demi-heure pour atteindre les lieux. La chèvre persane est âgée de 13 ans et comporte une corne de plus d’un mètre (n° 10 dans le livre des records du SCI). Après avoir dégusté un thé fraîchement infusé, nous engageons la descente dans les pierriers et les éboulis. Quelle épreuve ! Nous atteignons notre véhicule avant le crépuscule et retournons à Yazd.
Le lendemain, nous éclipsons toute chasse au profit d’une journée de balade dans les rues de la cité. 24 heures pour reprendre notre souffle. Ce soir, nous veillons un peu autour
d’une table de mets extraordinaires. Il est temps de parler du mouflon de Kerman. Grâce à la chasse, sa conservation est assurée et ses populations sont en constante augmentation. Malheureusement, la météo du lendemain contrecarre nos plans. Une tempête s’est levée pendant la nuit sur notre zone de chasse et ajourne notre déplacement.
Je profite de ce temps mort pour trier mes photos et réaliser un premier documentaire. Après quelques échanges avec Hassan, j’apprends qu’il est possible d’envisager des chasses de mouflon de Shiraz et Esfahan mais aussi de gazelle persane dès l’an prochain. Dans l’après-midi, le vent se calme et les prévisions pour le lendemain semblent favorables. Couchés tôt, levés tôt, nous gagnons la zone de chasse en deux heures. Nous sommes à 1 550 mètres d’altitude. Le paysage, vallonné et parsemé de végétation, est radicalement différent de celui de notre première chasse. Au sol des stries blanches parsèment le relief bosselé et les canyons. De la neige ? Impossible. Alors ? Du sel issu de l’évaporation des marais salés, anciens ou très présents à la ronde.
Après un thé – il rythme la vie ici, comme je vous le disais en entame –, nous nous élançons dans la zone de Dorbid. La configuration du terrain composé de collines irisées d’une herbe sèche et de buisson n’entrave pas notre progression. Seul hic, comment repérer les mouflons de la couleur de ce biotope? Fort heureusement, les yeux de nos éclaireurs déjouent leur mimétisme. Nous comptons une cinquantaine d’individus après six heures de recherche. La septième heure, à l’aplomb d’une gorge, nous localisons dix-huit têtes en mouvement d’où émergent des mâles.
Sans Hassan, nul salut. Mais pourquoi s’agitent-ils ? Nous ne sommes pas les instigateurs de cette soudaine réaction… Il nous informe qu’un léopard persan rôde dans les parages. La chèvre et le mouflon demeurent ses proies favorites. Cette présence ne trouble pas le moins du monde Sergey qui a déjà un mâle en ligne de mire. Son tir parfait confirme ses prédispositions à “viser dans le mille”. En quelques minutes, nous sommes autour du vieux bélier qui gît à terre. Toute l’équipe se charge de la découpe et nous rebroussons chemin. Il faudra tout de même deux heures encore afin de rallier notre véhicule après que Hassan a dicté ses instructions par radio au chauffeur.
Nous achèverons le dernier kilomètre à la lampe frontale…, plongés dans une nuit noire, totale, colossale. Nous sommes tous rincés. À notre domicile, nous dînons sur le pouce, mais savourons cette cuisine très populaire. Quelle aubaine ! Et c’est seulement au petit déjeuner que nous partagerons la joie, différée, du succès de Sergey. Les dernières heures consacrées à la découverte des joyaux de Yazd nous ferons oublier les courbatures dues à l’intensité de cette dernière chasse. Le lendemain, à l’aéroport, Sergey m’interroge: « T’es-tu renseigné sur le mouflon de Shiraz et celui d’esfahan ? » Je lui souris. ■