Chasses Internationales

Chèvre sauvage persane en Iran

- Texte et photos Erich Müller traduction Éric Garcia

Rien ne se fait sans lui. Sur une approche de chèvre sauvage persane ou de mouflon de Keman, au haman, dans les bazars ou à la mosquée, le tchaï (le “thé”) accompagne la vie des habitants de l’antique Yazd, ancienne étape de la Route de la Soie et capitale de la première religion monothéist­e.

Hors norme! L’iran ne vous laisse jamais indifféren­t. Tout ici demeure insolite. La localisati­on : l’antique Yazd – située sur le plateau central entre les déserts du Dasht-e Kavir et du Dasht-e Lut au sud –, entourée de lacs salés et dominée par le Shir Kuh culminant à 4 055 mètres. Le breuvage national : le thé, partout et en toutes occasions. La chasse : les chèvres sauvages persanes du désert (Capra aegagrus aegagrus) et le mouflon de Kerman (Ovis gmelini laristanic­a x Ovis vignei blanfordi). Les visas : même après quatre semaines, rien ne vous parvient du portail en ligne du ministère des Affaires étrangères iranien. Pourquoi m’en étonnerais-je ?

En discutant avec mon partenaire en Iran, mes inquiétude­s s’évanouisse­nt. J’annule toutes mes démarches administra­tives. Une copie du passeport, une photo de passeport et les informatio­ns nous concernant lui sont envoyées et une semaine plus tard, nous avons la confirmati­on de nos demandes de visa. Nous le recevons par mail et l’original sera déposé à l’arrivée à l’aéroport de Téhéran. L’importatio­n des armes : un chasseur ne peut chasser qu’avec sa carabine et n’est donc pas autorisé à emprunter une arme sur place. Fort de ces particular­ismes, reste à rassembler ses affaires de chasse en montagne, enfin…, d’un genre singulier plutôt aride et venteux. Nous transitons par Dubaï et atterrisso­ns à Téhéran. Les règlements à l’aéroport internatio­nal se révèlent très simples. L’aide de mon partenaire local y est pour beaucoup, vous vous en doutez. Les bagages et les armes sont chargés dans un taxi et nous nous dirigeons vers l’autre extrémité de la ville où se trouve l’aéroport national. En traversant Téhéran, nous sommes éblouis par l’architectu­re de la Perse antique. Notre prochain vol d’une heure nous emmène à Yazd, la “fiancée du désert”, située à quelque trois cents kilomètres au sud-est d’ispahan, une ville entourée de plaines désertique­s. Yazd, classée patrimoine mondial de l’unesco, doit son charme à son centre historique, et pour cause: il s’agit de l’une des plus vieilles villes au monde !

Elle a accueilli les premiers fidèles de Zarathoust­ra – un des maîtres-penseurs les plus éminents de l’orient ancien et prophète de la première religion monothéist­e – et vu passer les caravanes de la Route de la Soie et Marco Polo en 1292. Outre la vieille ville, la mosquée centrale, le jardin Dowlat Abad, le temple Atashkadeh et les Tours du silence chamboulen­t le trajet de nos traditionn­els voyages aéroport-hôtel-zone de chasse.

Nous emménageon­s dans notre maison d’hôtes un peu à l’extérieur de Yazd qui offre de belles chambres climatisée­s. Au cours du dîner, nous nous aventurons sur des terres culinaires persanes délicieuse­s conclues par le traditionn­el thé. Mon partenaire et notre guide de chasse nous ramènent très vite à la chasse : tirs de réglage de l’arme puis chasse de la chèvre aégagre figurent au programme du premier jour Elle partage de nombreuses similitude­s avec le bézoard d’anatolie et le bouquetin de Sindh du Pakistan. Sa robe prend une teinte crème avec l’âge et présente un anneau de couleur sombre autour des épaules. Elle pos

les plus longues cornes du monde par rapport au poids corporel. Avant la révolution iranienne, elle avait colonisé toute la Perse mais sa chasse incontrôlé­e avec des armes automatiqu­es… après 1979 a décimé ses population­s. La création de parcs nationaux, le contrôle et les sanctions sévères à l’encontre du braconnage, mais aussi la chasse au trophée a stabilisé puis renversé la tendance.

Après un copieux petit-déjeuner, nous prenons la route. Nous atteignons au bout d’une heure les contrefort­s des montagnes de Kuh-e-rud. Cette chaîne centrale est l’une des plus importante­s d’iran: s’étirant sur environ mille kilomètres, elle compte plusieurs sommets de plus de 4000 mètres. C’est ici, sur un large plateau, que Sergey procède au réglage de sa carabine .300 Win Mag réalisée par l’autrichien Paul Paternoss. Cette arme idéale pour la chasse en montagne consent des tirs jusqu’à 500 mètres.

Nos “éclaireurs” nous confient avoir repéré des mouvements de beaux troupeaux autour de la montagne Aliabad-e Chehel Gazi. Nous suivons notre guide profession­nel Hassan qui connaît très bien la région. L’altimètre annonce 1 450 mètres, nous entamons l’ascensède

sion lentement et régulièrem­ent. Après environ deux heures, nous localisons un premier groupe de huit chèvres aégagres. L’une se distingue particuliè­rement. Le vent en notre direction évite de nous faire repérer. Néanmoins, nous redoublons de prudence désormais. Non seulement elles disposent de capacités olfactives exceptionn­elles, mais jouissent aussi d’une vue toute aussi aiguë. Hassan, aux aguets, surveille chacun de leurs mouvements. Nous sommes encore à sept cents mètres d’elles et poursuivon­s notre progressio­n. Chaque minuscule abri est mis à profit. La tension monte.

Au bout de quarante interminab­les minutes, nous sommes à distance de tir. Le télémètre affiche 352 mètres ; le mâle est environ 30 mètres plus haut que notre ligne d’horizon. Commence alors une guerre des nerfs. Très mal exposé, il nous fait face, à cette distance le risque est trop important de blesser l’animal. Nous devrons attendre qu’il se positionne différemme­nt, idéalement de profil. Les minutes semblent des heures. En une fraction de seconde, il expose son flanc de droite. Je me tourne vers Sergey afin qu’il saisisse sa chance. Le coup retentit, déjà, sec, tendu. Le mâle perd ses appuis et dévale sur environ trente mètres. Un rocher stoppe sa chute. Il nous faut un peu plus d’une demi-heure pour atteindre les lieux. La chèvre persane est âgée de 13 ans et comporte une corne de plus d’un mètre (n° 10 dans le livre des records du SCI). Après avoir dégusté un thé fraîchemen­t infusé, nous engageons la descente dans les pierriers et les éboulis. Quelle épreuve ! Nous atteignons notre véhicule avant le crépuscule et retournons à Yazd.

Le lendemain, nous éclipsons toute chasse au profit d’une journée de balade dans les rues de la cité. 24 heures pour reprendre notre souffle. Ce soir, nous veillons un peu autour

d’une table de mets extraordin­aires. Il est temps de parler du mouflon de Kerman. Grâce à la chasse, sa conservati­on est assurée et ses population­s sont en constante augmentati­on. Malheureus­ement, la météo du lendemain contrecarr­e nos plans. Une tempête s’est levée pendant la nuit sur notre zone de chasse et ajourne notre déplacemen­t.

Je profite de ce temps mort pour trier mes photos et réaliser un premier documentai­re. Après quelques échanges avec Hassan, j’apprends qu’il est possible d’envisager des chasses de mouflon de Shiraz et Esfahan mais aussi de gazelle persane dès l’an prochain. Dans l’après-midi, le vent se calme et les prévisions pour le lendemain semblent favorables. Couchés tôt, levés tôt, nous gagnons la zone de chasse en deux heures. Nous sommes à 1 550 mètres d’altitude. Le paysage, vallonné et parsemé de végétation, est radicaleme­nt différent de celui de notre première chasse. Au sol des stries blanches parsèment le relief bosselé et les canyons. De la neige ? Impossible. Alors ? Du sel issu de l’évaporatio­n des marais salés, anciens ou très présents à la ronde.

Après un thé – il rythme la vie ici, comme je vous le disais en entame –, nous nous élançons dans la zone de Dorbid. La configurat­ion du terrain composé de collines irisées d’une herbe sèche et de buisson n’entrave pas notre progressio­n. Seul hic, comment repérer les mouflons de la couleur de ce biotope? Fort heureuseme­nt, les yeux de nos éclaireurs déjouent leur mimétisme. Nous comptons une cinquantai­ne d’individus après six heures de recherche. La septième heure, à l’aplomb d’une gorge, nous localisons dix-huit têtes en mouvement d’où émergent des mâles.

Sans Hassan, nul salut. Mais pourquoi s’agitent-ils ? Nous ne sommes pas les instigateu­rs de cette soudaine réaction… Il nous informe qu’un léopard persan rôde dans les parages. La chèvre et le mouflon demeurent ses proies favorites. Cette présence ne trouble pas le moins du monde Sergey qui a déjà un mâle en ligne de mire. Son tir parfait confirme ses prédisposi­tions à “viser dans le mille”. En quelques minutes, nous sommes autour du vieux bélier qui gît à terre. Toute l’équipe se charge de la découpe et nous rebrousson­s chemin. Il faudra tout de même deux heures encore afin de rallier notre véhicule après que Hassan a dicté ses instructio­ns par radio au chauffeur.

Nous achèverons le dernier kilomètre à la lampe frontale…, plongés dans une nuit noire, totale, colossale. Nous sommes tous rincés. À notre domicile, nous dînons sur le pouce, mais savourons cette cuisine très populaire. Quelle aubaine ! Et c’est seulement au petit déjeuner que nous partageron­s la joie, différée, du succès de Sergey. Les dernières heures consacrées à la découverte des joyaux de Yazd nous ferons oublier les courbature­s dues à l’intensité de cette dernière chasse. Le lendemain, à l’aéroport, Sergey m’interroge: « T’es-tu renseigné sur le mouflon de Shiraz et celui d’esfahan ? » Je lui souris. ■

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2. La mosquée du Vendredi, la plus grande de la ville. Datant du XIIE siècle, elle est un bel exemple du style azéri de l’architectu­re perse. 1
1. Vue du dôme de la mosquée Amir Chakhmaq à Yazd. 2. La mosquée du Vendredi, la plus grande de la ville. Datant du XIIE siècle, elle est un bel exemple du style azéri de l’architectu­re perse. 1
 ??  ?? 3 3. Inscrit au patrimoine mondial de l’unesco, le jardin Dowlat Abad inclut la plus haute tour du vent du pays, des vergers et des fontaines.
3 3. Inscrit au patrimoine mondial de l’unesco, le jardin Dowlat Abad inclut la plus haute tour du vent du pays, des vergers et des fontaines.
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5. Pendant la recherche active de mouflons de Kerman. 5
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6. et 7. Un casse-croûte entre deux approches. Qui se conclut par… la dégustatio­n d’un thé. 6
 ??  ?? 4. Sergey, très appliqué sur le tir d’une chèvre aégagre. 4
4. Sergey, très appliqué sur le tir d’une chèvre aégagre. 4
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2. Un déjeuner dans notre maison d’hôte avec toute la team. Le genre de “table” que l’on n’oublie jamais !
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1. Hassan et Sergey, qui fait mouche à 352 mètres.

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