Chasses Internationales

Macho montes en Espagne

“Never explain, never complain”, la passion cynégétiqu­e se vit, un point c’est tout ! Et quand elle a pour cadre la montagne, elle se confronte aux caprices de la météo. Même ici à deux heures de route de Madrid, sur les traces du Capra de la Sierra de Gr

- texte et photos Luis Berga* traduction Éric Garcia

Modesto est mexicain. Pondéré, vif et spirituel, il pèse la valeur de chaque mot, s’enthousias­me sans limite et est écouté de tous, lorsqu’il prend la parole. Je me souviens d’une remarque en particulie­r qu’il objecta, qui peut paraître anodine, alors que nous dînions chez lui : « Se souvenir, c’est avoir vécu quelque chose avec intensité. »

Elle me marqua sans doute parce qu’il le dit avec tant de sincérité, que la table était amicale et que sa famille me recevait les bras ouverts. J’ai toujours attaché beaucoup d’importance à chacune des rencontres que mon métier favorise, mais personne ne m’a expliqué de manière aussi saisissant­e l’estime que l’on peut nourrir si l’on accorde de l’intérêt à l’autre. Depuis cette fameuse veillée, cette phrase préside à toutes mes chasses car n’oublions pas qu’au-delà des trophées que nous collectons à travers le monde d’innombrabl­es histoires, anecdotes et souvenirs s’agrègent autour de chaque aventure. C’est inexplicab­le comme l’attirance en amour. L’un ne va pas sans l’autre sans jamais savoir pourquoi. Oui, ils sont inséparabl­es. Inutile de se demander pourquoi.

Chaque chasse, vous le savez, réserve son lot d’historiett­es, disais-je. Mais elle procure aussi de nouvelles sensations, nous confronte à nos propres limites, favorise la découverte de lieux que nous n’aurions jamais imaginés même à distance, des paysages uniques, magnifique­s, infinis, et, souverain privilège, la connaissan­ce de gens merveilleu­x et authentiqu­es. Tous ces instantané­s nous permettent de nous sentir vivants. À mon avis, c’est ce qui compte vraiment, même si le trophée demeure le fil conducteur de nos voyages. Même si les ruses de l’animal ou sa conquête sont l’objet de notre désir premier. Tenez, par exemple, voici l’une de ces aventures. Nous étions à la fin octobre, la saison régulière de chasse venait à peine de commencer et nous avions déjà chassé un beau spécimen de boc des Baléares, un cerf ibérique et un chamois de Cantabrie. La chasse d’un mâle de la Sierra de Gredos devait compléter cette expédition. Pour Juan Manuel, le chasseur, un bouquetin ibérique

(Capra pyrenaica victoriae) représenta­it le couronneme­nt de cette “tétralogie”.

Rien que l’évocation de l’animal provoquait en lui un frisson incontrôla­ble.

Le rut du bouquetin ibérique commence à la fin octobre pour les deux sous-espèces du Sud-est et de Ronda, et pas avant la mi-novembre pour celles de Gredos et de Beceite. Il était donc un peu tôt. Ce handicap allait de surcroît s’ajouter à des chutes de neige éparses et inattendue­s en provenance de la cordillère cantabriqu­e, au nord du pays, avant qu’elles ne se transforme­nt en tempête.

Quelques flocons de neige avaient précédé notre arrivée sur la zone de chasse. Et, maintenant, c’était un rideau qui recouvrait notre pare-brise entre chaque va-et-vient des essuie-glaces. Notre 4x4 stoppe où nous devons poursuivre à pied. La tempête n’a pas cessé pour autant et seuls les poteaux délimitant les champs balisent notre chemin de montagne enfoui sous un matelas de neige. Un ciel gris opaque, des rafales incessante­s, des températur­es en chute libre. Ces caprices météorolog­iques allaient-ils avoir raison de l’ultime rêve de Juan Manuel ? Je ne me résous jamais à baisser les bras au moindre soubresaut et, à cet instant même, je suis convaincu qu’abandonner serait passer à côté de l’essentiel. Juan Manuel est d’accord. Aussi, nous décidons-nous à nous engager sur un chemin en pente douce de neige fondue en raison des pluies de ces derniers jours. La sensation de froid due aux bourrasque­s décuple ; bien que nous soyons frigorifié­s, notre obstinatio­n nous aide à tenir.

Notre zone de chasse n’est pas très grande, mais les bouquetins qui l’habitent sont superbes. Pendant le rut, les mâles gagnent la face sud de la montagne à la rencontre des femelles. Et c’est dans des ravins que nous avons l’habitude de les localiser. Notre plan est simple. Les scruter les uns après

les autres jusqu’à la dernière ravine. Les conditions ne s’améliorent pas à mon grand désespoir. Le cocktail vent-neige-froid est singulier et bientôt, poussé par les assauts de la tempête, s’invite un brouillard très humide puis cesse l’averse de neige. Nous marchons, nous arrêtons, observons et reprenons nos recherches. Le froid est insupporta­ble. Nous sommes bredouille­s.

Rien. Pas âme qui vive sur ces flancs escarpés. Et puis, à environ 500 mètres, deux mâles émergent derrière des buissons et avance sur un aplat enneigé. L’un semble sensibleme­nt plus grand que l’autre. Il est tacheté de noir, son cornage très épais se distingue. Le mâle de Gredos est le plus imposant des quatre espèces de chèvre hispanique (lire notre encadré ci-dessous).

Ses cornes sont en forme de lyre, s’étirent sur les côtés, puis poussent vers l’arrière et pointent finalement vers le ciel. La corpulence d’un mâle adulte est robuste et lourde. Un mâle peut atteindre 100 kilos. Sa robe fonce lorsqu’il vieillit. Tous les indices confirment que notre spécimen est âgé. La topographi­e nous est bénéfique et nous pouvons réduire la distance à 200 mètres. Notre avancée est irrégulièr­e. Et, bientôt, pris au piège dans un torrent asséché, nous sommes contraints de le contourner et lorsque nous arrivons au poste que nous avions choisi, tout est à refaire, le mâle a disparu.

Qu’à cela ne tienne, nous reprenons nos recherches en affrontant ces conditions climatique­s exceptionn­elles coûte que coûte. À peine, avons-nous parcouru une centaine de mètres que nous comprenons que nos deux mâles ne se sont déplacés que d’une dizaine de mètres afin de se mettre à l’abri des coups de semonces. Toujours

invisibles à eux et grâce au tapage des rafales, nous nous faufilons à travers arbustes et rochers. Nous ne sommes plus qu’à 150 mètres des deux machos montés.

Le vent, les flocons de neige et maintenant une pluie de grêlons nous assaillent.

Dans les jumelles, je vérifie qu’ils sont là. Imperturba­bles, ils semblent figés.

Juan Manuel va savoir s’abstraire de ces conditions dantesques avec sangfroid. Un appui, une maîtrise totale de soi et la détonation met fin à cette insoutenab­le quête. Une explosion de joie accompagne sa réussite. Son tir est parfait. Pourtant le froid a raidi nos gestes et le vent troublé notre vision. Une demi-heure plus tard, nous sommes autour du corps inerte.

Mais il faut songer très vite à redescendr­e

car si la nuit nous cueille nous serons prisonnier­s de la montagne. Ce que nous évitons grâce à l’euphorie du succès qui semble nous porter vers notre 4x4.

Sur le chemin du retour, la fatigue nous submerge. Pas un mot, pas un sourire, le masque ! Nos muscles sont endoloris par les efforts que nous venons de consentir. Un sentiment commun nous envahit. Toute la troupe est allée jusqu’au bout. Au bout de ce cloaque climatique infernal. « Se souvenir, c’est avoir vécu quelque chose avec intensité »,

a dit Modesto. Quelles conditions de chasse avait-il endurées pour l’affirmer ?

(*) Luis Berga est propriétai­re associé de Spain Safaris et guide de chasse profession­nel.

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En provenance de la cordillère cantabriqu­e, au nord du pays, une dépression allait radicaleme­nt transforme­r notre chasse programmée dans la Sierra de Gredos. Tempête de neige, pluie glaciale, grêlons…
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Sous un déluge de grêle et de neige fondue, Juan Manuel savoure l’issue gratifiant­e de sa tétralogie: un boc des Baléares, un cerf ibérique, un chamois de Cantabrie et un macho montés des Gredos.

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